Quelle que soit la prudence avec laquelle il convient de manier ce genre de découpage, on peut considérer que la musique française du XVIIe siècle se répartit en deux périodes relativement bien tranchées chronologiquement, et très contrastées par l'écriture, le style, le goût, l'expression : cette articulation trouve sa charnière aux environs de 1660-1670, et correspond approximativement au début du règne de Louis XIV, sans d'ailleurs que cette coïncidence suffise à expliquer la totalité des phénomènes. Si la réforme de la chapelle royale, le faste donné aux cérémonies et la création par Lully du grand divertissement royal qu'est l'opéra sont directement imputables à Louis XIV, dont l'influence sur l'art musical fut très forte et dont le goût s'imposa, en revanche, l'évolution de l'art instrumental, bien que s'articulant de la même manière, tient à d'autres causes plus difficiles à discerner. Il convient donc, pour avoir une vue claire du déroulement de l'histoire de la musique française au XVIIe siècle, de l'étudier genre par genre, en marquant, sous l'évolution continue, cette césure capitale qui la caractérise dans chaque cas.
Le second point remarquable qu'il faut souligner est l'impact de la musique italienne, qui s'exerce sur cette musique, et qui culmine durant la régence d'Anne d'Autriche, en grande partie mais non exclusivement par l'influence personnelle de Mazarin. Tout au long du siècle, les musiciens italiens se manifestent à Paris : chanteurs attirés à la cour, tels le fameux Caccini et, plus tard, Atto Melani ou la célèbre Leonora Baroni ; maîtres de ballets ; instrumentistes, comme le violoniste Lazzarini (membre de la bande des 24 Violons du roi), le guitariste Corbetta ; compositeurs (tel, entre autres, Froberger, qui fait connaître l'œuvre de Frescobaldi), et, naturellement, Lully.
Mais ce sont aussi des musiciens français qui apportent à Paris un art qu'ils ont appris outre-mont : le chanteur Pierre de Nyert, qui modifiera en profondeur l'art du chant, ou, plus tard, Marc Antoine Charpentier. C'est surtout l'opéra italien, introduit à la cour de France par Mazarin, depuis La Finta Pazza (1645) de Francesca Sacrati, jusqu'à l'Orfeo de Luigi Rossi (1647), le Serse et l'Ercole amante de Cavalli (1660 et 1662), sans lesquels l'apparition même de l'opéra en France aurait été impossible. Occultée durant la surintendance de Lully, l'influence directe de l'Italie demeure présente dans des cénacles éloignés de la cour, comme celui de l'abbé Mathieu ou de la Sainte-Chapelle, qui préparent sa réapparition dans les dernières années du règne du Roi-Soleil.
La musique sacrée
Il n'y a pas de césure nette entre la musique sacrée de la première moitié du siècle et celle de l'époque précédente : une évolution lente et progressive conduira du contrepoint austère de Du Caurroy (1549-1609), qui se rattache directement à l'art de Claude Le Jeune, aux grands motets de Du Mont (1610-1684). Au regard de l'école vénitienne, du temps de Monteverdi, la musique française paraît remarquablement conservatrice. Aucune influence notable de la musique profane, de l'air de cour. Du Caurroy avoue « avoir appris par la lecture des bons auteurs et la pratique des anciens ». En témoignent ses grands motets, sa messe de requiem (Ballard, 1636), au style contrapuntique serré et rigoureux, où les voix procèdent par imitation. Seule, la distribution en deux chœurs opposés, à la manière vénitienne, témoigne d'un goût baroque du contraste.
Nicolas Formé (1567-1638) continue sans rupture l'art de son maître Du Caurroy, avec le même goût du contrepoint savant : il l'allège cependant, assouplit la mélodie, et surtout apporte à la bichoralité une modification riche d'avenir. Aux deux chœurs d'égale importance, il substitue une disposition en « grand chœur » à cinq parties et « petit chœur » de quatre solistes : ce sera la forme définitive du motet à la française.
L'évolution se poursuit avec Antoine Boesset (1586-1643), dont les messes à quatre voix, toujours d'une stricte polyphonie, sont accompagnées d'une basse continue réalisée instrumentalement : rupture définitive avec l'instinct musical de la Renaissance, par le besoin, caractéristique du baroque, de donner corps à l'harmonie sous-entendue. Boesset écrit d'autre part des motets à une et deux voix et basse continue. L'ensemble de cette œuvre, un peu aride, témoigne certainement de l'influence des compositeurs italiens avec qui Boesset était en relation, et apporte un maillon supplémentaire dans l'élaboration du grand motet. Son successeur, Jean Veillot († 1661), introduit une nouvelle transformation d'importance : dans ses motets à « grand » et « petit » chœurs, à la manière de Formé, il ajoute des parties instrumentales. S'il est possible que les instruments aient doublé les voix dans certaines œuvres de ses prédécesseurs, ils prennent leur autonomie dans celle de Veillot, et apparaissent à découvert dans des ritournelles entre les versets. Désormais, tous les éléments structurels du grand motet français sont en place.
Il reste à Étienne Moulinié (v. 1600-v. 1669) à assouplir toutes ces formes, au contact à la fois de l'air de cour et de l'Italie. D'origine languedocienne, il apporte à la musique française une chaleur plus méridionale, quelque fantaisie et un esprit de synthèse qui va lui permettre d'allier des styles et des genres restés jusqu'à lui imperméables les uns aux autres. Dans sa Missa pro defunctis, il reste fidèle au strict contrepoint. Dans ses motets, dans ses Meslanges (1658), se souvenant qu'il est lui-même compositeur d'airs de cour, il crée un véritable style concertant : un soliste s'oppose ici à un tutti ; là, les membres d'un trio dialoguent entre eux et avec l'ensemble ; partout, la mélodie accompagnée s'inspire de l'air profane, lui emprunte sa grâce, son expressivité et jusqu'aux procédés italiens destinés à souligner musicalement les suggestions du texte. Son Cantique de Moïse (18 versets à 2, 3, 4 et 5 voix) confine à l'histoire sacrée et à la cantate italienne.
La nomination de Henry Du Mont (1610-1684) à la chapelle royale (1663) correspond de peu au début du règne personnel de Louis XIV, et c'est avec lui que les potentialités du motet français vont s'épanouir, en partie grâce à la réforme que le roi apporte à l'organisation de sa chapelle, dont il augmente les effectifs et les ressources. Né à Liège, Henry de Thier (francisé en Du Mont) s'installe à Paris vers 1640 ; organiste à Saint-Paul, claveciniste du duc d'Anjou (1652), de la reine (1662), compositeur de la chapelle (1672), il cumule les fonctions, les titres et les honneurs. Ses Cantica Sacra (1652) sont de petits motets à une ou plusieurs voix et basse continue, à la manière italienne ; les motets récitatifs dont il publie plusieurs recueils, son Dialogus de anima avec symphonie (1668 non publié) marquent une série d'étapes importantes dans l'assimilation par l'art sacré de tous les apports du chant profane, et l'élaboration d'un récitatif dramatique adapté au chant religieux. Dans ses grands motets à double chœur, Du Mont réussira une admirable synthèse entre le grand contrepoint à cinq voix traditionnel du « grand chœur », et l'écriture mélodique, récitative et dramatique réservée aux solistes du « petit chœur », chantant isolément ou en ensembles. Toutes les formes musicales utilisées en France de son temps trouvent ici leur emploi, et l'orchestre, à cinq parties à la française ou en trio à l'italienne, élargit encore la palette de cet admirable musicien (Memorare, inter flumina Babylonis, Magnificat…).
Jean-Baptiste Lully (1632-1687) suivra, dans les quelques grands et petits motets qu'il a laissés, la ligne tracée par Du Mont, accentuant l'aspect dramatique au contact de l'opéra, mais sans dépasser la vigueur des chœurs polyphoniques de Du Mont (Miserere, Dies irae, De profundis, Te Deum…). Marc Antoine Charpentier (1643-1704) reste le maître incontesté de la musique sacrée en France au XVIIe siècle. Parti jeune pour Rome où il fut l'élève de Carissimi, il en rapporta un style qui le distingue essentiellement des compositeurs français, à l'exception peut-être de Moulinié, avec qui son art semble avoir maintes affinités. Musicien de la duchesse de Guise, du Dauphin, il ne put accéder en 1683 à la charge de compositeur de la chapelle royale, en raison d'une grave maladie : c'est au collège Louis-le-Grand puis à la Sainte-Chapelle qu'il exerça jusqu'à sa mort. Son œuvre immense (28 volumes manuscrits) est infiniment variée : messes (a cappella, avec instruments, à 1, 2, 4 chœurs), motets de solistes, à grand chœur ; psaumes, hymnes, dialogues, leçons de ténèbres, oratorio : il a touché à tous les genres. Ses grands motets à double chœur et symphonie sont construits selon le schéma de Du Mont et de Lully, mais l'écriture en est plus diversifiée, l'apport italien plus évident. L'orchestration elle aussi s'élargit, laisse parler les flûtes, les violons en trio, les violes, parfois les cuivres. Les œuvres à voix seule, avec basse continue et souvent une « symphonie », semblent avoir la préférence de Charpentier, et sa série de Leçons des ténèbres, où l'art du chant orné issu de l'air de cour se marie avec un remarquable sens du récitatif, sont parmi les plus remarquables pages qu'il ait laissées. La fermeté de l'écriture, la variété des styles, la force de l'expression et la diversité de l'instrumentation donnent à Charpentier une place inégalable. Seul en France Moulinié excepté il a pratiqué l'oratorio à la manière de Carissimi, sous le titre d'Histoires sacrées, œuvres peut-être plus extérieures, écrites pour le collège (Reniement de Saint-Pierre) ou pour la Sainte-Chapelle (Jugement de Salomon).