Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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Portugal (suite)

La période italienne

C'est en 1682 que le premier opéra italien avait été présenté à Lisbonne. Un demi-siècle plus tard, son influence avait gagné tout le Portugal. Le roi Jean V, qui devait fonder une école de musique religieuse et ne cessa d'encourager l'activité musicale des couvents, était passionné d'italianisme au point d'envoyer les compositeurs les plus doués parfaire leur éducation musicale à Milan ou à Rome. Dès 1711, des représentations profanes, pastorales, loas et zarzuelas, succédaient aux villancicos, lesquels devaient être supprimés en 1723, et les premiers opéras portugais, conçus dans l'esprit et la forme des Italiens, étaient créés avec tout le luxe dont disposait la Cour. Francisco Antonio de Almeida (v. 1702-1755) peut être, ainsi, considéré comme le premier en date des compositeurs dramatiques avec la Souffrance de Socrate (1733). Nombreux sont ceux qui se feront, après lui, un nom dans l'opéra, J. Cordeirao da Silva, maître de chapelle à Ajuda, auteur de 10 opéras ; José de Sousa-Carvalho (1745-1798), maître de musique de la Cour, lui aussi formé en Italie et auteur de 44 partitions à l'italienne ; David Perez (1711-1778), napolitain de naissance, directeur de la chapelle royale ; Jeronymo Lima (1741-1822) ; Luciano dos Santos (1734-1808) ; Antonio Leal Moreira (1758-1819) ; ou Marcos Portugal (1762-1830), auteur de 60 opéras triomphalement accueillis au Portugal, mais aussi en Italie, en Allemagne, en Russie et au Brésil quand, en 1811, il y suivit le roi. Beaucoup de leurs partitions, réalisées à coups de recettes et de formules directement empruntées à l'opéra napolitain, ont cependant une verve, une vigueur, une élégance et souvent une finesse psychologique qui les sauvent de la banalité.

   Si de grandes villes comme Porto disposaient alors d'une scène lyrique, Lisbonne bénéficiait de 4 théâtres d'opéra (le San Carlo a été inauguré en 1793) aussi somptueusement subventionnés et qui pouvaient en donner des présentations exemplaires. C'est au Bairro Alto que la célèbre cantatrice Luisa Todi fit ses débuts (1770) avant de s'expatrier et de connaître des triomphes dans toutes les grandes capitales européennes. Cette prodigieuse activité dans le domaine de la musique vocale, tant religieuse que dramatique, n'a pas cependant paralysé les autres expressions. Entre 1721 et 1729, Domenico Scarlatti séjourna à Lisbonne comme maître de la chapelle royale et professeur de la princesse Maria Barbara, et son influence fut déterminante sur toute l'école portugaise de clavecin, en particulier sur Frei Jacinto et Carlos Seixas (1704-1742), auteur d'innombrables pièces (700 toccate), qui font la synthèse entre le style napolitain et un lyrisme typiquement national. Dans le sillage de ce dernier, F. Xavier Baptista écrira des sonates, qui s'inspirent également de Haydn et de Mozart. Si les défenseurs des instruments à cordes sont alors plus discrets, organistes, guitaristes et harpistes ont également contribué à prolonger, pendant tout le XVIIIe siècle, l'âge d'or de la musique portugaise. Avec Cordeiro da Silva, Felipe de Annunciaçao et Joaquin de Sant'Anna en sont alors les organistes les plus réputés, la guitare se réclamant principalement d'Antonio de Abreu et Antonio da Silva Leita (1759-1833), auteurs de sonates et de traités.

Vers une musique nationale

Pendant les premières décennies du XIXe siècle, l'influence italienne continue à s'étendre sur les productions lyriques, et l'opéra en demeure la forme suprême. Mais José Ferreira da Veiga (1838-1903), Antonio Luis Miro (1815-1883), Francisco de Sà Noronha (1820-1881) ou Xavier Migone (1811-1861) n'ont pas l'envergure de leurs prédécesseurs, et Rossini triomphe aisément de tels imitateurs. L'œuvre de Silvestre Serrao (1801-1877), qui passe pour le rénovateur de la musique sacrée en l'écrivant dans le style italien de l'époque, ne bénéficie pas d'un long sillage. Beaucoup plus important est alors Joao Domingo Bontempo (1775-1842), pianiste, chef d'orchestre, compositeur et le premier symphoniste que le Portugal a connu. Après l'invasion napoléonienne et le retour du roi, il a fondé la Société des concerts, puis le conservatoire de Lisbonne (1830), révélant ainsi les grandes partitions classiques.

   De longues années s'écouleront cependant avant que le Portugal, tout comme l'Espagne à la même époque, puisse s'enorgueillir de créateurs originaux et puissants. Encore ne connaîtra-t-il jamais un Albeniz ou un de Falla, mais des artisans de bonne volonté persuadés qu'un courant nationaliste favorisé par des références aux thèmes populaires pourrait donner naissance à une musique universelle. Encouragés par les nombreux théoriciens qui exploitaient cette hypothèse, et préoccupés d'éviter les rapprochements avec l'Espagne, ils ont su dégager de l'héritage folklorique (modinhas et cantigas) un art cordial, familier et d'une saveur discrète qui inaugure la troisième période, qu'on a pu dire « éclectique », de la musique portugaise. Augusto Machado (1845-1924) en est l'un des pionniers avec ses opéras dans le goût de Massenet, tandis qu'Alfredo Keil (1850-1907) et Joao Arroio (1861-1930) insisteront, le premier surtout (son opéra Serrana), sur un esprit nationaliste s'inspirant du folklore. C'est dans le même esprit qu'on rencontre, peu après, Alexandre Rey Colaço (1854-1928), Oscar da Silva (1870-1958), élève de Clara Schumann, Francisco Lacerda (1869-1934) et Luis Costa (1879-1960), attentifs aux raffinements de l'école française, et jusqu'à Ivo Cruz (1901), ainsi que José Vianna da Motta (1868-1948) dans ses pages symphoniques, virtuose de classe internationale qui se réfère, pour sa part, aux procédés de Wagner et de Liszt.

   La domination italienne qui s'était maintenue pratiquement jusqu'en 1870 cède peu à peu devant l'influence française, celle de Debussy principalement, dont Luis de Freitas Branco (1890-1955) fut le promoteur au cours d'une double activité de compositeur et de pédagogue. C'est sous sa direction que plusieurs compositeurs se sont formés avant de devenir les plus brillants de leur génération : Frederico de Freitas (1902-1980), F. Lopez Graça (1906-1994), également élève de Koechlin, ou J. Braga Santos (1924). Au cœur d'une discipline commune, ils ont trouvé les éléments d'une évolution diamétralement opposée, de Freitas se faisant successivement le champion de la polytonalité, puis de la musique concrète et de l'électronique ; Lopez-Graça suivant les traces de Stravinski avant de revenir au folklore ; Braga Santos demeurant néoclassique à la manière de certains compositeurs britanniques (V. Williams ou W. Walton), qui sont ses maîtres à penser. L'influence française, qu'on perçoit encore chez certains disciples de Paul Dukas, Roger-Ducasse et Nadia Boulanger comme A. J. Fernandez (1906) et J. Croner de Vasconcellos (1910-1974), cédera alors devant celle de Hindemith, avec Maria de Sousa Martins (née en 1926), Felipe Souza (1927) et Luis Felipe Pires (1934) ; puis devant celle des dodécaphonistes, dont les premiers adeptes furent Claudio Carneyro (1895-1963), F. Correia de Oliveira (1921) et Alvaro Cassuto (1938). Exceptionnellement, cette école éclectique se réclamera de Bartók, avec Victor Macedo Pinto (1917) et de ses avant-gardistes ; R. Peixinho (1940) ou Emmanuel Nunes (1941) ne trahiront pas les grands courants internationaux où s'élabore la musique d'aujourd'hui.

   Il faut ajouter que, depuis 1960, la fondation Gulbenkian fait un effort sans précédent pour la vie musicale portugaise, tant par l'exhumation et l'édition des maîtres anciens que pour le soutien qu'elle apporte aux compositeurs de la jeune génération.