étouffoir
Petite pièce du mécanisme d'un piano consistant en un morceau de bois garni de feutre (au clavecin, un bout de feutre sans support), qui s'applique à chaque corde pour l'empêcher de vibrer.
L'enfoncement de la touche libère la corde de l'étouffoir tout en déclenchant l'action du marteau (piano) ou du sautereau (clavecin). Si on lâche ensuite la touche, l'étouffoir retombe sur la corde, coupant net le son. Au piano, la pédale de droite permet de retarder ce mouvement de l'étouffoir et l'interruption du son.
étude
Mot désignant, dans la tradition occidentale, un genre musical (plutôt qu'une forme) représenté par des pièces à vocation didactique, généralement destinées à un instrument soliste (le plus souvent au piano, mais aussi au violon, à la guitare, à la flûte, etc.), pièces plutôt courtes et groupées en recueils (souvent par 6, 12 ou 24) et dont chacune explore un problème spécifique de technique musicale : le plus souvent de technique d'exécution instrumentale, parfois aussi de technique d'écriture.
Il arrive même que certaines études pour piano (de Czerny, par exemple) soient de purs exercices digitaux, sans ambition musicale.Le genre de l'étude au sens moderne s'est développé surtout au XIXe siècle, mais déjà dans la musique ancienne et baroque furent publiés nombre de recueils didactiques destinés à faire assimiler la technique d'un instrument soliste comme le clavecin ou l'orgue : les Lessons de Purcell ou Haendel, les Sonates de Domenico Scarlatti, publiées en Italie comme « Esercizi » (« exercices ») et en Angleterre comme « Lessons », les pièces pédagogiques de Telemann (le Parfait Maître de musique) sont, en quelque sorte, des études. Les très nombreuses pièces pédagogiques de Jean-Sébastien Bach (dont le Clavier bien tempéré) ne sont pas centrées sur des problèmes précis de technique ou de doigté, mais veulent faire assimiler le langage musical en même temps que le mécanisme instrumental. Si la virtuosité existe déjà à part entière (dans certains préludes du Clavier bien tempéré, par exemple), elle ne constitue pas encore un terrain spécialisé, illustré par des œuvres spécifiques.
C'est au XIXe siècle que le développement de la technique pianistique (et aussi violonistique), avec l'apparition des grands virtuoses comme Paganini, Liszt, Hummel, suscite la floraison de multiples recueils d'études explorant des difficultés spécifiques de l'instrument : gammes, arpèges, trilles, tierces, octaves, accords parallèles, etc., pour le piano, doubles cordes et traits rapides pour le violon. L'étude devient, comme dit Roger Wild, « l'analyse en action d'une formule technique », une espèce de décomposition, par la répétition, d'une difficulté particulière.
Symétriquement, à la virtuosité croissante de certaines études correspond souvent une simplification compensatrice du langage et de la structure musicale : une étude pour piano est souvent (mais pas toujours) de forme élémentaire, binaire parfois, construite sur une base mélodique et harmonique évidente, même si elle est très ornementée, afin de mettre en valeur la prouesse technique. Cela n'empêche pas la musicalité. Dans les belles Études de Chopin, par exemple, si on cherche l'armature harmonique et mélodique derrière la virtuosité et les détails d'écriture « audacieux », on la trouve souvent robuste et simple, comme dans les improvisations échevelées du jazz classique, où intervient le même principe de compensation : souplesse et virtuosité de l'élocution, de la parole musicale, sur la base d'une « langue » simplifiée.
Paradoxalement, le genre de l'étude conduit à deux extrêmes : des pièces de difficulté élémentaire pour débutants ou amateurs (chez Czerny, Bertini, Steibelt, Clementi, parfois) et des morceaux de bravoure, de très haute virtuosité, accessibles, comme disait Schumann, à une demi-douzaine d'artistes dans le monde. Le XIXe siècle romantique est donc le siècle des grands cahiers d'études pour clavier, de Jean-Baptiste Cramer (Étude en 42 exercices, 1804-1810), de Muzio Clementi (Gradus ad Parnassum, 1817-1826, méthode en 100 études progressives et doigtées, parodiée par Debussy dans Children's Corner), de Johann-Nepomuk Hummel (24 Études op. 125 pour le piano), d'Ignaz Moscheles (qui agrémentait certains de ses morceaux didactiques en les traitant en « pièces de genre »), de Karl Czerny, d'Istvan Heller, élève du précédent (plus de 100 études), de Daniel Steibelt, Theodor Kirchner, Franz Kalkbrenner, etc. Mais c'est surtout avec Franz Liszt, Frédéric Chopin, Charles-Valentin Alkan, Sigismond Thalberg que l'étude dépasse sa destination pédagogique, à usage domestique et privé, pour devenir un « cheval de bataille » dans les concerts. Curieusement, c'est l'exemple, non d'un pianiste, mais d'un violoniste, le phénoménal et magique Paganini, qui encouragea les compositeurs-pianistes à se surpasser dans cette voie. Ses 24 Caprices pour violon solo fascinèrent ceux-ci, et leur inspirèrent de multiples transcriptions, adaptations, variations pour le piano, qui sont autant d'études : les 6 Études d'après Paganini de Liszt (1838), dont la Chasse et la célèbre Campanella ; les 2 séries d'Études de Schumann, op. 3 et op. 10, les 2 cahiers de Variations de Brahms sur le thème du Caprice en « la » mineur (1862-63), sans compter les adaptations de Rachmaninov, Dallapiccola, etc. L'exemple de Brahms illustre la proximité entre le genre de l'étude et celui de la variation, laquelle consiste aussi à greffer sur un thème simple, à la progression harmonique et à la carrure évidentes, une ornementation de traits instrumentaux, d'accords, de distorsions multiples, dans un souci de renouvellement et de brio qui conduit à traiter chaque variation comme un « ostinato » utilisant une formule technique privilégiée.
En 1827, Liszt publia (à seize ans) une Étude en 12 exercices (il en prévoyait 12 autres, pour parcourir tous les tons majeurs et mineurs), exercices qu'il retravailla plus tard (1837, 1839, 1854), les enluminant, les compliquant de nouvelles difficultés, pour en faire les fameuses 12 Études d'exécution transcendante (1851), dont la plupart sont agrémentées de sous-titres descriptifs : Paysage, Mazeppa, Feux follets, Harmonies du soir, Chasse-Neige, etc. On doit aussi à Liszt 2 Études de concert (Dans les bois, Ronde des lutins) et l'{'}Etude de perfectionnement « ab irato » (en colère) écrite spécialement pour un recueil d'études rassemblé par Moscheles et Fétis, la Méthode des méthodes. C'est pour ce même recueil que Chopin écrivit en 1840 3 Études qui ne figurent pas dans ses 2 fameux cahiers op. 10 et op. 25, de 12 Études chacun.
Si l'on retrouve ce chiffre de 12 (ou 6, ou 24) dans maint recueil d'études, c'est sans aucun doute par référence à Bach (et à son Clavier bien tempéré) considéré par les romantiques comme le père de l'étude, et pas toujours pour épuiser les 12 tons. Ainsi les 24 Études de Chopin n'utilisent que 7 tons majeurs et 8 tons mineurs. Le premier cahier, op. 10, dédié à Liszt, fut écrit entre l'âge de dix-huit et vingt-quatre ans, et les morceaux ne comportent pas de sous-titres (ceux de Tristesse et d'Étude révolutionnaire, pour la dernière, sont dus à l'imagination d'amis, d'éditeurs, ou d'adaptateurs). Malgré des combinaisons harmoniques complexes, des modulations hardies, des chromatismes osés, il est clair que ces études explorent d'abord des problèmes techniques. C'est la suggestion des doigts qui commande l'idée musicale, le jeu qui guide l'écrit, et non l'inverse. On a donc des études centrées sur l'extension de la main en vastes arpèges (1re), l'attaque et le chevauchement des doigts faibles (2e), l'utilisation exclusive des touches noires (5e), le passage du pouce (8e), les accords en sixtes brisées (10e), les accords arpégés aux deux mains (11e), etc. À deux ou trois exceptions près, dont le fameux Tristesse en mi majeur, lent et mélodique, la plupart des morceaux sont de tempo rapide, d'essence
dynamique et du type « mouvement perpétuel » en ostinato, une seule difficulté étant ressassée dans chaque étude. Par un biais apparemment sophistiqué, l'étude romantique de piano retrouve la virtuosité bondissante et répétitive de certaines musiques orales (indienne ou africaine), où le musicien tourne de la même façon autour d'une cellule musicale dynamique, comme pour l'épuiser. La deuxième série des 12 Études, op. 25, explore de même des arpèges (1re), des tierces chromatiques (6e), des sixtes enchaînées (8e), des octaves parallèles aux deux mains (10e). La 9e étude, dite « Papillon », peut être dite « étude de toucher ». Par un dosage étonnant de simplicité chantante, jusque dans le « prestissimo » le plus étourdissant, et de brillant pianistique, les Études de Chopin échappent à la froideur d'une performance hautaine et sont devenues peut-être les plus populaires d'un répertoire pourtant fourni.
Quant à Robert Schumann, outre ses transcriptions d'après Paganini, il devait nommer Études symphoniques pour piano son opus 13, composé en 1834-1837, qui est en fait une série de 12 variations sur un thème du capitaine von Fricken, et qui cherche, comme chez Chopin, à dégager la musicalité derrière la prouesse technique. Les Études postromantiques de Busoni, Hans Pfitzner, Alexandre Scriabine, perpétueront le genre.
Dans l'école française de piano, Debussy est l'un des rares à avoir continué la tradition, publiant en 1915 deux cahiers de 6 Études qui, intentionnellement, tout en offrant des difficultés techniques précises à surmonter, ne comportent aucun doigté fixé par l'auteur, celui-ci alléguant les différences entre les mains de chaque soliste. Le premier cahier est très « digital » (pour les 5 doigts, pour les tierces, les quartes, les sixtes, les octaves et les 8 doigts, c'est-à-dire sans le pouce). Debussy explique comment le parti pris de faire une étude de « sixtes », par exemple, l'amène à construire son harmonie sur cet intervalle. Plus nouvelles dans le genre, les études du deuxième cahier portent souvent sur des recherches de sonorité et de timbre : en particulier l'Étude pour les sonorités opposées, qui veut créer des contrepoints de nuances, de dynamiques et de tempo. Les autres (pour les degrés chromatiques, pour les agréments, pour les notes répétées, pour les arpèges composés, pour les accords) imbriquent étroitement une recherche de technique instrumentale et une recherche d'écriture. À mesure que les problèmes de langage préoccupent de plus en plus les compositeurs, on les voit tenir une place grandissante dans le genre de l'étude : en particulier dans le cycle Mikrokosmos, en 6 recueils, de Béla Bartók, qui est en fait une méthode allant du très facile vers le moyennement difficile, initiant aussi bien à une écriture nouvelle (rythmes impairs, chromatismes) qu'aux techniques nouvelles qu'elle entraîne (mais qui restent cependant, chez lui, dans la continuité du piano romantique).
Quand, beaucoup plus récemment, Olivier Messiaen compose ses 4 Études de rythme (1949), dont le célèbre Modes de valeurs et d'intensité, c'est la recherche de langage construite sur le papier qui prédomine, même si on y retrouve les techniques spéciales d'attaque du piano introduites par l'auteur. De même, les Études karnatiques de Jacques Charpentier explorent en même temps une écriture modale et des types d'attaque inédits.
La recherche de virtuosité digitale ayant été « saturée », et paraissant plafonner, les compositeurs modernes cherchent du nouveau du côté des sonorités, des attaques, des timbres, plutôt que du côté de la rapidité des traits : c'est le cas de l'important cycle des Études pour agresseurs d'Alain Louvier, pour piano, clavecin, orgue, où les « agresseurs » en question sont les parties de la main ou du bras qui « attaquent » l'instrument ; ou bien de la Sequenza IV, pour piano, de Luciano Berio. Ce dernier a d'ailleurs consacré à différents instruments solistes la série de pièces de virtuosité Sequenze, où les recherches de sonorité (et, secondairement, de vélocité) sont au premier plan. Dans les musiques concrète, électronique, électroacoustique, qui mettent en jeu des techniques nouvelles en même temps que de nouvelles façons de « parler en musique », on ne s'étonnera pas que foisonnent les Études destinées soit, pour le compositeur, à assimiler les techniques du studio, soit à explorer systématiquement des traitements de sons, des caractères sonores, des sources, des modes d'assemblage de sons, etc. (Études pathétique, aux objets, etc., de Pierre Schaeffer, Studie 1 et 2, de Stockhausen, Mouvement-Rythme-Étude, de Pierre Henry, et d'innombrables œuvres de Reibel, Parmegiani, Koenig, Eimert, Luening, Savouret, Ferrari, etc.). On y retrouve d'ailleurs les constantes de l'étude traditionnelle : linéarité et simplicité de la forme, limitation dans le choix des éléments sonores et musicaux qu'on explore systématiquement, tendance à la démonstration de virtuosité, etc.
Si nous avons parlé surtout des études pour piano, il ne faudrait pas oublier les études pour violon de Kreutzer, Bériot, sans compter celles déjà citées de Paganini ; les études pour violoncelle de Grützmacher, Franchomme ; pour guitare, de Sor, Villa-Lobos, Jolivet. Chaque instrument possède son répertoire spécifique d'études, souvent sous la forme de Méthodes progressives comprenant soit des pièces originales composées par l'auteur de la méthode, soit des compilations de pièces empruntées au répertoire.