tchèque (République)
Slovaquie (suite)
La période romantique et le réveil national
(1800-1890). L'année 1803 voit se créer un groupement de musiciens bohêmes (la Societa) qui donne des concerts réguliers ; en 1808 naît une Association pour le développement de l'art musical en Bohême, qui permet l'ouverture d'un conservatoire en 1811. La première mission de ce dernier est essentiellement instrumentale : former des exécutants pouvant ensuite faire carrière dans les orchestres européens. De l'école de Bedřich Vilém Pixis, puis Mořic Mildner sortent des violonistes virtuoses tels que Josef Slavík (1806-1833), Reymund Dreyschock (1824-1869), Jiří Vojtečh Kalivoda (1800-1866), Ferdinand Laub (1832-1885).
Pavel Křížkovsk'y écrit de nombreux chœurs partant de mélodies populaires moraves, qui sont encore chantés aujourd'hui concurremment avec ceux de Dvořák, Smetana et Janáček. Vers 1840 paraissent des lieder tchèques, proches par l'esprit du lied allemand, à la base de la Guirlande de chants patriotiques de František Jan Škroup (1801-1862), qui écrit en 1826 le premier opéra en langue tchèque, Drátenik (« le Raccommodeur de porcelaine »).
Alors que quelques membres des classes aisées, des juristes dans le cas de Leopold Eugen Měchura (1804-1870) et Bedřich Kittl (1809-1868), connaissent quelques succès à l'étranger avec des cantates et opéras aux livrets tchèques, des instituteurs tels que František Matěj Hilmar (1803-1881) redonnent vie à la musique de danse, alliant la polka, la valse à des figures spécifiquement tchèques telles que třasák (trémousseuse), rejdovák, skočná (sauteuse), sousedká (bourrée lente).
Puis vient Bedřich Smetana (1824-1884). Profondément influencé par Liszt, Berlioz, Schumann et Chopin, Smetana possède cette dimension européenne qui va donner au Théâtre tchèque provisoire (fondé en 1862), puis à l'association progressiste Umělecká Béseda (Union des artistes) une œuvre pour la scène qui impose la culture tchèque, tout en la resituant dans le romantisme musical d'époque. La première des Brandebourgeois en Bohême le 5 janvier 1866 reçut un accueil triomphal. Puis la Fiancée vendue consolide pour toujours l'alliance de sujets populaires avec une musique savante digne des grandes scènes européennes. L'opéra historique Dalibor (1867) reste incompris, le public attendant une nouvelle « fiancée vendue ». L'œuvre ne fut réhabilitée qu'en 1886, alors que Smetana venait de disparaître, sourd et aliéné (12 mai 1884). Il laissait aux Tchèques un cycle de poèmes symphoniques, Ma Vlast (1874-1879), qui, depuis cent ans, sert de référence, si ce n'est d'hymne, à la musique nationale tchèque.
Épigone de Brahms pour le public germanique, Antonín Dvořák (1841-1904) va chercher en Angleterre et aux États-Unis une consécration internationale. Elle devait être définitive par l'audience de ses cinq dernières symphonies et de ses cinq derniers quatuors à cordes. Mais ce sont ses quatre poèmes symphoniques sur la Guirlande de Karel Jaromír Erben, l'Ondin, la Sorcière de midi, le Rouet d'or et le Pigeon des bois, qui forment le véritable testament spécifiquement tchèque que Dvořák léguait à ses successeurs du XXe siècle : Suk, Novák et surtout Janáček.
De même, l'ensemble de l'œuvre dramatique de Zdeněk Fibich (1850-1900) permettait à la ballade romantique allemande de devenir spécifiquement tchèque : citons Sarká (1897) et son dernier cycle pianistique Nálady, dojmy a upomínky, journal intime qui devait provoquer ceux de Suk, Janáček et Martinů.
À côté de ces gloires nationales, des compositeurs plus éclectiques apportent leur pierre à l'édifice d'une musique tchèque spécifiquement nationale : le flûtiste Vilém Blodek, les chefs d'orchestre Karel Bendl, Karel Kovařovic, le mélodiste spontané qu'était Oskar Nedbal, créateur de l'opérette tchèque, à l'exemple viennois de la dynastie des Strauss, le pianiste Josef Richard Rozkošn'y.
De 1890 à 1939
Cette riche période débute sur une querelle des anciens et des modernes, aux implications politiques. Tel clan se réclame de Smetana pour affirmer que Dvořák est un compositeur surestimé, tandis que les modernistes reprochent à Smetana ses compromis avec le public de langue allemande. C'est Josef Bohuslav Foerster (1859-1951) qui établit une sorte de trait d'union entre l'époque glorieuse de Smetana et le XXe siècle. Symphoniste, lyrique mélancolique, il permet à la Bohême de passer insensiblement d'une veine patriotique à un impressionnisme chaleureux et tendre, avec lequel la vitalité explosive des œuvres d'un Leoš Janáček fera un contraste saisissant. La grandeur sensuelle des cantates dramatiques d'un Vitězslav Novák (1870-1949) vient encore augmenter le caractère brutal de l'irruption des rapsodies et opéras frénétiques de Janáček. Seule l'œuvre de Josef Suk (1874-1935) fait l'unanimité des tenants d'un romantisme traditionnel et des activistes ouverts aux influences de Debussy et du premier Stravinski. Otakar Ostrčil (1879-1935) se situe dans le sillage de Mahler et sera sensible à la polyphonie de Schönberg.
Le plus grand compositeur tchèque de cette époque reste le Morave Leoš Janáček (1854-1928), œuvrant dans un contexte spécifiquement populaire, en donnant naissance à cette « vibration affective », une identification à la vie et à la nature qui rend immédiatement grandiloquente et passéiste toute l'œuvre de ses meilleurs contemporains, de Novák à Suk. Ces derniers voient ainsi leur fin de carrière obscurcie par cette vague de fond morave que seuls les musiciens d'après-guerre commencent à endiguer.
Dans le sillage de l'intellectualisme formel d'un Novák ou de l'impressionnisme d'un Suk, exerce tout un lot de compositeurs tchèques et slovaques, tels que Rudolf Karel, Ladislav Vycpálek, Jaroslav Kříčka, Otakar Zich, Boleslav Vomáčka (1887-1965), Jaroslav Jeremiáš, Otakar Šin, brillants contrapuntistes. Mais on doit à de nombreux élèves de Novák et Foerster l'excellence des écoles de composition tchèque du XXe siècle, enseignée tout d'abord essentiellement à Prague, puis à Brno : ainsi Otakar Jeremiáš, Karel Boleslav Jirák, Vilém Petrželka, Jaroslav Kvapil, Jaroslav Kříčka, Osvald Chlubna (1893-1971), admirateur de R. Strauss, Václav Kálik (1891-1951), František Pícha (1893-1964).
La création de la République tchécoslovaque, aux lendemains de la Première Guerre mondiale, coïncide avec la reconnaissance par les siens du génie de Janáček, musicien d'avant-garde, largement sexagénaire. Les vieux maîtres voyaient leurs élèves attirés par le parisianisme stravinskien, mais également de Prokofiev et de l'école des Six ; d'autres écoutaient Wozzeck à Vienne, alors que la musique « révolutionnaire » de Hindemith intéressait ceux qui cherchaient un nouvel ordre sonore, indépendant de Schönberg. Puis viennent les échos du jazz, le modernisme du premier Chostakovitch, celui du Nez et de Lady Macbeth de Mtsensk. Il se fait encore une scission entre les tenants d'un certain sentimentalisme issu de Dvořák et ceux qui préfèrent l'ordre réaliste plus spectaculaire de Stravinski.
Un créateur domine cette période de recherche, Alois Hába (1893-1973), précurseur de la rencontre de la musique occidentale avec les musiques non écrites extra-européennes. Ses études sur les micro-intervalles étonnent encore les spécialistes qui puisent dans ses théories les musiques athématiques aux nombreux clusters d'après 1960.
De cette période d'entre-deux-guerres émerge Bohuslav Martinů, brillant épigone à ses débuts d'un Roussel et d'un Stravinski et dont l'œuvre immense ne compte plus que des chefs-d'œuvre à partir de l'exil américain.
Quelques noms émergent de cette période de profonde influence occidentale, parmi les compositeurs restés en Bohême : Pavel Bořkovec, Emil Hlobøil, Iša František Krejčí, František Bartoš (1902-1973), Karel Janaček (1904-1972), le plus grand théoricien tchèque de notre siècle, Karel Šrom, le violoniste František Drdla, le pianiste Rudolf Frimml, Jaroslav Řídk'y, Dalibor C. Vačkár (1906-1954), le symphoniste Zdeněk Folprecht (1900-1961), le frère d'Alois Hába, Karel. Quelques créateurs s'essaient à l'opéra populiste sur les traces de Weill et Eisler : le pianiste Jaroslav Ježek, Vít Nejedl'y (1912-1945). Reste la fille de Václav Kaprál, Vítězslava Kaprálová, disparue à 25 ans, digne pendant tchèque de Lili Boulanger.