Au XVe ou au XVIe siècle, quand les théoriciens du pouvoir royal qualifiaient celui-ci d'absolu, ils entendaient que le monarque était « délié des lois » (du latin absolvere) ; pourtant, tous soulignaient que ce pouvoir se tenait toujours en deçà de limites qui le différenciaient d'un pouvoir arbitraire.
L'ambivalence est donc consubstantielle aux origines de la monarchie absolue. Mais l'évolution du vocabulaire a favorisé le basculement du terme dans un sens univoque : l'apparition du mot « absolutisme » à l'extrême fin du XVIIIe siècle et son usage plus courant à partir de la monarchie de Juillet ont en effet conduit, d'une part, à assimiler la monarchie absolue à la tyrannie d'un souverain, d'autre part, à la lier à un projet politique immuable tout au long de l'Ancien Régime. Ce prétendu projet n'est en fait, pour l'essentiel, que l'extrapolation du régime systématisé par Louis XIV et critiqué dans la philosophie politique du XVIIIe siècle.
Pour dépasser ces acceptions rétrospectives et déformantes, il convient donc d'appréhender la monarchie absolue comme une construction historique, « une tendance plutôt qu'un régime » (Georges Durand), soumise à des interprétations et à des inflexions successives, confrontée à des résistances et à des remises en cause. Cette dimension historique de la notion est perceptible même si on laisse de côté l'étude des institutions monarchiques pour mettre l'accent sur l'évolution des conceptions de la souveraineté et de la nature du pouvoir. Celles-ci sont en effet au cœur du régime qui tend à prévaloir en France, de la fin du Moyen Âge à 1789, et qui confère au roi le monopole de la souveraineté et de l'autorité en vertu d'une légitimité à la fois héréditaire, coutumière et religieuse.
La tradition monarchique et la demande d'autorité.
• Dès le XVe siècle, le roi de France cumule quatre attributs essentiels : suzerain des suzerains, il est placé au sommet de la pyramide sociale ; garant de l'intégrité du royaume, en particulier contre les ennemis extérieurs, il dirige les armées ; considéré comme « empereur en son royaume » depuis Philippe le Bel (1285-1314), il peut exercer des pouvoirs dits « régaliens », en premier lieu desquels celui de juge suprême ; enfin, « Très-Chrétien » (titre officiellement reconnu à Louis XI), il peut se prévaloir de la dimension religieuse de sa fonction qui implique, en contrepartie, un devoir de protection à l'égard de la religion et de l'Église catholiques. Pour autant, avant le XVIIe siècle, il est abusif de parler de monarchie de droit divin.
D'ailleurs, l'énumération de ces attributs n'induit nullement une évolution linéaire vers un « pouvoir sans lien », car ils comportent toujours des potentialités contradictoires dont on peut donner deux exemples. La suzeraineté offre une garantie de supériorité, mais elle signifie aussi que les nobles sont fondés à jouer un rôle dans l'exercice de la puissance publique. L'imperium érige le roi en protecteur du royaume et de la nation, mais, celle-ci étant conçue comme une association de corps (ordres, provinces, villes, communautés d'habitants ou de métiers, etc.), le rôle de protecteur implique la sauvegarde des libertés et des privilèges - au sens de droits reconnus - de chacun de ces corps. Ainsi, la France, à la charnière des époques médiévale et moderne, pourrait incliner vers une monarchie qui serait « un régime de partage contractuel des prérogatives de la souveraineté entre de nombreux partenaires » (Jacques Ellul). Mais l'évolution vers de nouvelles formes de souveraineté s'accélère au XVIe siècle.