orgue (suite)
L'histoire de l'orgue
Le plus ancien orgue connu est dû à Ctesibios d'Alexandrie, au IIe siècle av. J.-C. C'est l'hydraule, qui ne comporte que quelques tuyaux mis en œuvre par l'intermédiaire de touches grossières. En Occident, l'orgue apparaît à l'époque carolingienne ; il y est importé de Byzance. Il se développe assez lentement d'abord : du IXe au XIIe siècle, son étendue passe de une à deux octaves, l'unique rangée de tuyaux se double d'une seconde.
Du XIIe au XVe siècle
L'orgue se développe considérablement : les tuyaux se multiplient, le clavier s'étend et devient chromatique, la soufflerie se fait plus puissante. Dès la fin du XIVe siècle, l'instrument, placé en tribune dans les églises, est suffisamment important pour nécessiter qu'on lui adjoigne un autre orgue, plus petit, pour accompagner les chanteurs. C'est le positif, installé sur le devant de la tribune. Au XVe siècle, les sommiers se perfectionnent, et la possibilité apparaît d'isoler et de mélanger les jeux par tirage de registres, jeux qui, jusqu'à présent, ne pouvaient fonctionner que tous en même temps.
Le grand orgue classique est alors constitué. Il va désormais connaître diverses évolutions, selon les pays et les écoles de facture qui se multiplient, mais tout en restant fidèle aux grands principes de base qui sont maintenant établis. En Italie, c'est un instrument souvent à un seul clavier, dont le plénum se décompose en de nombreux jeux de principaux qui permettent d'en faire varier la couleur et le caractère. Le plus grand représentant de cette facture est l'organier Antegnati.
Les XVIIe et XVIIIe siècles
C'est surtout en France, en Allemagne et en Flandres que l'orgue va se développer en coloris, en plénitude et en contrastes. En France, il présente deux claviers accouplables au début du XVIIe siècle ; à la fin du même siècle, il en compte trois, parfois quatre et même jusqu'à cinq, conçus pour s'opposer et se répondre. Il s'enrichit de jeux de détail, destinés à chanter en solistes jeux d'anches, notamment et son plénum s'étoffe de nombreuses mixtures qui donnent de la légèreté et de la transparence à ses tutti. Son apogée se situe au début du XVIIIe siècle. Les principaux représentants de la facture française des XVIIe et XVIIIe siècles sont les Thierry et les Clicquot. Les théoriciens en sont le père Mersenne et surtout Dom Bédos, dont le monumental traité, l'Art du facteur d'orgues (1766-1778), unique en son genre, consacre tout le savoir-faire acquis au cours des siècles précédents.
En Flandre et en Allemagne du Nord, l'orgue se singularise par ses jeux de flûte et ses batteries d'anches et ses amples proportions, tandis qu'en Allemagne du Centre et du Sud, l'instrument, moins développé, subit l'influence française et réalise un harmonieux équilibre des diverses tendances. Il est représenté par Fritzsche et Compenius pour le nord, les Schnitger et les Silbermann pour l'ensemble du monde allemand. Les orgues d'Allemagne ont la particularité de posséder un pédalier à touches qui favorise la virtuosité, alors que la France reste encore fidèle à son ancien pédalier à chevilles : l'adoption par la facture française du pédalier à l'allemande ne se fera que vers 1860 seulement.
D'autres pays possèdent une école et un style originaux, comme la péninsule Ibérique, avec ses grands chœurs d'anches et ses tuyaux en chamade, et ses claviers coupés permettant des registrations différentes (Brebos). Les Anglais ont également développé un style spécifique, influencé par les écoles française et flamande (Dallam, Harris).
Le XIXe siècle
Après une période de stagnation et même de régression (en France surtout, du fait de la Révolution et du profond changement des goûts et des mœurs), l'orgue va se trouver doublement marqué par la recherche d'améliorations techniques d'une part, et par l'influence du style symphonique d'autre part. Il va sacrifier son caractère propre (jeux de détail fortement typés, mixtures) à une imitation approximative des instruments de l'orchestre et des procédés de l'écriture symphonique ; à la poésie de timbres subtils, il préférera la puissance massive et une virtuosité évidemment calquée sur celle du piano qui triomphe alors. Sur le plan technique, l'orgue symphonique améliore la distribution du vent dans les sommiers, introduit la machine Barker, perfectionne la mécanique. Musicalement, il est plus puissant, mais aussi plus rond, plus grave, plus épais et dense, moins diversement coloré que l'orgue classique ou baroque. Procédant par grandes masses, il use d'effets de crescendo par renforcement de la sonorité en camaïeu et non par enrichissement du coloris ; souffrant d'une sorte de complexe du piano et de son impossibilité à faire varier l'intensité du son en fonction de la frappe de la touche, il cherche un nouveau type d'expressivité par l'usage de la boîte expressive. À côté d'un Cavaillé-Coll, qui réalise les chefs-d'œuvre de l'orgue symphonique, et de facteurs comme Callinet, Abbey ou Harrison, bien des organiers moins doués ont bâti des instruments de moindre intérêt sonore, souvent même en modifiant des instruments anciens à jamais défigurés.
Le XXe siècle
Un mouvement de contestation de l'orgue symphonique s'est développé vers 1920, sous l'impulsion de Victor Gonzalez avec, bientôt, la caution du musicologue Norbert Dufourcq et des instances officielles (commission des orgues du secrétariat des Beaux-Arts). Ce mouvement a abouti en France à un instrument baptisé « néoclassique », qui pratiquait un sain retour à une esthétique ancienne plus spécifiquement propre à l'orgue, mais enrichie d'éléments techniques et sonores ultérieurs. Ainsi s'est concrétisé un instrument de style hybride assez mal défini, présentant un échantillonnage varié de jeux basé sur les compositions d'orgues classiques, tout en maintenant des jeux de l'orgue symphonique et en adoptant des techniques nouvelles, comme la transmission électrique pour les instruments importants. Cet idéal d'orgue à tout jouer a été appliqué non seulement à des instruments neufs, mais aussi à bien des instruments anciens y compris les meilleurs représentants de la facture symphonique, qui se sont trouvés de ce fait dénaturés.
Ce mouvement de retour aux sources devait se poursuivre après 1950 par des recherches plus approfondies sur les divers types d'instruments, classiques et baroques, dont il n'existe pas un seul prototype, mais un certain nombre de types très différenciés par le style, la composition et la réalisation technique. Il a abouti à la construction (ou à la restauration) d'instruments d'esthétique beaucoup plus pure et univoque, véritables copies d'orgues baroques allemands ou classiques français orgues « à la Dom Bédos », « à la Silbermann », « à la Clicquot », etc., par exemple. Ce mouvement salutaire a permis d'accroître les exigences en matière de mécanique et de sonorité. On ne peut cependant nier qu'il ne s'agit là que d'un travail d'archéologie, si réussi soit-il (Kern).
Depuis 1970 environ, et sous la pression de quelques organistes compositeurs, se font jour, en Allemagne principalement, des recherches de sonorités nouvelles et de dispositifs de jeu inédits : harmoniques supplémentaires dans les jeux de mutation, tuyaux ou émetteurs de sons inexplorés encore, programmation ajustable de sonorités et de mélanges sur des notes isolées, accords transposables automatiquement d'une note à l'autre pour permettre l'exécution de clusters, etc. Reste à savoir si des instruments réalisés sur de telles données permettront ou non l'exécution d'œuvres anciennes, ou s'ils devront se spécialiser dans les œuvres écrites à leur intention. Peut-être, en tout cas, ces recherches mèneront-elles un jour à la création d'un type d'orgue véritablement nouveau, comme le XXe siècle n'en a pas encore réalisé.
La musique pour orgue
Jusqu'au XVIe siècle, l'orgue, comme d'ailleurs les autres instruments à clavier, ne possède pas de répertoire propre. On y exécute des pièces polyphoniques, sacrées (motets, versets) ou profanes (multiples danses, canzone, variations), soit pour accompagner des chanteurs, soit pour dialoguer avec eux en répons, soit encore pour faire danser ou participer aux fêtes. Il est vraisemblable que, dès cette époque, une part importante était faite à l'improvisation (préludes, fantaisies). Quant à la musique écrite, elle l'était sous forme de tablatures.