Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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Scheibe (Johann Adolph)

Compositeur et théoricien allemand (Leipzig 1708 – Copenhague 1776).

Ce fils d'organiste dont la candidature fut refusée à la Nikolaikirche de Leipzig en 1729, J. S. Bach étant l'un des examinateurs, fonda une revue musicale hebdomadaire intitulée Der kritische Musicus (1738-1740), prit violemment à partie J. S. Bach, et défendit avec ardeur le style allemand contre les influences étrangères et notamment italiennes. Nommé en 1739 maître de chapelle du margrave de Brandebourg-Kulmbach, beau-frère de Christian VI de Danemark, il rejoignit Copenhague en 1740. Dès lors, son œuvre se développe, dominé par ses cantates et surtout ses grands concerts de la Passion (Gottselige Gedanken bei dem Kreuze unseres Erlösers, 1742 ; Tränen der Sünder bei dem Kreuze ihrer Erlösers, 1746). En 1746, il est mis à la retraite, le nouveau roi Frederik V préférant l'opéra et les styles italien et français, et Scheibe ne réapparaît qu'en 1766 pour écrire une Passions Cantata pour les funérailles de Frederik.

   Scheibe rejette le style musical italien, il utilise avec simplicité l'arioso, attribue un rôle important à l'orchestre, et il apparaît comme une personnalité représentative de la période de transition entre les époques baroque et classique. La plupart de ses œuvres musicales sont perdues.

   Sa critique de Bach, qui lui fut violemment reprochée par la postérité, à partir du XIXe siècle (Spitta) surtout, doit être replacée dans le contexte de l'époque. En fait, Scheibe fut un des principaux théoriciens de la musique dans l'Allemagne de son temps, et c'est comme « progressiste », comme annonciateur et propagateur, par ses idées, de la révolution mélodique et harmonique qui devait mener au classicisme viennois, que Scheibe trouva Bach, ce « grand homme », artificiel et confus. Pour lui, dont les écrits symbolisèrent la fin de l'âge baroque, le musicien le plus représentatif du temps était Telemann. Très significative de son état d'esprit est la phrase suivante, écrite par lui en 1745 : « La mélodie est plus importante que l'harmonie, car elle est plus noble, c'est d'elle que dépend l'invention et c'est chez elle qu'il faut chercher les fondements de l'accompagnement harmonique. »

Scheidt (Samuel)

Compositeur et organiste allemand (Halle 1587 – id. 1654).

Issu d'une famille de musiciens, il fit ses études musicales auprès de Sweelinck, « le faiseur d'organistes », de 1605 à 1608 ou 1609. Sweelinck lui transmit son art de l'orgue, du contrepoint et l'héritage musical anglo-néerlandais. De retour à Halle en 1609, Scheidt y est organiste à l'église Saint-Maurice et à la cour de Brandebourg. Vers 1619, il devient maître de chapelle de Christian Wilhelm de Brandebourg et administrateur de l'archevêché de Magdebourg, mais continue à assurer ses fonctions à l'église de la cour à Halle.

   Sa renommée va croissant, grâce à la publication de ses premières œuvres, mais les malheurs de la guerre de Trente Ans entraînent en 1625 la dissolution de la cour. En 1628, il est nommé director musices de la Marienkirche, toujours à Halle dont c'est la principale église. Mais en 1630, à la suite de différends, il perd ce poste qui avait été créé spécialement pour lui et vit alors des revenus que lui rapportent ses œuvres publiées, et cela jusqu'au rétablissement de la cour, en 1642, et des protections princières dont il jouira jusqu'à sa mort.

   Son premier recueil d'œuvres, les 39 Cantiones Sacrae a 8 vocum, paraît en 1620, suivi en 1621 et 1622 par les deux recueils de pièces diverses pour plusieurs voix avec accompagnement d'instruments publiées sous le titre de Concertus sacri. Il édite ensuite quatre volumes de Ludi musici (ou Ludorum musical), dont seul le deuxième nous est parvenu, puis les trois volumes de sa Tabulatura Nova (1624), recueils de pièces d'orgue contenant des variations, fantaisies, cantilènes, passamezzos, canons, toccatas, échos, psaumes, hymnes, un Magnificat et des paraphrases du Kyrie et du Credo. Viennent ensuite les quatre volumes des Geistliche Konzerte (« Concerts spirituels », 105 œuvres vocales de deux à six voix avec basse continue et soutien facultatif d'instruments), respectivement en 1631, 1634, 1635 et 1640. En 1644, ce sont les LXX Symphonien auff Concerten manir (« 70 Préludes dans le mode concertant », dix pour chacune des sept tonalités), et enfin le Görlitzer Tabulaturbuch (« Livre de tablature de Görlitz », 100 harmonisations de chorals pour orgue ou instruments).

   Sous le titre des « 3 S », on a rangé Scheidt auprès de ses contemporains, nés à une année d'intervalle, Schütz et Schein. Mais son originalité tient au fait qu'il a su, tout en restant fidèle au choral ou à la mélodie qui servent de base à ses commentaires ou à ses variations, opérer une synthèse entre l'art des musiciens d'Allemagne du Nord, la technique du contrepoint et de la variation des Néerlandais et des Anglais, que lui avait enseignée Sweelinck, et le jeu concertant, comme la recherche de l'expressivité musicale des mots, propres à l'Italie et qu'avait pu lui transmettre l'encyclopédique Michael Praetorius. Lié d'amitié avec Praetorius, lui-même maître de chapelle à Halle, il avait d'ailleurs fondé avec lui et avec Schütz la Concert Music de la cathédrale de Magdebourg, en 1618.

   Grand fournisseur de musique spirituelle au moment où son pays, ravagé par la guerre de Trente Ans (1618-1648), connaît une exacerbation de sa pratique religieuse, il en fit évoluer le style depuis ses premières œuvres à plusieurs chœurs jusqu'à ses Concerts spirituels. Là, un style contrapuntique rigoureux et fidèle à la tradition s'enrichit de l'apport expressif du madrigal et des instruments concertants, mais toujours dans le but très précis de servir les textes spirituels ­ attitude qui rapproche davantage Scheidt de Schütz que de Schein et en fait l'un des précurseurs de la cantate de choral.

   On retrouve ce même amour pour les anciennes règles léguées par la tradition dans son œuvre instrumentale. Il est un héritier direct de Sweelinck pour la manière de varier un thème en l'enrichissant progressivement et pour la rigueur de sa polyphonie instrumentale. Mais il innove en empruntant au ricercar italien la construction contrapuntique sur plusieurs thèmes, ou en phrasant de façon plus variée, à l'imitation de la technique expressive du violon. De la sorte, il contribue à créer un style d'écriture spécifiquement instrumentale, bien différenciée de la technique vocale, et un art de synthèse qui va profondément influencer ses successeurs jusqu'à Jean Sébastien Bach. Mais à la différence de ce que fera ­ génialement ­ ce dernier, Scheidt ne modifie jamais la ligne mélodique d'un choral, qui reste toujours lisible sous sa forme primitive dans les lignes de la polyphonie.