Mozart (Wolfgang Amadeus) (suite)
Les périples en Italie
Ayant obtenu un nouveau congé du bienveillant Schrattenbach, Leopold décida de partir avec son fils pour l'Italie. Ce premier périple, qui débuta le 11 décembre 1769, dura une quinzaine de mois et fournit à Wolfgang l'occasion de fréquenter des représentants essentiels du monde musical. Parmi ceux-ci : Giambattista Sammartini, que les deux Mozart rencontrèrent à Milan chez le comte Firmian, et, surtout, le Padre Martini, dont ils firent la connaissance à Bologne, fin mars 1770. Le voyage se poursuivit par Florence, Rome, Naples, Rome de nouveau, où, le 8 juillet, Leopold et Wolfgang furent reçus par le pape Clément XIV ; par Bologne encore, où le jeune compositeur se vit proposer le livret, dû à Vittorio Cigna-Santi, de Mitridate, re di Ponto K.87. Après Bologne, où ils eurent aussi la possibilité de connaître l'excellent compositeur Joseph Myslivecek, Mozart père et fils se rendirent à Milan pour la création de Mitridate. L'événement se produisit le 26 décembre 1770 et suscita, selon Leopold (lettre du 2 janvier 1771 au Padre Martini), un « accueil des plus favorables ». En février 1771, les voyageurs atteignirent Milan. En mars ils étaient à Padoue, où Wolfgang se vit confier la commande de La Betulia liberata, oratorio en 2 parties, qui allait représenter son unique contribution dans un genre si magnifiquement exploité par Haendel et Haydn.
Par Vicence et Vérone, Leopold et Wolfgang regagnèrent Salzbourg, où ils arrivèrent le 28 mars 1771 et d'où ils repartirent le 13 août pour un deuxième voyage en Italie qui n'allait durer que quatre mois. À Milan, où ils séjournèrent, fut donnée, pour le mariage de l'archiduc Ferdinand (fils de Marie-Thérèse) et de la princesse Marie-Béatrice de Modène, la « première » de la sérénade théâtrale Ascanio in Alba K.111. Les Mozart se retrouvèrent à Salzbourg le 16 décembre, jour de la mort de Sigismond von Schrattenbach. Élu le 14 mars 1772, solennellement intronisé le 14 avril, Hieronymus Colloredo (1732-1812), le nouveau prince-archevêque, allait se montrer, vis-à-vis de ses employés, beaucoup moins compréhensif et beaucoup moins facile à vivre que son prédécesseur. Il nomma Domenico Fischietti au poste de Kapellmeister que Leopold briguait en vain depuis longtemps. Le 15 août, Wolfgang devint Konzertmeister titulaire, avec des honoraires de 150 florins. Cette année-là, qui vit naître la Symphonie no 15 K.124, la no 16 K.128, la no 17 K.129, la no 18 K.130, la no19 K.132, la no 20 K.133 et la no21 K.134, fut celle du troisième et dernier voyage en Italie, lequel eut lieu du 24 octobre 1772 au 13 mars 1773. Ce fut aussi celle de l'opera seria Lucio Silla K.135, créé à Milan le 28 décembre 1772.
Mozart à Salzbourg
Se limiter aux faits strictement matériels de la biographie de Mozart, c'est un peu, comme dans le cas de Brahms, énumérer une interminable suite de voyages. Il y eut pourtant, de 1773 à 1777, une relative accalmie. Avec, néanmoins, deux nouvelles « excursions » : l'une à Vienne, de juillet à fin septembre 1773 ; l'autre à Munich, de décembre 1774 à mars 1775. Lors du séjour dans la capitale autrichienne, Mozart composa l'importante Sérénade K.185 pour les noces du fils d'Ernst Andretter, lequel était, à Salzbourg, conseiller aulique pour la guerre, et, surtout, les six Quatuors à cordes K.168 à 173 (nos 8 à 13 de la classification habituelle), dits Quatuors viennois et manifestement influencés par le nouveau style instrumental de Joseph Haydn. À cette époque, le Kapellmeister d'Eszterháza qui avait écrit les deux magnifiques séries de quatuors op. 17 (1771) et op. 20 (1772) situait la majorité de ses créations dans la perspective passionnée, mélancolique et formellement insolite du Sturm und Drang. Chez Mozart, les caractéristiques essentielles de cette esthétique préromantique allaient se retrouver dans la Symphonie no 25 K.183 en sol mineur de décembre 1773.
De la production de l'année 1774, il convient d'isoler, en priorité, la très importante Symphonie no 29 en la majeur K.201, le Concerto pour basson en si bémol majeur K.291, la Sérénade en ré majeur K.203 et les cinq premières Sonates pour piano K.279 à 283. Toujours accompagné de son père, Wolfgang se rendit à Munich, où, le 13 janvier 1775, eut lieu la « première » de La Finta Giardiniera. Le 6 mars, il reprit la route de Salzbourg, où il demeura jusqu'en septembre 1777. Pour la visite de l'archiduc Maximilien-Franz, dernier fils de Marie-Thérèse et futur patron de Beethoven, Colloredo lui commanda la festa teatrale Il Re pastore (livret de Métastase), qui ne fut représentée qu'une fois, le 23 avril 1775.
Au catalogue mozartien de cette année 1775, il convient d'inscrire, outre Il Re pastore, plusieurs chefs-d'œuvre : la Sonate pour piano no 6 K. 284, dite Sonate Durnitz ; la Sérénade en ré majeur K.204 ; et les quatre derniers Concertos pour violon et orchestre K.211, 216, 218 et 219 composés de juin à décembre (le premier, K.207, est sans doute de 1773). L'année 1776, que Wolfgang vécut tout entière à Salzbourg, fut celle de plusieurs divertissements et sérénades (dont la délicieuse Serenata notturna K.239 et l'imposante Sérénade Haffner K.250), des Concertos pour piano no 6 K.238, no 7 K.242 (3 pianos) et no 8 K.246, de la Missa longa K.262, de la vigoureuse Messe du Credo K.257 et de la Messe de Spaur K.258. Jusqu'alors, le genre concerto pour piano, que Mozart allait mener à son plus haut point de perfection, n'avait pas inspiré au compositeur de pages véritablement " définitives ". Tout changea avec l'extraordinaire Concerto no 9 en mi bémol majeur K.271 terminé en janvier 1777, pour l'auteur lui-même, ou, plus probablement, pour Mlle Jeunehomme, pianiste française de passage à Salzbourg. Dans l'histoire de la musique instrumentale, cet ouvrage prémonitoire occupe une position charnière aussi " fondamentale " que les Quatuors op. 20 de Haydn et la Symphonie héroïque de Beethoven. Avec lui s'ouvrait, quant au contenu affectif et aux relations entre le soliste et l'orchestre, l'ère du grand concerto " moderne ", tel que nous le concevons encore de nos jours.
Mannheim et Paris
En mars 1777, Leopold sollicita, pour son fils et lui-même, un congé que Colloredo refusa. Le 1er août, Wolfgang envoyait une lettre de démission. Exaspéré, le prince-archevêque fit répondre par son secrétaire que le père et le fils pouvaient aller chercher fortune ailleurs. Leopold se soumit et resta. Mais Wolfgang profita de la liberté qui lui était brutalement accordée pour quitter Salzbourg le 23 septembre et pour entreprendre, en compagnie de sa mère, un voyage qui allait le mener à Munich, Augsbourg, Mannheim et Paris. Chez l'Électeur de Bavière, où il aurait aimé se fixer, il n'y avait pas de poste vacant. Du moins se dispensa-t-on de lui en proposer un. À Augsbourg, où, le 22 octobre, il donna un unique concert (avec, notamment, le Concerto pour trois pianos et la Sonate Durnitz), il rencontra le facteur d'orgues et de pianos Johann Andreas Stein, qu'il avait déjà vu en 1763. Le 30 octobre, il arriva à Mannheim et y resta jusqu'au 14 mars 1778, avec, cependant, un bref séjour à Kircheim-Boland (janvier 1778) chez la princesse d'Orange. Ce fut à cette époque qu'il fit la connaissance de la jeune cantatrice Aloysia Weber, dont il tomba amoureux et dont, renouvelant l'erreur commise par Joseph Haydn, il épousa la sœur quelques années plus tard.
Le 23 mars 1778, après douze ans d'absence, Mozart foulait de nouveau le pavé parisien. Mis en rapport, par Grimm en particulier, avec Jean Le Gros, directeur du Concert spirituel et avec Jean-Georges Noverre, maître des ballets de l'Opéra, il écrivit, pour le premier, la Symphonie no 31 K.297 et la Symphonie concertante K.297b; pour le deuxième, le ballet des Petits Riens K.299b. Parmi les principales compositions mozartiennes rédigées à Paris, figurent également le Concerto pour flûte et harpe K.299 commandé par le duc de Guisnes, la pathétique Sonate pour piano en la mineur K.310 (une des plus denses et des plus poignantes). Les quatre Sonates K.330-333 ne sont pas de 1778, comme on le crut longtemps, mais de 1783.
Anna Maria Mozart mourut le 3 juillet 1778. Seul, désormais, pour poursuivre son voyage, Mozart quitta, le 26 septembre, un Paris qu'il n'aimait décidément pas. Le retour à Salzbourg s'effectua par Nancy et par Strasbourg, où le jeune compositeur s'arrêta près d'un mois où il put rencontrer Franz-Xaver Richter, l'un des principaux représentants de l'école de Mannheim.
Dans la chronologie de la vie de Mozart, il faut maintenant évoquer sa nomination (17 janvier 1779) au poste d'organiste de la cour. Wolfgang reprenait donc du service auprès d'un maître copieusement détesté non sans raisons et avec lequel, de toute façon, la rupture définitive ne pouvait qu'intervenir un jour ou l'autre. Adepte des Lumières, Colloredo n'avait sans doute pas tous les défauts que lui prêtent les biographes. Mais il était sûrement moins intelligent, cultivé et diplomate qu'un Nicolas Eszterházy, chez lequel Joseph Haydn allait, sans trop de problèmes, vivre quelque trente ans.