Paris (suite)
Le XXe siècle
Au tournant du XXe siècle, Paris est plus que jamais un centre de diffusion et de rencontre pour les arts, mais de moins en moins un centre de création dramatique. Le début du siècle est marqué par le phénomène des Ballets russes qui se produisent au théâtre du Châtelet (en 1909), puis au tout neuf théâtre des Champs-Élysées, en 1913, année de la création du Sacre du printemps et de Jeux ; enfin au théâtre Sarah-Bernhardt. Dans cette période des Ballets russes, Paris accueille un « melting pot » international et brillant de peintres, d'écrivains, de musiciens. Prokofiev, Stravinski, Martinů vivent un temps à Paris, qui est alors un cercle d'attraction international, mais qui sera de moins en moins un centre d'innovations. Après Pelléas (en 1902), on créera peu d'opéras marquants français (on peut citer Padmâvatî de Roussel, 1923 ; Amphion, d'Honegger, 1931 ; Maximilien, de Milhaud, 1932), et les jeunes compositeurs tendent à se détourner de ce genre. Wozzeck, représenté en 1925 à Berlin, ne sera créé à l'Opéra de Paris qu'en 1965.
De fait, si l'on joue beaucoup la musique « néoclassique », les compositeurs plus agressivement modernes, comme Bartók, ou les trois Viennois, restent ignorés : seul Jean Wiener (et plus tard Pierre-Octave Ferroud) essaie alors de les faire connaître. Et contre le parisianisme qui sévit dans les années 20 et 30 dans la composition musicale et qui suscite des œuvrettes sans conséquences et sans ambition, certains musiciens, comme Olivier Messiaen, s'insurgent. Les concerts du groupe Jeune-France et du Triton lèvent l'étendard d'une régénération de la musique. Les formations symphoniques, Colonne, Lamoureux, Pasdeloup vivent sur un répertoire déjà bien fourni. On peut leur ajouter l'Orchestre national de la R. T. F. (dirigé dans ses débuts par Inghelbrecht), premier élément d'un ensemble très riche de formations qui, dans les années 50 et surtout 60, vont faire de la Radio française le foyer de diffusion musicale le plus riche et le plus éclectique de l'après-guerre.
Dans sa position dominante sur l'enseignement musical, le Conservatoire national se voit, au cours de la première moitié du siècle, largement concurrencé par la Schola cantorum, fondée en 1894 par d'Indy, Guilmant, Bordes (et dont une branche dissidente s'est formée en 1934 sous le nom d'école César-Franck). L'École normale de musique, prise en main par Alfred Cortot jusqu'en 1962, fait également figure d'alternative au Conservatoire, d'autant que celui-ci tendait à devenir un gardien immobiliste de la tradition (mais il a su rattraper ce retard très vigoureusement, depuis le début des années 60, en s'ouvrant à toutes les innovations nécessaires).
La Seconde Guerre mondiale amène une redistribution des cartes. De nouvelles sociétés de concert se forment après la Libération, au service de la musique dite d'« avant-garde », ignorée par les associations traditionnelles ; le fossé se creuse dès lors, de plus en plus, entre les différents secteurs de la diffusion musicale. Ainsi, les Concerts de la Pléiade fondés en 1945 par Roger Désormière (en association avec l'Orchestre national de la R. T. F.), le festival l'Œuvre du XXe siècle (1952), et surtout le Domaine musical, qui donne ses premiers concerts en 1954 et ne cessera ses activités qu'en 1973 : fondé et dirigé par Pierre Boulez, puis repris par Gilbert Amy, il diffuse activement un répertoire que l'on n'entend nulle part ailleurs. Ces associations de musique nouvelle seront continuées par d'autres, l'ensemble Musique vivante de Diego Masson, l'ensemble Ars nova de Marius Constant, l'E. I. M. C. P. (Ensemble international de musique contemporaine de Paris) de Konstantin Simonovitch, et plus tard encore les ensembles 2E-2M (Paul Méfano), Musique Plus, l'Itinéraire, etc. La musique dite « contemporaine » devient de plus en plus, à Paris, l'affaire d'un cercle hélas restreint, à l'intérieur d'une vaste activité de conservation d'un répertoire éprouvé, dont la répétition intensive met de plus en plus en valeur l'interprète plutôt que les œuvres, trop connues.
Mais il faut remarquer que la France a su, après la Seconde Guerre mondiale, reconquérir une place importante dans la création et la diffusion des œuvres nouvelles. En 1948, il est même né, au Studio d'essai de la R. T. F., une musique nouvelle inventée par Pierre Schaeffer, la musique concrète. Non seulement cette recherche sera à l'origine d'un répertoire nouveau, et d'un groupe de création et de diffusion de musique électroacoustique d'une longévité surprenante, le Groupe de recherches musicales (fondé sous son nom actuel en 1958, dirigé à partir de 1966 par François Bayle, et encore en activité en 1990) ; mais aussi, elle servira de référence et de repère, fût-ce pour la critiquer, à de nombreux centres dans le monde (MUSIQUE ÉLECTROACOUSTIQUE). D'autres studios se sont d'ailleurs créés à Paris comme le studio privé de Pierre Henry, Apsome, le studio du Centre international de recherches musicales, fondé dans les années 70 par Jean-Étienne Marie, au sein de la Schola cantorum, le Studio du Centre américain, celui du Conservatoire de Pantin, etc. Depuis 1968, l'enseignement donné par le G. R. M. est officiellement accueilli par le Conservatoire de Paris, à partir d'une classe confiée à Pierre Schaeffer.
D'autres centres de recherche musicale fondamentale se sont créés dans les années 60 et 70 : le C. E. M. A. M. U., fondé en 1967 autour de Yannis Xenakis, et l'Institut de recherche et de coordination acoustique/musique (I. R. C. A. M.), dirigé jusqu'en 1991 par Pierre Boulez, et en activité depuis 1976, dans le cadre du Centre d'art et de culture Georges-Pompidou du Plateau Beaubourg. À l'I. R. C. A. M. est associé un ensemble orchestral voué à la diffusion du répertoire contemporain, l'Ensemble intercontemporain.
Quant aux associations symphoniques traditionnelles, elles ont poursuivi leurs programmes de plus en plus routiniers, jusqu'à un effort récent de renouvellement et d'ouverture. Dans ce domaine de la « gestion » du répertoire classique, la fin des années 60 et le début des années 70 sont marqués par un grand nombre de réorganisations qui visent en général à redonner un certain lustre, un retentissement international, perdus depuis longtemps, à la vie musicale parisienne qui s'était mise à ronronner : dans ce but, on a souvent choisi une politique du prestige et de l'action spectaculaire et massive, plutôt que l'action patiente et discrète dans l'infrastructure de la vie musicale (bien qu'un effort ait été fait pour le développement des écoles de musique et de tout le tissu de l'activité musicale « quotidienne »).
Ainsi, en 1967, est inauguré l'Orchestre de Paris (phalange qui, jusqu'en 1998, sera dirigée successivement par Munch, Karajan, Solti, Barenboïm et Bychkov) qui ambitionne ouvertement de concurrencer les grands orchestres allemands ou américains. L'Opéra de Paris, qui ne donnait plus qu'un répertoire usé, dans des conditions de moins en moins bonnes, est agité par un nombre considérable de remaniements, de conflits, de fermetures pour travaux, qui aboutissent à sa réouverture en 1973 sous la direction de Rolf Liebermann, pour sept années de programmes prestigieux, dans des distributions de luxe, pour des exécutions rares et coûteuses, bien que souvent retransmises par la télévision. Liebermann a eu comme successeurs Bernard Lefort (1980-1983), puis Massimo Bogianckino (à partir de 1983). Depuis 1994, l'Opéra National de Paris comprend le Palais Garnier et l'Opéra-Bastille, inauguré en 1989 et ouvert en 1990. Son directeur est, depuis 1995, Hugues Gall.
Le Théâtre musical de Paris, ouvert en 1981 dans le cadre de l'ancien théâtre du Châtelet, est aussi un important centre lyrique. Directeur depuis 1988, Stephane Lissner doit quitter ce poste en 1997. Il aura comme successeur en 1998 Jean-Pierre Brossmann. Quant à l'Opéra-Comique, un peu défavorisé par rapport à son encombrant grand frère, l'Opéra, il a fait l'objet d'une intéressante tentative de renouvellement, vite interrompue, avec l'Opéra-Studio animé par Louis Erlo, qui devait être une école de jeunes artistes lyriques en même temps qu'un centre de production de spectacles.
Dans les années 60 et 70, à la faveur d'un mouvement massif d'intérêt, chez les Français, pour la musique, le nombre et la variété des concerts à Paris ont considérablement augmenté : certains festivals, d'abord conçus pour combler le vide des mois d'été, comme le Festival du Marais (créé en 1961 par Michel Raude), et le Festival estival de Paris (Bernard Bonaldi, 1965) y ont contribué dans une large mesure : ils ont l'un et l'autre disparu. On peut citer aussi, plus spécialement consacrés à la création contemporaine, les Journées de musique contemporaine de Paris (qui ont connu leur apogée entre 1968 et 1973) et le Festival d'automne. Cette création n'est plus soutenue par le mécénat, mais surtout par le ministère de la Culture (au moyen de commandes) et la société Radio-France, qui commande et diffuse, avec ses formations, un nombre très important de nouvelles musiques. Dans une moindre mesure, les éditeurs, les organisateurs de festivals et la S. A. C. E. M. (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) contribuent à « produire » les manifestations de musique nouvelle.