Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
E

expressionnisme

Mouvement artistique essentiellement pictural à l'origine, qui gagna rapidement tous les arts, et se développa en Allemagne à partir de 1905 environ autour de deux groupes, Die Brücke, fondé en 1905 par E. L. Kirchner, et Der Blaue Reiter, fondé en 1911 par Kandinsky.

Guidés par une réaction commune contre le naturalisme et l'impressionnisme, les artistes cherchent à exprimer les forces vitales de leur être, et renoncent pour cela aux critères conventionnels du beau pour arracher à leur « moi » les formes anguleuses de visions intérieures. Ils aspirent à un homme nouveau, et leurs conceptions idéologiques du monde (Weltanschauung) expliquent les glissements politiques ultérieurs du mouvement.

   Il ne faut pas rechercher en musique de programme expressionniste. En effet, malgré le désir de Kandinsky d'une œuvre synthétique unissant tous les arts (tentative du Son jaune en 1909), seul Schönberg participa effectivement en 1911 aux activités du Blaue Reiter, et ceci plutôt par la contribution de ses toiles et de ses articles que par sa musique elle-même. Cependant, on peut isoler les traits relevant directement de l'expressionnisme que l'on distingue, de façon plus ou moins dense, dans la production musicale des années 10 et 20.

   On assiste tout d'abord à une exacerbation maladive de tous les paramètres du langage musical, prise de possession de l'univers des sons qui va faire éclater les cadres accoutumés de l'œuvre : les intervalles sont distendus (redoublements) et les plus « expressifs » d'entre eux privilégiés (2e, 4e, 7e, qu'ils soient diminués ou augmentés), les registres sont dispersés jusque dans les extrêmes de l'échelle sonore, le tissu compositionnel revêt la luxuriance d'enchevêtrements organiques aux lignes brisées par des écarts et des contrastes brutaux. Cette exacerbation crée une tension constante qui engendre l'atmosphère érotique criante d'opéras tels que les Stigmatisés de Schrecker ou Salomé de Strauss.

   L'œuvre expressionniste d'autre part est mouvement, geste en perpétuel devenir qui libère l'essence psychologique de l'homme, et s'épanouit particulièrement bien sur scène, dans le drame, en collaboration avec dramaturges et metteurs en scène (Kokoschka/Hindemith : Meurtre, espoir des femmes, 1921, par exemple, mais par-dessus tout, les deux drames de Schönberg intitulés Erwartung [« Attente »], 1909, qui met en scène un unique personnage, et la Main heureuse, 1913, qui fait intervenir le Sprechgesang, sorte de « parlé-chanté » sans hauteurs fixes, à la fois cri déchirant et lame d'acier ­ procédé très expressionniste).

   Pour intensifier l'élan vital de leur musique, les compositeurs cherchent à réduire à ses seuls éléments essentiels le langage, et vont bientôt rejeter tout ce qui conduit à des redites, comme le thème et son développement classiques (athématisme et « développement continu » dans Erwartung), favorisant à la place la technique de la variation, déduisant d'une même cellule initiale tous les niveaux de la composition (« Nuit », 8e pièce du Pierrot lunaire de Schönberg). Condensée, cette nouvelle « œuvre en soi " s'organise selon sa logique interne, en une « forme absolue » (succession de petites formes achevées dans Wozzeck de Berg), microcosme qui renvoie l'image de l'ordre universel que l'on retrouve dans les recherches de correspondances entre sons et couleurs de Hauer ou de Scriabine (Prométhée), dans le « panchromatisme », inspiré indirectement de Schwedenborg, d'un Schönberg, dans le transcendantalisme de Ives (The Unanswered Question, 1906). Toutes les voix sont d'importance égale, indépendantes (d'où une écriture plutôt contrapuntique : « la Tache de lune », 18e pièce du Pierrot lunaire de Schönberg), les sons ont tous le même poids (émancipation de la dissonance et atonalité, cristallisées historiquement par l'évolution de Schönberg), chaque élément a un rôle structurel (d'où l'écriture pour ensemble de solistes).

   L'absence de contrainte formelle extérieure oblige au début les compositeurs à sauver l'unité de l'œuvre par l'intervention d'un texte (4e mouvement du 2e quatuor de Schönberg), par une structure intervallique ou rythmique (Sacre du printemps de Stravinski, ostinatos dans l'op. 16 de Schönberg, 1re pièce), par une écriture aphoristique (6 pièces op. 6 de Webern, 1909), ou par cette « mélodie de timbres » (Klangfarbenmelodie : 3e pièce de l'op. 16 de Schönberg), qui est en même temps une manifestation de la suggestivité recherchée dans le maniement de la matière à l'état pur (cf. idées de Kandinsky).

   Mais cet univers atonal s'organise bientôt en un système dodécaphonique (théories de Hauer, 1920 ; pièces op. 25 de Schönberg, 1921-1923) et se coule dans les moules formels de la musique baroque (Suite op. 29 de Schönberg, 1926). C'est de cet aspect plus « constructiviste » que découle l'évolution logique qui amena de nombreux compositeurs à élaguer leur musique pour en faire mieux ressortir la structure interne et la beauté abstraite, à la régénérer par une réduction puisée dans le retour aux forces originelles (folklore chez Bartók par exemple ; rythme, jazz et force magique de la danse chez Stravinski ou Krenek). Cependant, on tend à l'heure actuelle à mettre de côté cet aspect plus tardif et rationnel de l'expressionnisme, parallèle d'ailleurs à l'évolution du Blaue Reiter, dans l'acception très générale du terme. La qualification d'« expressionniste » renvoie en effet maintenant à une musique somme toute très romantique et entachée de symbolisme, et à l'éternel dilemme opposant musique intellectuelle et musique expressive.

extension

Fait d'écarter un doigt pour atteindre une note en dehors de la position où l'on se trouve.

Dans les instruments à cordes, l'extension, supérieure ou inférieure, se pratique souvent pour éviter de changer de corde ou de position.

Eybler (Joseph Leopold)

Compositeur autrichien (Schwechat, près de Vienne, 1765 – Vienne 1846).

Il étudia à la maîtrise de la cathédrale Saint-Étienne de Vienne, puis fut élève d'Albrechtsberger (1776-1779). Protégé par Mozart et Haydn, il fut directeur de la musique à l'église des Carmélites (1792-1794) puis au cloître des Écossais (1794-1824), professeur de musique à la cour (1801), vice-maître de chapelle impérial en 1804 et maître de chapelle impérial comme successeur de Salieri de 1824 à 1833, date à laquelle une attaque l'obligea à se retirer. À la mort de Mozart, ce fut lui qui entreprit de terminer son Requiem, mais il abandonna cette tâche et la transmit à Süssmayer. Il écrivit beaucoup de musique religieuse, dont un Requiem en ut mineur (1803) et l'oratorio Die vier letzten Dinge (1810), au livret à l'origine destiné à Haydn, et des pages instrumentales dont de remarquables quintettes à cordes. Il fut anobli en 1835.