Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
C

canto carnialesco (ital. ; « chant carnavalesque »)

Chant d'origine florentine, de la fin du XVe siècle et des premières décennies du XVIe.

Conçus pour célébrer les fêtes du carnaval et exécutés sur des chars somptueusement décorés, les plus célèbres exemples du genre datent de l'époque de Laurent le Magnifique. Leur style ainsi que leur forme peuvent être associés à la frottola, c'est-à-dire à une chanson simple de caractère populaire et homorythmique. Le canto carnialesco est souvent satirique. Les textes restent pour la plupart anonymes ; en revanche, la musique révèle des noms de compositeurs connus, tels que H. Agricola ou H. Isaac.

cantor

Mot latin signifiant « chanteur », traduit en français par chantre lorsqu'il s'agit des chanteurs d'église et spécialement de ceux chargés du plain-chant, mais qui, conservé tel quel en allemand dans l'Église luthérienne, y a d'abord désigné celui qui était chargé de guider le chant en en donnant l'intonation ; de là le terme est devenu synonyme de « maître de chapelle ».

Il est parfois reproduit dans ce sens en français : c'est ainsi que J. S. Bach fut « cantor » à Saint-Thomas de Leipzig.

cantus (lat. ; « chant »)

1. S'opposant à discantus (déchant), le cantus, dans la polyphonie médiévale, désigne la vox principalis (voix principale) dont le déchant constitue l'ornementation en contrepoint (c'est-à-dire point contre point ou note contre note), de sorte que le chant peut s'exécuter sans le déchant, mais, en principe, non l'inverse.

2. Quelquefois employé au lieu de superius pour indiquer la voix supérieure d'une pièce polyphonique qui, notamment au XVIe siècle, commence à se détacher comme étant la partie la plus intéressante mélodiquement.

3. Différentes catégories de chants sont appelées par des locutions composées, soit selon le genre (cantus planus ou plain-chant ; cantus mensuratus ou chant mesuré, etc.), soit selon le rite correspondant (chant byzantin, chant ambrosien, etc.).

cantus firmus

L'une des acceptions de CANTUS § 3 ayant conservé en français son expression latine.

1. Dans la polyphonie religieuse du XVe siècle et au-delà, l'une des voix de la polyphonie présentant en valeurs plus longues que les autres parties la citation littérale d'un texte connu, généralement liturgique, soit que l'ensemble de la polyphonie en soit le développement, ou l'harmonisation, soit que le cantus firmus intervienne à titre de commentaire pour une citation-référence éclairant le sens du texte. On peut faire remonter la conception du cantus firmus aux teneurs d'organa de l'école de Pérotin, où le chant donné s'étalait en valeurs longues, tandis que les autres voix tissaient une broderie en valeurs courtes. Il arrive fréquemment que le cantus firmus présente un texte latin, alors que les autres voix sont en langue vulgaire. Le mélange se trouve dans le motet au Moyen Âge (G. de Machaut) ; Dufay a écrit une déploration sur la perte de Constantinople qui emploie le même principe, O très piteulx, en lui donnant pour cantus firmus un verset latin des Lamentations de Jérémie. Le procédé du cantus firmus se retrouve jusque dans la musique religieuse du jeune Mozart (motet Benedictus sit).

2. Au XVIIe et surtout au XVIIIe siècle, l'usage du cantus firmus s'étend au répertoire du choral luthérien, qui l'utilise aussi bien dans les cantates religieuses que dans les développements pour orgue, notamment dans le genre dit choral figuré, illustré principalement par Pachelbel, puis par J. S. Bach. Le choral De profundis de Bach, à double pédale (Aus tiefer Noth), en constitue l'un des exemples les plus parfaits.

3. À partir du XVIIIe siècle, la pédagogie a annexé la pratique du cantus firmus en lui enlevant le caractère signifiant qui le justifiait pour le transformer en simple artifice d'écriture, enseigné comme l'une des bases du contrepoint. Le cantus firmus ainsi compris n'est plus dès lors qu'une simple suite de valeurs longues quelconques sur lesquelles l'élève est prié de réaliser certains exercices d'écriture.

4. À l'imitation du cantus firmus ancien, on désigne parfois sous ce nom une mélodie quelconque lorsque, dans un ensemble polyphonique, elle se présente en valeurs plus longues que son entourage : un exemple célèbre en est le choral qui termine la 2e symphonie d'Arthur Honegger.

canzona (ital. ; « chanson » ; pl. canzone ou canzoni)
ou canzone (ital. ; « chanson » ; pl. canzone ou canzoni)

Terme italien au sens plus diversifié dans le temps et dans la forme que le mot français chanson.

Il peut très bien ne pas s'appliquer à une pièce vocale, bien que le caractère mélodique soit toujours présent sous une forme ou sous une autre, rappelant ainsi l'art vocal. Dérivant du canso provençal, la canzona est d'abord une forme poético-musicale cultivée en Italie, dès le XIIIe siècle, mais, cette fois, elle est polyphonique et pas nécessairement chantée. La forme en est strophique.

   Plus tard, vers la fin du XVe siècle et au début du siècle suivant, on donne le nom de canzona à des compositions profanes éloignées du genre populaire (frottola, strambotto). Ce caractère sérieux se retrouve bientôt dans le madrigal italien. En effet, vers le milieu du XVIe siècle, la canzona désigne au contraire une composition légère, populaire et de forme strophique, où l'écriture verticale domine afin de faciliter la compréhension du texte. Né à Naples, ce type de composition se répand dans toute l'Italie et reçoit le titre de villanella ou villota, comme le recueil d'O. de Lassus (2e Libro de Villanelle, Moresche ed Altri Canzoni…, Paris, 1581), qui contient le célèbre Matona mia cara à 4 voix.

   Entre-temps, sous l'influence franco-flamande, les musiciens italiens font aussi des transcriptions de chansons polyphoniques de l'école parisienne (en particulier celles de Cl. Janequin), de Josquin Des Prés et de bien d'autres, pour le luth et pour les instruments à clavier. Un musicien particulièrement actif dans ce domaine est Fr. da Milano, mais on peut citer également les noms de Cl. Merulo ou de G. Cavazzoni, l'auteur d'une Canzon sopra Il est bel est bon du Parisien Passereau.

   Après 1560, la forme instrumentale de la canzona francese se développe rapidement ; elle peut soit être une adaptation d'une pièce vocale, soit n'en prendre qu'une phrase, ou encore devenir une composition originale dans le même esprit, un des liens essentiels avec la chanson étant le rythme caractéristique du début : blanche-noire-noire. Cette musique devient plus idiomatique et mène à l'éclosion de la sonate. Les canzone les plus célèbres ­ destinées à tout un assortiment d'instruments auxquels les voix peuvent se joindre ­, et peut-être aussi les meilleures, sont l'œuvre de G. Gabrieli. Mélangées à des sonate, genre plus solennel, ces canzone sont publiées à Venise chez Gardano (Sacrae Symphoniae, 1597 ; Canzoni e Sonate, 1615), ainsi que chez Raverio dans une anthologie datant de 1608. L'écriture en imitation demeure fréquente dans ces pièces, mais on y trouve également de nombreux passages homorythmiques en même temps que plusieurs thèmes. Une variété rythmique est aussi introduite au moyen de sections contrastantes (binaires/ternaires) ; les instruments sont souvent répartis en deux groupes qui dialoguent entre eux. Les lignes mélodiques de Gabrieli (surtout celles des cornetti) peuvent recevoir une ornementation en diminution, du genre proposé par le « chef des instruments à vent » à Saint-Marc de Venise, le cornettiste G. dalla Casa, dans son ouvrage théorique (1584).

   Encore une fois, la canzona évolue vers une forme instrumentale, sans doute sous l'influence de sa voisine la sonata et sous celle du grand maître G. Frescobaldi, qui compose à la fois des canzone traditionnelles et d'autres fondées sur un seul thème avec variations. Ce dernier type de canzona, destiné aux instruments à clavier, continue à être écrit jusqu'au XVIIIe siècle. J. S. Bach en a signé un exemple, la Canzona (BWV 588, v. 1709).