roman (art). (suite)
L'éclectisme des sources, qui est une constante de l'art roman, s'accentue avec le phénomène des croisades. Depuis l'occupation de Jérusalem par les Turcs, le premier et le plus saint de tous les lieux de pèlerinages était inaccessible. Mais, à partir du XIe siècle, le commerce est rétabli en Méditerranée, l'homme européen n'a plus peur de reprendre la mer et, l'établissement d'une monarchie chrétienne aidant, l'ancien pèlerinage devient croisade, prêchée par le pape Urbain II, lors du concile de Clermont (27 novembre 1095). L'Église reprend à son compte la combativité féodale. Deux siècles s'ensuivent où alternent conquêtes et défaites. Le va-et-vient des croisés qui s'installent en terre d'Orient ou qui en reviennent crée un phénomène d'interpénétration culturelle. À titre d'exemple, la reconstruction du Saint-Sépulcre à Jérusalem suit des principes architecturaux romans, tandis qu'en Occident naissent les églises à file de coupole de type oriental.
Un décor fonctionnel et architectonique
Jamais décor d'église n'aura été aussi dépendant de l'architecture qu'au cours de cette période. L'édifice roman, commandé par les besoins de la liturgie, ordonne à son tour couleurs et reliefs. Car considérer les créations décoratives comme des expressions artistiques autonomes est aux antipodes de l'esprit médiéval : ni placage ni ajout, elles obéissent au primat architectural. L'œuvre fondamentale est l'église, et tout motif sculpté ou peint fait corps avec l'édifice, dont il souligne les éléments.
La sculpture : du méplat au relief.
• Après les siècles mouvementés des Invasions, où seuls des petits objets de bronze, pierreries et orfèvrerie maintenaient l'art du relief, la sculpture renaît quasi simultanément dans les différents territoires, usant de motifs qui trahissent la multiplicité de ses origines. Ce constat pose aux médiévistes une question difficile, celle de la chronologie des chantiers et de la complexité des contacts qu'ils entretenaient.
Comme l'architecture dans laquelle elle s'insère, la sculpture romane relève de deux traditions. Dans les premiers temps est pratiquée une taille « en méplat », proche de la glyptique ou de l'orfèvrerie ; la technique et les motifs restent dépendants de leurs sources (ivoires, enluminures, tissus, arts précieux) : les linteaux du Roussillon (Saint-Genis-des-Fontaines, Saint-André de Sorède, Arles-sur-Tech) et la série des chapiteaux de Bernay signés « Isembardus » sont de ce type. Mais, au cours de la seconde période, le relief se creuse, les formes s'assouplissent, deviennent dynamiques et élégantes. Il faut reconnaître ici les rôles privilégiés et moteurs de la Bourgogne - où s'illustrent le Maître des chapiteaux du chœur de Cluny III, et Gislebert à Autun - et de l'Aquitaine, en particulier des grands centres situés sur la route de Compostelle : Saint-Sernin de Toulouse et Moissac.
La sculpture : du chapiteau au portail.
• Au temps du premier art roman, ce sont surtout les chapiteaux qui accaparent les artistes. D'inspiration corinthienne ou byzantine, tous ont la même fonction architectonique : faire passer l'arrondi de la colonne (base ou astragale) au plan carré de l'arcade qu'elle soutient (tailloir) par une forme géométrique appelée « corbeille ». Dans ce cadre contraignant, le sculpteur roman déploie une imagination inépuisable. Il s'inspire d'abord de l'iconographie des arts précieux qui lui fournissent des motifs importés d'Orient, thèmes fantastiques, faune et flore. Puis, au XIIe siècle, le décor sculpté s'épanouit et envahit tout l'édifice, cloîtres, chevets et portails. C'est à ce moment que l'architecture romane reçoit de grands programmes iconographiques. Le décor s'ouvre à la figuration humaine jusqu'alors quasi inexistante : sans doute peut-on reconnaître là, plus qu'ailleurs, un souci d'enseignement.
La peinture.
• La nudité des églises romanes dans leur état actuel est trompeuse. La polychromie de la sculpture, les pavements colorés, les peintures murales, les vitraux, irradiaient alors des jeux de couleurs dans une ambiance chaleureuse. Nous ne pouvons plus aujourd'hui imaginer ce règne de la couleur, qui triomphait partout en Europe, entretenue par la circulation des enluminures et des arts précieux. Ambulants, les ateliers de peinture murale sont plus difficiles à cerner que les foyers de sculpture : dans bien des cas, la multiplicité des sources laisse en suspens la question de l'antériorité entre l'enluminure, la plaque d'orfèvrerie ou la peinture. Le style, les techniques et l'iconographie permettent cependant, avec nuance et prudence, de diviser, schématiquement, les peintures murales françaises en deux groupes.
Dans l'Ouest de la France (du Berry au Poitou, la vallée du Loir) se manifeste une prédilection pour les peintures mates à fond clair, procédé le plus répandu. Outre le remarquable cycle de Saint-Savin-sur-Gartempe, deux ensembles sont restés presque intacts, à Vicq et à Brinay, dans l'Indre. Le style véhément du premier contraste avec celui tout en douceur du second. Mais, dans tous les cas, et de même que dans la petite crypte de Tavant (Indre-et-Loire), au graphisme presque expressionniste, la gamme des couleurs est réduite : ocre, vermillon, un peu de vert, et des rehauts noir et blanc. Les peintres privilégient le mouvement et ignorent les dégradés, qui donnent l'illusion du volume.
Par l'intermédiaire de Cluny III, de ses rapports privilégiés avec le monastère italien du Mont-Cassin, les provinces de Bourgogne, d'Auvergne et du Sud-Est adoptent les peintures brillantes à fond sombre, dans lesquelles techniques savantes « à la grecque » et motifs byzantins (grecques, rubans, draperies peintes) se conjuguent aux thèmes hiératiques romains. La traditio legis (remise de la Loi à Pierre) - thème cher au Saint-Siège -, représentée dans l'abside du prieuré de Berzé-la-Ville, en est un remarquable exemple, affirmation picturale de la dépendance étroite de Cluny avec Rome.
Les arts précieux.
• On objectera que tous les arts ne sont pas nécessairement tributaires de l'architecture. S'il fallait chercher des exceptions, on avancerait sans doute les arts somptuaires. Pourtant, cette prodigieuse production n'en est pas si indépendante, soit parce que les œuvres sont elles-mêmes des édifices miniatures à une ou trois nefs, allant jusqu'à reprendre l'iconographie développée sur les monuments, soit parce qu'elles ont été créées, précisément, pour magnifier un sanctuaire et contribuer à sa « splendeur céleste ». Les matériaux s'affinent entre le XIe et le XIIe siècle. Les techniques aussi. Le travail conjugué de l'orfèvre et de l'émailleur, et la richesse des gisements métalliques du Limousin favorisent l'essor de prestigieux ateliers et l'exportation internationale de l'œuvre de Limoges. Cette extrême mobilité a permis aux arts précieux de bénéficier, plus que toute autre forme d'art, des échanges artistiques en Europe et au-delà de la Méditerranée.