orgue (suite)
Le XVIe siècle
Au XVIe siècle, apparaissent l'édition musicale et les premières pièces spécifiquement instrumentales. Les œuvres destinées à l'orgue ne se différencient d'ailleurs pas toujours de celles que l'on joue à l'épinette, au virginal, voire au luth. Mais des organistes écrivent des œuvres qu'ils destinent expressément à leur instrument, principalement en Italie, en Flandres et en Espagne, la France se montrant plus en retard en ce domaine. Le siècle est dominé par les figures de l'Espagnol Cabezón, spécialiste des variations, du Flamand Sweelinck, auteur de fantaisies, toccatas et variations, et d'une riche école italienne, où l'on peut relever les noms de Cavazzoni, Merulo, A. et G. Gabrieli, Banchieri, Luzzaschi, Palestrina. Les Italiens multiplient toccatas « per l'elevazione » ou « sopra i pedali », ricercari, canzone, pastorales, etc., sans que ces pièces aient toujours une forme, une attribution instrumentale et une fonction bien précises.
Le XVIIe et le XVIIIe siècle
Ils voient à la fois l'apogée de l'instrument classique et baroque et de la fonction liturgique de l'orgue, et la consécration de l'autonomie de la musique instrumentale. C'est aussi un temps traversé de courants mystiques profonds (mystiques français du XVIIe siècle, piétistes allemands du XVIIIe, etc.), courants qu'illustreront des compositeurs de génie. En Espagne fleurissent tientos et variations sous la plume de Correa de Arauxo, puis de Cabanilles, ainsi que des « battaglie » qui font sonner les batteries d'anches en chamade des instruments ibériques. L'Italie, après avoir jeté ses feux au XVIe siècle, ne produit plus d'œuvres marquantes, et l'Angleterre développe ses voluntaries avec Blow, Purcell, Boyce ou Stanley. Mais les deux pays dominants sont alors la France et l'Allemagne.
En France, une première génération, au début du XVIIe siècle, celle de Titelouze et de Racquet, pratique les versets contrapuntiques et les fantaisies polyphoniques. Avec Roberday et Louis Couperin (1650), le style se fait moins sévère, sous l'influence de l'art italien. Mais c'est ensuite que l'orgue français connaît ses plus grandes heures. C'est alors le triomphe des grandes pièces faisant sonner le riche plénum de l'instrument classique (grand jeu, plein jeu, préludes, fantaisies), encadrant des pages de caractère poétique, mettant en valeur un ou plusieurs des jeux de détail dont l'orgue français abonde : récits, basses et dessus, duos, trios, dialogues, etc. Telle est l'ordonnance type de ces Livres d'orgue qui vont éclore à profusion en une centaine d'années, de Nivers (1665) à M. Corette (1734), en passant par Lebègue, Jullien, Gigault, Raison, Boyvin, Guilain, Du Mage, Clérambault, Marchand, les sommets du genre étant les deux messes de François Couperin (1690) et le Livre d'orgue de Grigny (1699). Dès 1730, cependant, l'orgue est envahi par les frivolités de style et les coquetteries de virtuoses, empruntées au genre mondain du clavecin, étalant à profusion les variations brillantes (Daquin), paraphrasant les chansons populaires (noëls), et, à la fin du siècle, introduisant des effets descriptifs (orage, tonnerre, oiseaux) dans des pièces imitatives d'un goût douteux et d'une substance musicale extrêmement indigente.
En Allemagne, les musiciens du sud sont influencés par l'Italie, dans leurs chorals, leurs fantaisies ou leurs préludes, d'un caractère volontiers serein et méditatif : Froberger, Muffat, Fischer, Pachelbel. Au nord, au contraire, se développe un art puissant, à la fois dans le développement polyphonique (fugues, chorals variés) et dans la virtuosité proprement organistique (toccatas), en des architectures sonores solidement charpentées. C'est la manière des disciples de Sweelinck, Scheidt, Scheidemann, puis de Boehm, Bruhns, Hanff, Lübeck et surtout Buxtehude.
Tous les éléments sont réunis pour que le prodigieux génie synthétique de J. S. Bach les rassemble, les fonde et les développe en une œuvre unique en son genre, qui résume les deux siècles précédents et semble en épuiser toute la sève : ni les frères Haydn ni Mozart n'apporteront à la musique d'orgue d'éléments majeurs (les deux admirables Fantaisies de Mozart, que l'on joue à l'orgue, étaient destinées à un instrument mécanique).
Le XIXeet le XXe siècle
Le XIXe siècle et la première moitié du XXe, tout entiers tournés vers la symphonie et l'opéra, négligent d'abord l'orgue, et pour plusieurs décennies. En Allemagne, les œuvres de Schumann, de Mendelssohn, de Brahms et de Reger coulent un langage et une pensée romantiques dans des formes héritées de Bach (préludes et fugues, préludes de chorals) ; seules les quelques pages de Liszt font entrevoir un monde expressif résolument neuf. En France, après un siècle d'effroyable décadence que couronne un Lefébure-Wély, la double influence des organistes demeurés fidèles à la grande tradition germanique (Lemmens, Hesse) et de l'effort de curieux et de chercheurs pour retrouver la musique ancienne et renouer avec le plain-chant, va aboutir à un renouveau d'abord marqué par Boély, puis par Saint-Saëns et Franck, dont les premières pièces datent de 1862.
Le rayonnement personnel de Franck amène à l'orgue de nombreux disciples. Mais c'est Widor qui va former au Conservatoire de Paris la plus réputée des écoles d'organistes, plaçant la France au premier rang mondial. Widor crée la symphonie pour orgue, grande fresque qui fait valoir les instruments de Cavaillé-Coll, et prône une improvisation en style rigoureux (sonate, choral, fugue, etc.). Parmi ses disciples, Vierne, Tournemire, Dupré sont les meilleurs représentants du style symphonique, qui se tourne aussi vers la paraphrase des motifs grégoriens.
Mais la musique d'orgue reste le fait d'organistes-compositeurs. Ni Debussy ni Stravinski n'écrivent pour l'orgue, et les œuvres que lui consacrent un Ives ou un Schönberg sont trop peu nombreuses pour être significatives. Deux compositeurs renouvellent le langage de l'orgue et l'extirpent de son épaisse gangue symphonique : Jehan Alain, trop tôt disparu, et Olivier Messiaen, dont l'œuvre profondément originale ouvre à l'orgue des chemins nouveaux. Auprès d'eux, ni Heiller ou David en Autriche, ni Hindemith en Allemagne, ne font figure de novateurs.
Depuis les années 60, les compositeurs portent un intérêt nouveau à l'orgue. Ce ne sont plus exclusivement des organistes confinés dans le langage de leur chapelle, mais des musiciens qui entrevoient des possibilités expressives nouvelles sur l'instrument à tuyaux : Kagel, Ligeti, Yun, Darasse, Pablo, Zacher, Boucourechliev ouvrent des voies qui pourraient mener, avec un instrument mieux adapté à leur imagination, à une renaissance de l'orgue.