Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
F

figuré (chant)

Expression dont la signification doit être reliée à l'un des sens du mot figure, celui de « signe d'ornementation ».

On parlait de « chant figuré » (ital. canto figurato) pour désigner une ligne vocale ornée au moyen de procédés généralement assez stéréotypés.

figuré (choral)

Forme particulière à certains chorals d'orgue des XVIIe-XVIIIe siècles dans laquelle chaque motif est présenté d'abord sous forme d'une entrée en imitations (souvent strette ou entrée de fugue), ensuite en valeurs longues énonçant le texte original exact.

Du nom de son principal introducteur, on l'appelle parfois « choral à la Pachelbel ».

figurée (musique)

On désignait ainsi dans la musique religieuse du XVIIe au XIXe siècle les pièces musicales écrites par les compositeurs, par opposition au plain-chant liturgique. Il arrivait même (Berlioz en est coutumier) que l'on opposât tout simplement la « musique » au « plain-chant ». L'expression a succédé à la musica mensurata que le Moyen Âge opposait au planus cantus ou cantus ecclesiasticus.

filé (son) (en ital. filar un suono, filar la voce)

Ce terme, synonyme de celui de messa di voce employé par les maîtres de chant anciens, s'applique à la voix humaine mais aussi aux instruments à archet. Sur une longue note tenue, le son est d'abord émis, pianissimo, augmenté graduellement ensuite jusqu'au forte, puis diminué à nouveau.

filets

Dans les instruments à cordes, étroites bandes incrustées sur les bords de la table et du fond pour les renforcer et éviter l'apparition de fissures.

film (musique de)

Les relations entre le cinéma et la musique sont multiples, profondes, complexes, et aussi anciennes que le cinéma lui-même. On sera donc contraint ici de n'évoquer qu'en passant certains aspects de la question, tel celui de la « biographie filmée de musicien », genre qui, à quelques exceptions près (Abel Gance sur Beethoven, Traugott Müller sur Wilhelm Friedemann Bach, Ken Russel sur Tchaïkovski, Jean-Marie Straub sur Jean-Sébastien Bach, Milos Forman sur Mozart), a inspiré peu de films marquants ; ou telle la comédie musicale américaine, expression cinématographique qui a suscité de nombreux chefs-d'œuvre, mais qui, du point de vue proprement musical, puise ses auteurs, son style, ses formes dans un répertoire destiné à la scène. On s'attardera plutôt sur les fonctions et les procédés propres à la musique de film, avant d'en esquisser un parcours historique.

Les fonctions de la musique de film

Où situons-nous, quand nous regardons un western classique, l'orchestre qui joue sur des images de chevauchée ? Certes pas quelque part dans le paysage ou dans le « hors-champ » de l'image, où il serait caché à notre vue ­ sauf quand le réalisateur veut en tirer un gag burlesque ou critique, comme Mel Brooks dans Le shérif est en prison ou Jean-Luc Godard dans Sauve qui peut la vie (1980). Nous le situons dans une sorte de « proscenium », d'avant-scène imaginaire, de fosse d'orchestre, là où se place l'orchestre d'opéra, là où se plaçait le pianiste du cinéma muet. Par ailleurs, il arrive fréquemment que l'élément musical soit intégré dans l'action du film, par l'intervention de chanteurs, d'instrumentistes, d'orchestres, de tourne-disques, de postes de radio, etc. ­ donc qu'il soit « situé » imaginairement dans le champ ou le hors-champ de l'image. Cette musique « dans le film » (que, selon les auteurs, on appelle « diégétique », « objective », ou « naturelle ») tenait une grande place dans les premiers films sonores, où l'on manifestait un étonnant souci de légitimer l'audition de musique dans l'action, par la vision de musiciens de rue, de gramophones, etc., comme si, le son venant de derrière l'écran, on ne savait pas où placer la musique de film, qu'on avait jusqu'alors si facilement admis d'entendre venant de dessous l'écran, jouée par le pianiste ou l'orchestre de service. Peu à peu se sont créés des usages de mise en scène et, chez le spectateur, des habitudes de perception, selon lesquels il n'y a pas de séparation rigoureuse entre la musique « du film » (de proscenium) et la musique « dans le film ». De même que, dans l'opéra, un instrument soliste ou un petit ensemble jouant sur la scène s'intègre sans rupture dans le tissu musical de l'orchestre principal situé dans la fosse, de même il est fréquent de voir, au cinéma, un personnage jouer au piano un thème qu'accompagne ou que prolonge un « orchestre fantôme ». Abel Gance est allé jusqu'à sonoriser des images de Beethoven « composant » sa Symphonie pastorale « au piano » par l'audition orchestrale de cette œuvre. Il ne fit qu'accentuer un procédé répandu.

   Pourquoi une atteinte aussi grande à la « vraisemblance » choque-t-elle moins le spectateur qu'un minime « faux raccord » visuel ? Sans doute parce que dans le film la musique, retrouvant les fonctions qu'elle assure déjà dans l'opéra, semble représenter un lieu transcendant toutes barrières de temps et d'espace. C'est elle qui aide à passer en quelques secondes du jour à la nuit, d'un continent à un autre, d'une génération à l'autre. Non assujettie aux lieux que montre l'image, pouvant à la fois s'y fixer (musique « dans le film ») et s'en envoler, elle est une espèce de plaque tournante spatio-temporelle, comme dans certaines histoires de science-fiction, où un « trou » dans le continuum permet de franchir temps et espace à volonté. Un des premiers exemples connus dans le cinéma parlant est une scène du film Hallelujah (1929) de King Vidor, où une brève chanson de Noirs commencée sur le bord du fleuve se continue sans transition sur le bac qui sert à le franchir, et se termine, le couplet suivant, de l'autre côté de la rive. Dans ce cas, la chanson a servi, entre autres, à contracter la perception du temps. La musique, dans le film, agit sur la perception du temps : donnée si élémentaire, si universelle, qu'on s'étonne de ne pas la voir plus souvent énoncée. Ainsi la musique peut-elle aider à franchir des sauts dans le temps en direction du futur ou du passé (« flash-back »). De même, elle sert souvent, du point de vue dramaturgique, à dilater le temps, à étirer indéfiniment une situation de suspense (scènes de meurtre imminent, chez Hitchcock, par exemple). En même temps qu'elle dilate ou qu'elle contracte, elle assure un lien, une continuité entre des plans cinématographiques distincts, qu'elle suture, qu'elle fait tenir aussi solidement que le ruban adhésif utilisé au montage !

   De même, dans l'opéra, l'action se fige quand le soliste attaque son air, puis se précipite dans les récitatifs. Des réalisateurs comme Alfred Hitchcock, Sergio Leone, Stanley Kubrick ont su utiliser cette fonction dilatante de la musique pour étirer à l'infini des scènes d'attente ou d'affrontement. Ce sont là des rôles hérités de la convention, que certains dénoncent, mais qui font partie du « vocabulaire » de la mise en scène cinématographique, et ne doivent pas être tenus pour négligeables.

   Comme elle agit sur la perception du temps, la musique influence celle de l'espace, autre élément du langage cinématographique. Son espace propre (généralement celui, large et mouvant, d'un orchestre symphonique) joue par rapport à l'espace visuel du film pour le prolonger, le contrarier, l'élargir, lui faire écho, et plus rarement pour le rétrécir : comme si la musique avait souvent pour rôle d'ouvrir un espace que le cadre visuel du film a dû forcément rapetisser et concentrer. Enfin, elle joue une fonction évidente de ponctuation : tel accord de trombones, telle percussion sur un geste, une réplique ou un plan les isole des autres, les détache, découpe l'enchaînement visuel en créant un effet de sens parfois aussi important que la ponctuation dans la phrase ; et l'on sait qu'un déplacement de virgule ou de point peut modifier de fond en comble le sens d'un texte.

   Élément de ponctuation et de découpage de la narration, moyen de modeler l'espace-temps du film, de le contrarier ou de le dilater ­ mais aussi agent inducteur de perceptions dynamogéniques (c'est-à-dire de perceptions de mouvement, d'excitations corporelles créées chez le spectateur par le son, qui le font participer plus intensément) ; mais aussi, et encore, agent synesthétique, jouant sur des correspondances sensorielles de rythme, de couleur, de luminosité, de « grain », entre son et image, la musique de cinéma a donc un rôle qui dépasse largement celui de renforcer la valeur émotionnelle des scènes clés, en aidant à faire pleurer ou frissonner au bon moment. Ce rôle qu'on peut dire « structurel », dans la mise en scène, elle le joue moins par sa valeur propre qu'en tant qu'élément du tout qu'est le film. Certes, il n'est pas un de ces rôles, que nous avons signalés, qui n'ait déjà été utilisé dans les genres dramatiques traditionnels, nô japonais, mélodrame romantique, théâtre de foire, cirque, grand opéra ou théâtre élisabéthain ­ mais pourquoi la musique ne retrouverait-elle pas, ici, comme ailleurs, ses fonctions primitives ?

   Une fonction plus symbolique, moins réductible à un schéma simple, est celle que la musique joue, précisément, dans la structure symbolique du film, en tant que signifiant d'une destinée, d'une promesse, d'une malédiction ou d'un paradis perdu. Dans des films aussi divers que M. le Maudit, de Fritz Lang, l'Intendant Sansho, de Kenji Mizoguchi, India Song, de Marguerite Duras, Rencontres du troisième type, de Steven Spielberg, une simple chanson, voire un motif de cinq notes, dans le dernier film, s'inscrit au cœur du film comme moteur même de l'action, signifiant tour à tour de la compulsion au meurtre (Lang), du lien avec la mère perdue (Mizoguchi), de l'amour mort et éternel (Duras), d'un espoir de communication galactique (Spielberg). Plus qu'un personnage, la musique tient la place d'une sorte de « fatum », incarnant la substance même du désir qui agite les personnages, le metteur en scène, les spectateurs eux-mêmes. Et cela (c'est ici que beaucoup de musiciens se montrent hostiles ou méfiants), quelle que soit, finalement, la « valeur » de cette musique en soi. Qu'est-ce qu'une « bonne » musique de film ? Les meilleurs musiciens de l'écran, les plus grands réalisateurs déclarent souvent que c'est celle qui se met au service du film comme totalité. La mode récente (inaugurée, semble-t-il, au Japon) des concerts de musique de film permet de constater que beaucoup des plus belles musiques de l'écran, arrachées au film, paraissent souffrir de redondance, de linéarité. Mais, si l'on arrangeait le Doppelgänger de Schubert ou les Quatre Chants sérieux de Brahms pour violon et piano, supprimant d'un coup le texte et la voix, leur grandeur ne serait-elle pas affaiblie ? La question de la valeur « intrinsèque » de la musique de film peut paraître donc un peu scholastique et oiseuse, comme le serait celle de la valeur en soi de beaucoup de musiques religieuses ou rituelles.

   Le « transfert symbolique », comme dit Jean Mitry, qui permet notamment à la musique de transporter avec elle l'idée d'un destin, est évidemment fréquemment lié à l'utilisation du procédé wagnérien de leitmotiv. Chose curieuse, ce n'est pas toujours quand elle épouse émotionnellement le destin du personnage (qu'elle lui est « empathique ») que la musique se trouve personnifier le plus fortement ce destin ; c'est au contraire quand, par rapport à lui, elle se définit comme indifférente, mécanique, commune, collée à ce destin par le hasard d'une coïncidence, d'une simultanéité, d'une rencontre. On peut la dire alors « an-empathique », et combien de moments cruciaux, dans des films, ne sont-ils pas associés au déroulement d'une musique an-empathique, boîte à musique, limonaire de manège, piano mécanique, chanson de gramophone, chanteur qui passait par là ; combien de héros de films ne sont-ils pas morts (plus rarement revenus à la vie) sur les accents indifférents et inéluctables d'une musique « an-empathique ».