sonate (genre) (suite)
La sonate classique (env. 1735-1820)
La définition de la sonate classique comme forme musicale dotée de particularités thématiques harmoniques et formelles spécifiques ne devait intervenir que très tard, au cours des années 1840-1850, en plein romantisme. Les théoriciens de l'époque classique se bornèrent à souligner la variété expressive de la sonate en fonction des milieux et des sociétés (J.-J. Rousseau, J. G. Sulzer), à noter l'importance des relations tonales à distance (J. G. Portmann), et à insister sur les similitudes de caractère entre la sonate, l'ouverture et la symphonie (H. C. Koch), sans négliger pour autant leurs différences. Pour Koch, la symphonie, en tant que sonate pour orchestre, d'une part dispose d'un thématisme plus vaste et plus complexe que la sonate instrumentale, et, d'autre part, comporte davantage de relations thématiques à distance et davantage de continuité dans son déroulement global (Versuch einer Einleitung zur Komposition, 1782-1793). [SONATE (FORME)).]
Les critiques violentes lancées contre la profusion de la sonate (cf. l'Encyclopédie) posèrent en fait le problème de la place de la musique purement instrumentale par rapport à la musique vocale.
Alors que la sonate baroque avait été étroitement liée à l'évolution des instruments à cordes, l'histoire de la sonate classique fut largement celle des instruments à clavier : à partir des années 1760 (rappelons que le piano-forte de B. Cristofori date de 1709), un très grand nombre de sonates sont écrites exclusivement pour ce nouvel instrument. Le passage du clavecin au piano-forte coïncida largement, au XVIIIe siècle, avec le passage de la sonate baroque ou préclassique à la sonate classique. Les indications données dans les partitions des années 1750, « pour clavecin ou piano » (« cembalo o pfte »), se transforment en « pour piano ou clavecin » (« pfte o cembalo ») dans les partitions de sonates des années 1770.
Vers la fin du XVIIIe siècle le clavecin disparut des partitions en tant que substitut possible du piano, ce qui ne manqua pas de se traduire sur le plan de l'écriture et de la pratique compositionnelle.
La sonate pour instrument solo (cordes ou vents) avec piano se répandit, elle aussi, largement à la même époque, avec cette différence par rapport à l'époque baroque que l'instrument à clavier, émancipé de son rôle de basse continue, devint le plus important des deux, puisqu'on eut affaire à deux véritables solistes. Les premiers exemples en ce sens, compte non tenu de pages telles que les Pièces en concert de Rameau (1743), datent des années 1760 (cf. les sonates de P. Giardini, D. Pellegrini, L. Boccherini).
À citer également les sonates pour piano à quatre mains de J. C. Bach et Mozart, ou pour deux instruments de Pleyel (deux violons), Haydn (violon et alto) ou Mozart (basson et violoncelle). Dans la tradition des ensembles baroques variables, la sonate « accompagnée » pour piano, très répandue au XVIIe siècle, ajoutait parfois à la partie de piano une partie d'instrument ad libitum (violon, violoncelle ou instrument à vent) relativement facile à jouer. Cette pratique d'exécution et d'édition répondait aux besoins d'une vie musicale assez active, à laquelle participaient volontiers des musiciens non professionnels.
Jusque vers 1770, Haydn appela divertimentos ce que nous considérons actuellement comme des sonates pour clavier. De même, il appela jusqu'en 1795 « sonates pour piano-forte avec accompagnement de violon et de violoncelle » ce que nous considérons actuellement comme des trios. De même, la Sonate op. 47 (pour R. Kreutzer, 1805) de Beethoven porta encore la dénomination « Sonata per il pianoforte e un violino obbligato ». La Sonata per il clavicembalo o forte-piano con violino e violoncello (K 502, 1786) de Mozart est en fait un trio avec partie soliste pour les trois instruments.
La sonate du début du classicisme comportait le plus souvent trois mouvements : rapide-lent-rapide. Cette structure est la plus fréquente chez Haydn et Mozart, et reste dominante chez Beethoven. Dans ces sonates à trois mouvements, l'ordre et la nature des mouvements peut varier. Chez Mozart, l'ordre vif-lent-vif domine nettement. Il y a davantage de variété chez Haydn : vif-lent-vif, mais aussi vif-menuet-vif, vif-lent-menuet, lent-menuet-vif, lent-vif-menuet. La succession « italienne » en deux mouvements (deux mouvements rapides ou bien rapide-modéré), fréquente dans les sonates des compositeurs italiens (D. Alberti, L. Boccherini), se retrouve chez Haydn et Beethoven.
Ce dernier transposa également dans plusieurs de ses sonates la structure « symphonique » en quatre mouvements (vif-lent-menuet [ou scherzo]-vif). Ses successeurs (Schubert, Schumann, Weber, Brahms) devaient le suivre largement sur ce point. On retrouve également cette structure chez Jan Ladislas Dusík, moins chez Muzio Clementi ou Johann Nepomuk Hummel. Comme Hummel dans sa sonate en fa mineur op. 20, Beethoven utilisa comme finale de sonate la forme fuguée (cf. Hammerklavier)
Tous les compositeurs de l'époque classique en Italie, en Allemagne, en Autriche, en Espagne, en France ou en Angleterre ont écrit des sonates pour diverses formations. Parmi les plus connus : D. Scarlatti, G. B. Sammartini, D. Alberti, P. Nardini, G. Sarti, G. Pugnani, L. Boccherini, J. Nyslivecek, G. C. Wagenseil, L. Mozart, J. Stamitz, C. Stamitz, A. Filtz, I. Pleyel, F. X. Richter, W. F. Bach, C. P. E. Bach, J. C. Bach, C. G. Neefe, P. Gaviniès, G. B. Viotti, M. Clementi, E.-N. Méhul, J. Haydn, W. A. Mozart et L. van Beethoven.
La sonate romantique après Schubert
Après Schubert, la sonate pour piano est un genre qui inspire de moins en moins de grands cycles de vingt ou de trente œuvres, et qui, plus encore que la symphonie, se fait rare, est pratiqué au coup par coup, les compositeurs produisant rarement plus de deux ou trois sonates, et faisant de chacune un cas particulier. Il est vrai qu'en même temps se développent de nouvelles formes pianistiques, qui ont en commun de privilégier la formule du recueil, de l'album qu'il soit simple juxtaposition, comme avec les nombreux cycles d'études, de fantaisies, de romances sans paroles, de nocturnes, etc., ou bien au contraire savante mosaïque conçue comme un tout (Carnaval de Schumann, ou Préludes de Chopin). Face à ces formes fluides et variées, la sonate, avec ses trois ou quatre mouvements dont on respecte généralement le moule, fait figure de genre figé et sérieux. Comme la symphonie, elle aura tendance à évoluer, dans les mains de certains, vers la conception cyclique, où l'on recherche une unité thématique entre les différents mouvements.
Parmi les sonates pour piano du XIXe siècle, citons les trois sonates de Chopin (ut mineur, 1828 ; si bémol mineur, 1839, avec la Marche funèbre ; si mineur, 1844), plutôt rhapsodiques d'esprit, et guère animées par des préoccupations d'unité thématique ; les trois sonates op. 1, op. 2, et op. 5 de Brahms, à tendance cyclique ; les trois sonates de Schumann (op. 11 en fa dièse mineur, 1835, sous-titrée Florestan et Eusebius ; op. 14 en fa, 1836, sous-titrée Concert sans orchestre, et d'esprit cyclique ; op. 22 en sol mineur, 1835-1838, auxquelles il faut ajouter trois sonatines). Plus tardivement, mais dans cette même lignée, la sonate op. 7 pour piano de Grieg.
Mais le chef-d'œuvre de la sonate romantique est une pièce qui ne répond en rien au modèle formel de la sonate classique, et qui renouvelle complètement le genre : il s'agit de la grande sonate en si mineur de Franz Liszt (1853), œuvre cyclique d'une seule coulée, malgré ses moments contrastés, et apogée d'une certaine dramaturgie de la forme en constante réinvention, que l'on trouve déjà en germe chez Beethoven. Le travail architectural passionné qui y est à l'œuvre témoigne bien que le moule formel traditionnel en quatre mouvements, s'il convient encore très bien à la symphonie (laquelle a toutes les ressources de l'orchestre, et l'ampleur de sa forme pour se renouveler), paraît désormais un peu caduc, poussif, et manquant de souplesse, pour le genre de la sonate pour piano seul. Quel que soit l'intérêt des sonates de Chopin et de Schumann, on y sent fréquemment une certaine raideur, dont Liszt s'est libéré par un total bouleversement du genre.
En revanche, la sonate pour piano et violon, genre plus léger, voire mondain, puisqu'il offre des possibilités concertantes et se prête à une rhétorique de dialogue entre les deux instruments, se continue avec aisance chez Schumann (deux sonates), Brahms (trois sonates op. 78 en ré mineur, op. 100 en la majeur, op. 108 en sol majeur), Grieg (trois sonates op. 8, op. 13, op. 45), Dvořák, etc. Le genre voisin de la sonate pour violoncelle et piano est illustré par Brahms (op. 38 et op. 99), Schumann (une sonate), Chopin, Grieg, etc. On citera aussi les deux sonates pour clarinette et piano de Brahms, les six sonates pour orgue de Mendelssohn, et les douze sonates pour violon et guitare de Paganini (lequel appelle également « sonates » certaines de ses œuvres pour violon et orchestre).