Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
C

Couperin (François) , dit François II le Grand

Compositeur français (Paris 1668 – id. 1733).

Unique fils de Charles Couperin, orphelin à l'âge de onze ans, il fut élevé par sa mère, qui confia son éducation musicale à Jacques Thomelin, organiste de Saint-Jacques-la-Boucherie. Les minutes du conseil de fabrique de l'église Saint-Gervais nous apprennent que M. R. Delalande assura l'intérim de la charge d'organiste, que François Couperin occupa de fait dès 1685, et qu'il conserva jusqu'en 1723. En 1689, il épousa Marie-Anne Ansault, dont il eut quatre enfants : Marie-Madeleine (1690-1742), religieuse et organiste à l'abbaye de Maubuisson (sœur Marie-Cécile) ; François-Laurent ( ? – vivant en 1747), qui disparut et sembla avoir mené une vie errante ; Marguerite-Antoinette (1705-1778), claveciniste de la Chambre du roi et maître de clavecin des Enfants de France ; et Nicolas-Louis (1707– ?), mort sans doute en bas âge. François Couperin obtint en 1790 le privilège pour un Livre d'orgue consistant en deux messes, qui ne furent pas imprimées, mais diffusées en manuscrit. Vers 1692-93, il composa ses premières sonates, dans la manière italienne : la Steinquerque et la Française, qui furent diffusées sous un pseudonyme italien, dans les milieux italianisants de la capitale. En 1693, à la mort de son maître Thomelin, il obtint par concours le poste d'organiste de la chapelle royale pour le quartier de janvier, charge qu'il conserva jusqu'en 1730. Il composa divers motets pour petits ensembles destinés à la chapelle royale, dont certains furent imprimés « de l'ordre du Roy » (1703 à 1705) et quelques-uns destinés à sa cousine Marguerite-Louise, chanteuse réputée et membre de la musique de la Cour. « Professeur-maître de clavecin » du Dauphin (duc de Bourgogne), il enseigna la musique à plusieurs enfants de la famille royale, ainsi que, quelque temps, à la jeune infante passagèrement fiancée à Louis XV. Dès 1707, quelques pièces de clavecin furent publiées par Ballard dans des recueils collectifs, mais son premier livre parut en 1713 seulement, succédant à de nombreuses publications similaires, notamment au premier livre de Rameau (1706). En 1714-15, il publia les Leçons de ténèbres pour le mercredy, annonçant la parution de deux autres séries (pour le jeudi et le vendredi), qui ne virent jamais le jour. Vers la fin du règne de Louis XIV, sa musique de chambre, délaissant l'italianisme des premières sonates, s'orienta vers la forme de la suite française, dans les Concerts royaux composés pour le roi, puis dans les Goûts réunis. Après l'Art de toucher le clavecin (1716), où il donna, non sans désordre, mais avec finesse, ses conseils de pédagogue, il publia trois nouveaux livres de clavecin (1717, 1722, 1730), réédita ses sonates en les complétant d'une suite, sous le nouveau titre des Nations : à l'italianisme de la première partie fit place un style synthétique où le « goût italien » et le « goût français » se conjuguaient. Sa dernière œuvre dans ce domaine consistait en deux Suites pour les violes.

   François Couperin semblait de santé délicate, voire maladive, et ne cessa de s'en plaindre. Nous savons peu de choses sur sa vie intime et sa personne, qui paraît être restée très secrète. Brillant jeune musicien, qui publia à vingt-deux ans un chef-d'œuvre (les Messes d'orgue), il appartint à l'avant-garde italianisante (ses sonates furent les premières composées en France à la manière de Corelli). Occupant à vingt-cinq ans d'importantes charges à la Cour, chevalier de l'ordre de Latran (1702), respecté et honoré, il fit cependant une carrière moins brillante qu'il ne paraît : modestie ou maladie, il resta en retrait. Il abandonna ses diverses charges (1723, Saint-Gervais, 1730, organiste et claveciniste du roi), et ses dernières années semblent avoir été douloureuses.

   L'ensemble de son œuvre porte une double marque : d'une part, l'héritage de la tradition française, par l'intermédiaire de ses maîtres organistes (Thomelin, sans doute Delalande), de son oncle François, des clavecinistes issus, comme son père et ses oncles, de l'enseignement de Chambonnières, et aussi de l'opéra, dont sa bibliothèque contenait maints volumes ; d'autre part, la tradition italienne, qu'il connut très tôt dans les cercles italianisants de la capitale (Saint-André-des-Arcs ?). Ces deux apports, d'abord assez distincts (tradition française dans les messes, tradition italienne dans les sonates et la plupart des motets), se rejoignent dans une tentative consciente de synthèse : certaines œuvres (les Goûts réunis, l'Apothéose de Lully) se présentent comme des « manifestes » de l'alliance des styles, tandis que l'œuvre pour clavecin les mêle ou les juxtapose tour à tour. À la tradition française, Couperin emprunte l'élégance mélodique, le goût de la danse, l'ornementation, tandis que l'Italie lui inspire une carrure, un goût de la symétrie, l'emploi, discret mais caractéristique, du chromatisme, et maintes formules instrumentales.

   Les Messes d'orgue, écrites à l'âge de vingt ans, manifestent des dons éclatants. Elles se plient aisément aux contraintes du règlement très strict de l'archevêché de Paris (1662) et à celles de la tradition française, issue tant du style contrepointé de Titelouze que de celui, plus léger et plus mélodique, de Lebègue ou de Nivers. Couperin fait alterner les versets polyphoniques sur thème de plain-chant à la basse ou en taille (kyrie, et in terra pax, sanctus, agnus Dei) et des pièces libres : duos, trios, basses de trompette ou de chromhorne, dialogues. L'offertoire de la Messe des paroisses est un grand triptyque, qui allie un mouvement lent d'ouverture, un ricercar au contrepoint hardi et un mouvement de gigue. La Messe des paroisses est d'un ton plus solennel et d'une écriture plus ample, la Messe des couvents, plus intime quoique plus mondaine de ton.

   La musique vocale sacrée constitue une part non négligeable de l'œuvre de Couperin, en grande partie manuscrite. Les Motets de l'ordre du roy manifestent un goût très vif des effets vocaux et instrumentaux venus d'Italie et un sens quasi impressionniste du coloris instrumental. Les deux recueils manuscrits de Versailles et du comte de Toulouse comportent des pièces diverses à 1, 2 et 3 voix, moins mondaines, souvent d'une inspiration religieuse très douce, tendre, d'une émotion voilée. L'œuvre religieuse culmine avec les trois Leçons de ténèbres à 1 et 2 voix, où la tradition française issue de Lambert et de Charpentier (alliant le récitatif à un art vocal très orné issu de l'air de cour) se tempère en un remarquable équilibre.

   La musique vocale profane, en l'absence des cantates perdues (Ariane abandonnée), se réduit à quelques vaudevilles, brunettes et canons ; seule, la brunette Zéphire, modère en ces lieux, avec ses 5 variations, dans le style de l'air de cour, a quelque ampleur.

   La musique de chambre, pratiquée par Couperin tout au long de sa vie, suit une évolution très marquée. Les premières sonates en trio sont construites sur le modèle italien, et font alterner les mouvements lents et vifs de la sonata da chiesa. Un peu courtes d'inspiration dans les débuts, elles prennent plus d'ampleur avec la Sultane (à 4 parties), avec l'Impériale et avec l'Apothéose de Corelli : écriture en imitation, mouvements lents avec basse mélodique, embryons d'écriture concertante (la Sultane), avec par instants de brefs mouvements chantants d'inspiration française. Les Concerts royaux marquent une mutation : c'est la suite chorégraphique à la française qui apparaît, tandis que les Goûts réunis tentent une synthèse des deux « manières », tantôt alternées (8e concert « dans le goût théâtral », plus nettement français, 9e concert Il Ritratto dell'amore, reprenant la sonate italienne), tantôt fondues. Les 11e et 12e concerts, à deux violes, annoncent le recueil des Pièces pour violes, constitué de deux suites, l'une constituée des danses habituelles, l'autre de mouvements de sonate italienne encadrant une émouvante Pompe funèbre. L'Apothéose de Corelli est une ample sonate à l'italienne, dont les mouvements sont pourvus de titres, tandis que l'Apothéose de Lully est une véritable pièce à programme, décrivant avec humour l'arrivée du musicien au Parnasse, et qui s'achève par la Paix du Parnasse, sonate à 3, consacrant l'alliance des goûts français et italien.

   L'œuvre de clavecin, répartie en 4 livres, groupe 240 pièces en 27 ordres : forme d'une extrême liberté, initialement inspirée de la suite, mais qui, très vite, n'a d'autre unité que celle de la tonalité et surtout d'une atmosphère particulière à chacun. L'évolution est assez nette. Le Premier Livre (1713), constitué sans doute de pièces plus ou moins anciennes, est plus disparate. Au Deuxième (1717), l'étoffe se resserre : c'est une série plus grave, parfois sévère. Le Troisième (1722) est plus poétique, plus léger, glissant souvent vers l'humour, qui culmine au début du Quatrième (1730) pour laisser place, dans les 4 derniers ordres, à un ton douloureux, parfois amer, et qui a presque complètement abandonné les anciennes formes de danse. La plus grande partie de ces pièces est pourvue de titres, parfois délicats à interpréter. Certains sont des dédicaces (à des amateurs : la Villers ; à des musiciens : la Forqueray, la Garnier ; à des élèves : la Conti, la Méneton, etc.) ; d'autres paraissent être des portraits, sans qu'il soit toujours possible de le déterminer avec certitude. Quelques pièces sont des « tableaux de genre » : les Vendangeurs, les Petits Moulins à vent. D'autres titres, au contraire, qualifient la musique elle-même : la Séduisante, la Lugubre, la Ténébreuse, ou en indiquent le ton : la Petite Pince-sans-rire, les Langueurs tendres, le style (la Harpée, les Grâces naturelles) ou l'écriture (les Tours de passe-passe). Certaines pièces, mais très peu, sont des pièces à programme (les Fastes de la grande et ancienne ménestrandise). Sous le titre se cache souvent une pièce de musique pure (les Folies françaises sont une série de variations dans le style de la Folia), et telle pièce n'est, malgré son « sujet » apparent, qu'une petite toccata dans le style des clavecinistes italiens (les Tic-toc-chocs, le Réveil-Matin). La forme des pièces affecte soit la structure binaire issue de la danse, soit le rondeau, parfois des structures plus complexes (rondeau double, ou mélange des deux formes). L'écriture est extrêmement variée, tantôt simple et harmonique, tantôt savamment contrepointée et utilisant librement l'imitation. L'ornementation brillante et notée avec précision est typiquement française (trilles, pincés, ports-de-voix, coulés, aspirations), tandis que la complexité de l'harmonie et l'usage discret du chromatisme, quelques basses obstinées ou basses d'Alberti rappellent l'écriture italienne ­ les deux manières étant plus savamment mêlées que dans la musique de chambre de Couperin. Plus encore que dans le reste de son œuvre, il est, ici, novateur et distance ses modèles, Chambonnières, L. Couperin, Marchand. Et, mieux qu'ailleurs, dans cette synthèse parfaitement aboutie, apparaît un musicien sensible, tendre, dont l'humour cache souvent une secrète, mais profonde, mélancolie.