Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
F

France (XVIe s.) (suite)

La musique instrumentale

Elle ne se développe pas en France au même rythme qu'en Italie et en Allemagne ; les périodes 1529-1533, avec les publications d'Attaingnant (2 recueils pour luth, 7 pour orgue, épinette et manicordion, 2 pour flûtes d'allemand et à trous), et 1551-1571, avec une trentaine de recueils pour luth, guitare et cistre, en constituent les deux temps forts. D'autre part, alors qu'apparaissent à Venise, dès 1507, les premières tablatures pour luth, on n'en trouve pas avant 1529 en France. Même si la transcription d'œuvres vocales forme encore l'essentiel de la production pour les instruments, ces pièces (souvent destinées au luth, l'instrument favori de la Renaissance, et aux claviers) peuvent prendre un caractère spécifiquement instrumental et participer à l'émancipation de cette littérature par le biais de l'ornementation (l'origine du principe du thème et variations), la création de la basse contrainte (par l'intermédiaire de la chaconne et de la passacaille fondées sur la répétition d'un dessin identique), l'habitude du « prélude » improvisé, la création des formes autonomes (cf. en Italie les ricercari et les canzoni) telle la fantaisie (les premières sont d'A. de Rippe) qui joue un rôle dans l'élaboration de la fugue (cf. les Fantaisies pour violes de Le Jeune et Du Caurroy). Avec l'apparition de l'air de cour, les parties instrumentales constitueront un terrain d'élection pour un nouveau développement du contrepoint. Le goût du public pour la musique instrumentale se voit, d'ailleurs, au nombre de luthiers comme à l'importance du tirage des recueils (1 200 exemplaires pour les livres de tablature pour luth d'A. de Rippe et G. Morlaye, Paris, 1552-1558, chez Fezandat). L'élargissement des familles instrumentales agrandit considérablement la notion d'espace musical mais, dès que l'on aborde la musique pour ensemble ­ pièces à 2, 3 ou 4 parties, préludes, fantaisies et danses ou œuvres mêlant voix et instruments ­, rares sont les pages à destination précise.

   La musique, élément de faste de la cour de France (cf. les Entrées), s'institutionnalise : François Ier, divisant, en 1535, la musique du Palais, distingue la musique de la Chambre et la Grande Écurie (cuivres et bois) ; en 1592, Henri IV crée le poste de surintendant de la musique de la Chambre.

La danse

Les danseries, transcription des airs de danse, ne datent réellement que de 1529-1530 (publications par Attaingnant de 6 gaillardes, 6 pavanes plus 18 basses-danses). Si elle relève de l'écriture de la chanson sur le plan de la construction à 4 voix, du traitement et de l'importance réciproque des voix, la danse impose un découpage régulier (souvent des phrases de 4 mesures). La chanson empruntée se trouve donc ramenée à des proportions fixes, symétriques, d'où parfois une transformation des parties graves que l'on peut réécrire. Toutefois le terme de « suite » qui apparaît dans le 7e Livre de danseries d'Attaingnant (1557) ne désigne-t-il encore qu'une succession de branles. La vraie suite reste longtemps le couple pavane-gaillarde, mais l'idée d'un groupement existe déjà dans le recueil de 1520 d'Attaingnant. La publication, en 1588, du traité d'Orchésographie de Thoinot Arbeau, chanoine de Langres, est précieuse du point de vue de la terminologie et par la description des figures de danse elles-mêmes. La théâtralisation de la danse, liée à une action allégorique au développement cohérent, avec maintien des entrées et usage d'une machinerie, trouve sa forme définitive dans le ballet de cour sous Henri IV et Louis XIII : le Paradis d'amour (1572), le Ballet des provinces françaises (1573), Cérès et ses nymphes (1581) et surtout Circé ou le Ballet comique de la reine (1581) comptent au nombre des essais du nouveau genre caractérisé par l'alternance de musique vocale (airs de cour, récits), instrumentale, et de danses, dont un grand ballet final. C'est là l'une des origines principales de l'opéra français du XVIIe siècle.

France (XVIIe s.)

Quelle que soit la prudence avec laquelle il convient de manier ce genre de découpage, on peut considérer que la musique française du XVIIe siècle se répartit en deux périodes relativement bien tranchées chronologiquement, et très contrastées par l'écriture, le style, le goût, l'expression : cette articulation trouve sa charnière aux environs de 1660-1670, et correspond approximativement au début du règne de Louis XIV, sans d'ailleurs que cette coïncidence suffise à expliquer la totalité des phénomènes. Si la réforme de la chapelle royale, le faste donné aux cérémonies et la création par Lully du grand divertissement royal qu'est l'opéra sont directement imputables à Louis XIV, dont l'influence sur l'art musical fut très forte et dont le goût s'imposa, en revanche, l'évolution de l'art instrumental, bien que s'articulant de la même manière, tient à d'autres causes plus difficiles à discerner. Il convient donc, pour avoir une vue claire du déroulement de l'histoire de la musique française au XVIIe siècle, de l'étudier genre par genre, en marquant, sous l'évolution continue, cette césure capitale qui la caractérise dans chaque cas.

   Le second point remarquable qu'il faut souligner est l'impact de la musique italienne, qui s'exerce sur cette musique, et qui culmine durant la régence d'Anne d'Autriche, en grande partie ­ mais non exclusivement ­ par l'influence personnelle de Mazarin. Tout au long du siècle, les musiciens italiens se manifestent à Paris : chanteurs attirés à la cour, tels le fameux Caccini et, plus tard, Atto Melani ou la célèbre Leonora Baroni ; maîtres de ballets ; instrumentistes, comme le violoniste Lazzarini (membre de la bande des 24 Violons du roi), le guitariste Corbetta ; compositeurs (tel, entre autres, Froberger, qui fait connaître l'œuvre de Frescobaldi), et, naturellement, Lully.

   Mais ce sont aussi des musiciens français qui apportent à Paris un art qu'ils ont appris outre-mont : le chanteur Pierre de Nyert, qui modifiera en profondeur l'art du chant, ou, plus tard, Marc Antoine Charpentier. C'est surtout l'opéra italien, introduit à la cour de France par Mazarin, depuis La Finta Pazza (1645) de Francesca Sacrati, jusqu'à l'Orfeo de Luigi Rossi (1647), le Serse et l'Ercole amante de Cavalli (1660 et 1662), sans lesquels l'apparition même de l'opéra en France aurait été impossible. Occultée durant la surintendance de Lully, l'influence directe de l'Italie demeure présente dans des cénacles éloignés de la cour, comme celui de l'abbé Mathieu ou de la Sainte-Chapelle, qui préparent sa réapparition dans les dernières années du règne du Roi-Soleil.

La musique sacrée

Il n'y a pas de césure nette entre la musique sacrée de la première moitié du siècle et celle de l'époque précédente : une évolution lente et progressive conduira du contrepoint austère de Du Caurroy (1549-1609), qui se rattache directement à l'art de Claude Le Jeune, aux grands motets de Du Mont (1610-1684). Au regard de l'école vénitienne, du temps de Monteverdi, la musique française paraît remarquablement conservatrice. Aucune influence notable de la musique profane, de l'air de cour. Du Caurroy avoue « avoir appris par la lecture des bons auteurs et la pratique des anciens ». En témoignent ses grands motets, sa messe de requiem (Ballard, 1636), au style contrapuntique serré et rigoureux, où les voix procèdent par imitation. Seule, la distribution en deux chœurs opposés, à la manière vénitienne, témoigne d'un goût baroque du contraste.

   Nicolas Formé (1567-1638) continue sans rupture l'art de son maître Du Caurroy, avec le même goût du contrepoint savant : il l'allège cependant, assouplit la mélodie, et surtout apporte à la bichoralité une modification riche d'avenir. Aux deux chœurs d'égale importance, il substitue une disposition en « grand chœur » à cinq parties et « petit chœur » de quatre solistes : ce sera la forme définitive du motet à la française.

   L'évolution se poursuit avec Antoine Boesset (1586-1643), dont les messes à quatre voix, toujours d'une stricte polyphonie, sont accompagnées d'une basse continue réalisée instrumentalement : rupture définitive avec l'instinct musical de la Renaissance, par le besoin, caractéristique du baroque, de donner corps à l'harmonie sous-entendue. Boesset écrit d'autre part des motets à une et deux voix et basse continue. L'ensemble de cette œuvre, un peu aride, témoigne certainement de l'influence des compositeurs italiens avec qui Boesset était en relation, et apporte un maillon supplémentaire dans l'élaboration du grand motet. Son successeur, Jean Veillot († 1661), introduit une nouvelle transformation d'importance : dans ses motets à « grand » et « petit » chœurs, à la manière de Formé, il ajoute des parties instrumentales. S'il est possible que les instruments aient doublé les voix dans certaines œuvres de ses prédécesseurs, ils prennent leur autonomie dans celle de Veillot, et apparaissent à découvert dans des ritournelles entre les versets. Désormais, tous les éléments structurels du grand motet français sont en place.

   Il reste à Étienne Moulinié (v. 1600-v. 1669) à assouplir toutes ces formes, au contact à la fois de l'air de cour et de l'Italie. D'origine languedocienne, il apporte à la musique française une chaleur plus méridionale, quelque fantaisie et un esprit de synthèse qui va lui permettre d'allier des styles et des genres restés jusqu'à lui imperméables les uns aux autres. Dans sa Missa pro defunctis, il reste fidèle au strict contrepoint. Dans ses motets, dans ses Meslanges (1658), se souvenant qu'il est lui-même compositeur d'airs de cour, il crée un véritable style concertant : un soliste s'oppose ici à un tutti ; là, les membres d'un trio dialoguent entre eux et avec l'ensemble ; partout, la mélodie accompagnée s'inspire de l'air profane, lui emprunte sa grâce, son expressivité et jusqu'aux procédés italiens destinés à souligner musicalement les suggestions du texte. Son Cantique de Moïse (18 versets à 2, 3, 4 et 5 voix) confine à l'histoire sacrée et à la cantate italienne.

   La nomination de Henry Du Mont (1610-1684) à la chapelle royale (1663) correspond de peu au début du règne personnel de Louis XIV, et c'est avec lui que les potentialités du motet français vont s'épanouir, en partie grâce à la réforme que le roi apporte à l'organisation de sa chapelle, dont il augmente les effectifs et les ressources. Né à Liège, Henry de Thier (francisé en Du Mont) s'installe à Paris vers 1640 ; organiste à Saint-Paul, claveciniste du duc d'Anjou (1652), de la reine (1662), compositeur de la chapelle (1672), il cumule les fonctions, les titres et les honneurs. Ses Cantica Sacra (1652) sont de petits motets à une ou plusieurs voix et basse continue, à la manière italienne ; les motets récitatifs dont il publie plusieurs recueils, son Dialogus de anima avec symphonie (1668 non publié) marquent une série d'étapes importantes dans l'assimilation par l'art sacré de tous les apports du chant profane, et l'élaboration d'un récitatif dramatique adapté au chant religieux. Dans ses grands motets à double chœur, Du Mont réussira une admirable synthèse entre le grand contrepoint à cinq voix traditionnel du « grand chœur », et l'écriture mélodique, récitative et dramatique réservée aux solistes du « petit chœur », chantant isolément ou en ensembles. Toutes les formes musicales utilisées en France de son temps trouvent ici leur emploi, et l'orchestre, à cinq parties à la française ou en trio à l'italienne, élargit encore la palette de cet admirable musicien (Memorare, inter flumina Babylonis, Magnificat…).

   Jean-Baptiste Lully (1632-1687) suivra, dans les quelques grands et petits motets qu'il a laissés, la ligne tracée par Du Mont, accentuant l'aspect dramatique au contact de l'opéra, mais sans dépasser la vigueur des chœurs polyphoniques de Du Mont (Miserere, Dies irae, De profundis, Te Deum…). Marc Antoine Charpentier (1643-1704) reste le maître incontesté de la musique sacrée en France au XVIIe siècle. Parti jeune pour Rome où il fut l'élève de Carissimi, il en rapporta un style qui le distingue essentiellement des compositeurs français, à l'exception peut-être de Moulinié, avec qui son art semble avoir maintes affinités. Musicien de la duchesse de Guise, du Dauphin, il ne put accéder en 1683 à la charge de compositeur de la chapelle royale, en raison d'une grave maladie : c'est au collège Louis-le-Grand puis à la Sainte-Chapelle qu'il exerça jusqu'à sa mort. Son œuvre immense (28 volumes manuscrits) est infiniment variée : messes (a cappella, avec instruments, à 1, 2, 4 chœurs), motets de solistes, à grand chœur ; psaumes, hymnes, dialogues, leçons de ténèbres, oratorio : il a touché à tous les genres. Ses grands motets à double chœur et symphonie sont construits selon le schéma de Du Mont et de Lully, mais l'écriture en est plus diversifiée, l'apport italien plus évident. L'orchestration elle aussi s'élargit, laisse parler les flûtes, les violons en trio, les violes, parfois les cuivres. Les œuvres à voix seule, avec basse continue et souvent une « symphonie », semblent avoir la préférence de Charpentier, et sa série de Leçons des ténèbres, où l'art du chant orné issu de l'air de cour se marie avec un remarquable sens du récitatif, sont parmi les plus remarquables pages qu'il ait laissées. La fermeté de l'écriture, la variété des styles, la force de l'expression et la diversité de l'instrumentation donnent à Charpentier une place inégalable. Seul en France ­ Moulinié excepté ­ il a pratiqué l'oratorio à la manière de Carissimi, sous le titre d'Histoires sacrées, œuvres peut-être plus extérieures, écrites pour le collège (Reniement de Saint-Pierre) ou pour la Sainte-Chapelle (Jugement de Salomon).