Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
O

opéra (suite)

Les pays scandinaves

Danemark

Ce pays avait, de longue date, accueilli les opéras français et joué les opéras baroques de Keiser. Sarti y implanta l'opéra italien de 1753 à 1775, puis le Viennois J. G. Naumann (1741-1801), élève de Martini à Bologne, écrivit en danois des opéras métastasiens. Les thèmes nationaux furent ensuite exploités par T. C. Walter (1749-1788), E. J. G. Hartmann (1726-1793), et F. L. A. Kunzen (1761-1817), auteur de Holger Danske (1789).

Suède

L'opéra italien connut une intense activité sous Gustave III ; le Théâtre de Drottingholm ouvrit en 1754 sous la direction de F. Uttini (1723-1795), qui écrivit d'abord en italien, puis composa en suédois Thetis och Pelee (1773), sur un texte du roi (l'oncle de Frédéric II, lui aussi féru de livrets). Naumann, quittant le Danemark pour la Suède, y écrivit Cora och Alonso en 1782 pour l'inauguration de l'Opéra royal, puis Gustaf Wasa (1786), alors que des auteurs suédois commençaient à s'imposer : Stenborg (1752-1813), avec Konung Adolfs jagt (1777), puis J. M. Kraus (1756-1792), d'origine allemande, qui réalisa la synthèse des divers styles européens avec Proserpine (1781) et Aeneas i Carthago (1790, créé en 1799). L'assassinat du roi, en 1792, interrompit pour quelque temps le développement de l'opéra suédois.

Le XIXe siècle

Fait culturel et social, l'opéra fut le reflet du grand mouvement d'idées, dont était issue la Révolution française. Ouvert à un public nouveau, il avait, parfois, déjà modifié ses thèmes, contribuant à l'éveil des consciences nationales. En abolissant les frontières, l'aventure napoléonienne allait faire de l'opéra italien un opéra européen, fécondant et fécondé par ces échanges. En effet, ses formules trop anciennes se sclérosaient alors que les structures instrumentales, nées du siècle de la raison, étaient en plein essor. La disparition du castrat, entraînant la mort du bel canto, art de plaisir fût-ce au sens fort du mot, conduira au drame romantique à forte implantation instrumentale, et le thème antique cédera définitivement au thème historique, conçu non plus comme prétexte anecdotique, mais comme fait politique, exaltant des héros d'un type nouveau. La comédie sentimentale, le drame « héroïque », ou buffa, et l'opéra-comique, tributaires de l'ère de la sensibilité, s'effaceront devant la tragédie, ou bien, perdant leur dignité musicale, céderont à une opérette nationale de qualité. Enfin, la notion d'école, qui avait jusque-là prévalu, fera place à un autre héros romantique, le compositeur, génie solitaire plus que meneur d'hommes.

La France entre deux révolutions

Un certain opéra-comique d'ancien régime s'y maintiendra jusqu'à la veille de 1830. Mais les frontières se faisant moins précises entre les genres, c'est sous toutes les formes et dans tous les pays que la pièce à sauvetage, devenue libertaire et romantique, va envahir l'Europe, où on ne compte plus les Lodoïska, Léonore, Caverne, Porteur d'eau ou Raoul de Créqui. Toutefois, avant que le thème médiéval ne s'impose seul, le Consulat et l'Empire avaient suscité quelques œuvres inspirées par la Gaule ou la Rome impériale. En France, où les Italiens s'étaient implantés avant même la Révolution, Cherubini (1760-1842) avait déjà su épouser la manière française, s'illustrant d'abord dans le genre « héroïque », puis dans le mythe : plus encore qu'Elisa (1794), Médée (1797) est romantique, par ses structures plus ouvertes, par son écriture vocale et chorale, par la justification même du geste meurtrier de l'héroïne ; avec les Abencérages (1813), Cherubini consacrait plutôt le fait historique, dans une tradition gluckiste enrichie, puis il abandonnait la scène lyrique. Auprès de lui, les meilleurs artisans de cet opéra français avaient été Étienne Méhul (1763-1817) et Jean-François Lesueur (1760-1837), grands inspirateurs de Berlioz ; le premier avec Stratonice (1792), le Jeune Henry (1797) [d'une écriture modale très prophétique], l'Irato et surtout Uthal (1806), Joseph (1807), puissants drames avec chœur et orchestre ; le second avec Ossian ou les Bardes (1804), largement déclamé, fourmillant de trouvailles instrumentales.

   Mais Gasparo Spontini (1774-1851) avait porté plus haut ces ambitions, offrant avec la Vestale (1807) le prototype de la tragédie lyrique : au chant, très italien, se mêlent une harmonie audacieuse et une orchestration très présente, riche et diversifiée ; ses structures totalement ouvertes, héritées de l'Œdipe à Colone de Sacchini, abolissent toute fragmentation au cours d'un acte, et sont encore autant d'éléments dont se nourriront Berlioz et Wagner. On peut tenir pour négligeable l'apport de Rodolphe Kreutzer (1766-1831) ­ dont la Mort d'Abel (1810) enflamma pourtant un instant Berlioz ­ et celui de Jadin, Gardel, Miller, Candeille, Lefebvre, Porta, Kalkbrenner et même de Steibelt, Winter et Gyrowetz. Paris sut encore attirer Paisiello (Proserpine, 1803) et Ferdinando Paër (1771-1839), qui souscrivit au style Empire (Numa Pompilio, Cleopatra, 1810) et qui prit la direction du Théâtre-Italien. Désormais consacré aux œuvres étrangères, ce théâtre devint le pôle le plus actif de la capitale ­ l'Opéra semblant somnoler ­ au début de la Restauration jusqu'à l'arrivée de Rossini et d'Auber.

L'interrègne italien

Stendhal a justement baptisé ainsi cet apparent no man's land situé entre la mort de Mozart et le retrait de Cimarosa et Paisiello, d'une part, et l'avènement de Rossini en 1810, de l'autre. Quinze années qui voient ses meilleurs musiciens quitter l'Italie. Les quelques compositeurs restés fidèles à la péninsule, réduits aux yeux des historiens au rôle de « précurseurs de Rossini », furent en outre éclipsés par une sorte de quarteron cosmopolite, Cherubini, Spontini, Paër et Mayr, qui se partagèrent, excepté Mayr, entre l'Italie, la France et l'Allemagne. Paër donna le meilleur de son talent à Vienne (Camilla, 1799), à Dresde, où sa Leonora (1804) apparaît comme un trait d'union entre Mozart et Beethoven, et revint créer Agnese di Fitz-Henry en 1809 à Parme ; son Maître de chapelle (Paris, 1821) n'ajouta plus rien à son talent. En revanche, c'est l'Italie qui retint le Bavarois Mayr (1763-1845), qui y surclassa tous ses rivaux. Pédagogue, musicologue, découvreur de talents (il révéla le poète Romani en 1813), il reprit à son compte les apports de Traetta et de Salieri dans une langue qui évoquait Mozart et Beethoven, et il esquissa certaines formules auxquelles Rossini appliquera son génie : l'ouverture de forme sonate, le récitatif accompagné vocalisé, l'imbrication du récit et de l'aria, etc. Moins fait pour le semiseria que pour le drame, Mayr révéla son talent avec des sujets de type médiéval (Ginevra di Scozia, 1801 ; Adelasia ed Aleramo, 1806 ; La Rosa rossa e la Rosa bianca, 1813), et son nom reste attaché à sa Medea in Corinto (Naples, 1813), qui éclipsa longtemps l'opéra de Cherubini.

   C'est seulement dans l'ombre de Mayr que survivent aujourd'hui les noms des très prolixes Tritto (1733-1824), pédagogue renommé à Naples, Trento (1761-1833), Portogallo (1762-1830), Nicolini (1762-1842), Nasolini (1768-1806 ou 1816), Farinelli (1769-1836), Orlandi (1777-1848), des Autrichiens Winter (1754-1825) et Weigl (1766-1846), que dominent toutefois quelques personnalités plus accusées : Guglielmi junior (1763 ?-1817), Giuseppe Mosca (1772-1839) et son frère Luigi (1775-1824), Valentino Fioravanti (1764-1837). C'est un rôle important, mais plutôt négatif que joua Nicola Zingarelli (1752-1837), qui eut la haute main sur l'enseignement à Naples, entendant faire respecter les principes d'avant 1760 : estimant que « Mozart aurait pu bien faire s'il avait persévéré dans l'étude », il se dressa plus tard contre les innovations de Rossini. On décèle déjà certaines de ces innovations chez Stefano Pavesi (1779-1850), dont l'écriture vocale est plus humaine, plus moderne ; chez Carlo Coccia (1782-1873) et Pietro Generali (1783-1832), qui revendiquèrent puérilement « l'invention » du crescendo, ce qui ne doit pas masquer leur talent réel ; et chez Francesco Morlacchi (1784-1841), qui eut la sagesse d'abandonner la place et s'en alla mettre sa veine assez riche au service de l'Opéra italien de Dresde. Enfin, Nicola Manfroce (1791-1813), disparu prématurément, avait démontré dans Ecuba (1812) un génie comparable à celui de Rossini sur le plan de l'écriture vocale et orchestrale.