police. (suite)
De La Reynie au préfet Lépine (1667-1913).
• Sous Louis XIV, Paris atteint un demi-million d'habitants. La « sûreté » de cette énorme capitale frondeuse, dont le roi se méfie, exige de nouvelles méthodes de surveillance. En 1667, un édit inspiré par Colbert crée la fonction de lieutenant de police de Paris. Son premier titulaire, Nicolas de La Reynie, s'occupe autant de l'hygiène, de la voirie et du ravitaillement de la ville que de l'ordre public. Il fait porter le nombre des commissaires du Châtelet à 48, les répartit dans les divers quartiers et exige qu'ils lui présentent chaque soir un compte rendu de leur mission. En 1699, la réforme policière est étendue aux principales villes de province. L'État absolu se dote d'un instrument de pouvoir indispensable.
La ville du XVIIIe siècle doit en effet être bien « policée ». Ce terme désigne la double mission de l'institution nouvelle : améliorer les conditions de vie et poursuivre le crime. Devenu lieutenant général, le chef de la police parisienne ne dédaigne pas d'organiser le numérotage des maisons, ou même de surveiller l'épuration des eaux de la Seine. Parallèlement se met en place une police moderne, qui pratique à la fois la répression et la prévention. Le recours aux « mouches » (mouchards) se généralise. En 1753, la moitié du budget de la police serait affectée à leur paiement. Mais la mission préventive se développe également. Créés en 1709, les inspecteurs de police s'insèrent dans le quartier qu'ils ont en charge. Tout en traquant les criminels, ils veillent à renouer les solidarités menacées dans leur secteur. Ils reçoivent des dénonciations et jouent parfois un rôle de médiateurs entre membres d'une famille ou entre voisins, évitant ainsi le recours à l'action judiciaire.
Directement liée à l'État royal, la police de l'Ancien Régime est vigoureusement critiquée à ce titre et pour sa corruption. Dès le début de la Révolution, le lieutenant de police Thiroux de Crosne - qui sera guillotiné en 1794 - donne sa démission, et l'institution disparaît avec lui. En 1796, le Directoire crée un ministère de la Police générale, auquel la gendarmerie est rattachée en 1798. Une loi de 1800 institue des commissaires de police dans les villes de plus de 5 000 habitants. Au-dessous de ce seuil, le maire dispose de la police administrative, tandis que la police judiciaire appartient à la gendarmerie, sous l'autorité du ministre de la Police générale. Paris demeure privilégié : la même loi crée pour la capitale la Préfecture de police, qui coiffe les commissariats des douze arrondissements. Fouché, ministre de la Police, édifie ainsi un véritable empire policier autour de sa personne. En privilégiant la division « sûreté générale et police secrète », il retrouve la tradition de surveillance de l'opinion confiée par la monarchie aux lieutenants généraux.
La disparition du ministère de la Police en 1818 ne casse nullement le mécanisme. La Préfecture de police de Paris reprend l'héritage et renforce ses moyens d'action par la création des sergents de ville en 1828 et de la garde municipale (ancêtre de la garde républicaine) en 1830. L'utilisation de la police à des fins politiques se poursuit de plus belle : elle est chargée de réprimer les insurrections, de surveiller les classes dites « dangereuses », et se fait haïr des populations. Sous le Second Empire, les indicateurs, le Cabinet noir et les provocations policières témoignent d'une grande continuité avec l'Ancien Régime.
Née en 1846, la police des chemins de fer fournit en 1855 l'embryon des Renseignements généraux sans en avoir encore le nom : 30 commissaires et 70 inspecteurs de la Sûreté générale surveillent l'opinion publique et les déplacements des personnalités, à la recherche d'agents subversifs.
Jusqu'à la Première Guerre mondiale, les éléments de continuité l'emportent sur les mutations. Dans une époque marquée par le terrorisme international, les attentats anarchistes, le grand banditisme (la bande à Bonnot), les grèves et les émeutes populaires, le maintien de l'ordre est une priorité absolue. Malgré la progression de ses effectifs, la police fait difficilement face à ces enjeux. Elle est accusée d'incurie, ce qui pousse Clemenceau à organiser les premières brigades mobiles de police judiciaire (1907), surnommées les « brigades du Tigre ». Le préfet Lépine, en poste jusqu'en 1913, crée, lui, les brigades cyclistes de Paris, celle du secours aux noyés, la brigade canine, et instaure le port du bâton blanc par les agents.
Les polices face aux défis du xx• e siècle.
Dès l'époque de Lépine, de nouveaux défis sont apparus, auxquels la police héritée du passé ne peut plus faire face. Vient alors le temps des missions multiples, donc des polices spécialisées, modernisées, mais également concurrentes. Car la société française mue en profondeur, surtout dans les villes dont le poids démographique dépasse celui des campagnes, pour atteindre plus des trois quarts de la population à la fin du XXe siècle.
La vieille Préfecture de police modernise donc ses méthodes. Bertillon fonde le service d'anthropométrie en 1882. S'ouvre l'époque de la police scientifique qui conduira au système des empreintes digitales, puis génétiques pour identifier les coupables. La criminologie est fondée comme science. Devenue autonome en 1877, la Sûreté générale reprend l'héritage de la police politique. Dès les années 1920, elle compte des sections spécialisées dans le faux, le trafic de stupéfiants, le proxénétisme et le banditisme international. Les « brigades du Tigre » dépendent d'elle, comme plus tard les Renseignements généraux et la DST (Défense et Sûreté du territoire) pour le contre-espionnage. Les relations de la Sûreté avec la Préfecture sont conflictuelles. La « guerre des polices » reprend après la parenthèse du régime de Vichy, qui avait unifié la Police nationale en la plaçant sous l'autorité du ministre de l'Intérieur. Elle s'intensifie même au moment de l'affaire Ben Barka, en 1965. L'année suivante, Sûreté nationale et Préfecture sont fondues ensemble dans la Police nationale, sous la tutelle du ministre de l'Intérieur. En 1974, Lille, Lyon, Marseille et Bordeaux sont à leur tour dotés d'une préfecture de police.