tchèque (République)
Slovaquie (suite)
La période contemporaine
L'occupation allemande contraint les nombreux musiciens d'origine juive soit à fuir, soit à se cacher, soit à faire front. Ce fut le cas de Ervín Schulhoff (1894-1942), à la fois citoyen soviétique, juif et communiste. Arrêté par la Gestapo, puis déporté au camp de Wurzburg, il y mourait. Il a laissé une importante création dominée par sa musique de chambre, trois Quatuors à cordes, Cinq Pièces pour quatuor, Sonates pour violon et piano (2), Sextuor à cordes, ainsi que de nombreux cycles pianistiques assimilant avec tendresse et humour les rythmes jazzifiants des danses d'époque, ainsi que l'influence de Hába et Stravinski. Son chef-d'œuvre s'est révélé être la tragi-comédie les Flammes (Plameny) sur le mythe de Faust (Brno, 1932). Gideon Klein (1919-1945), Viktor Ullmann (1898-1944), Pavel Haas (1899-1944) enfermés au camp de Theresienstadt (Terezín) puis morts en déportation, ont réussi à écrire des partitions de « ghetto » tardivement redécouvertes. Le chef d'orchestre-compositeur Karel Ančerl (1908-1973) [auteur d'une Sinfonietta dans la tradition de Janáček] et la basse Karel Bermann (1919), également compositeur, survivront à la déportation.
Au lendemain de la libération, Martinù (1890-1959) n'est pas là, retenu au États-Unis par une chute aux suites dramatiques. Le musicien mourra sans avoir revu sa terre natale, mais en laissant une œuvre « américaine » grandiose. Rafael Kubelik (1914), le fils du grand violoniste Jan Kubelik (1880-1940), prend la direction de la Ceská filharmonie (Philharmonie tchèque). Le « Coup de Prague » installe l'ordre « socialiste » dans lequel la culture est une arme essentielle de propagande. L'aspect positif de cette prise en main reste la création de quelques orchestres « nationaux » à Brno, Ostrava, Olomouc, Plzeň, Bratislava, Košice… En 1946 est institué le festival du Printemps de Prague (Pražke jaro), qui devient une vitrine d'une vie musicale brillante mais sous contrôle. Les artistes soviétiques en sont les invités privilégiés. D. Oïstrakh, E. Mravinski, K. Kondrachine, E. Svetlanov, S. Richter, E. Guillels… font la gloire de ces semaines de Mai, toujours introduites par une exécution de Ma vlást de Smetana et closes par la 9e Symphonie de Beethoven. Le Philharmonie tchèque fait alors honneur à sa réputation sous les baguettes de ses chefs, Karel Ančerl (1955-1968), puis Václav Neumann (1969-1991). L'Union des compositeurs (1949) surveille et encourage un style académique dans la ligne soviétique, qu'illustrent Václav Dobias (1909-1978), Jiří Pauer (1919) ou Oldřich Flosman (1925). La personnalité la plus indiscutable de cette époque demeure Miloslav Kabeláč (1908-1979), organiste, symphoniste doué d'un souffle généreux, qui laisse quelques partitions exemplaires, telles l'Improvisation sur Hamlet (1963) et huit Symphonies écrites pour des formations chaque fois différentes. Klement Slavický (1910), héritier à la fois de Janáček, dont il fut l'élève à l'orgue, et de Josef Suk, constitue une œuvre d'abord vivifiée par le folklore, puis poursuivie dans un style à la fois vigoureux et élégiaque dans ses Sinfoniettas (1o, 1939, 2o, 1961, 3o, 1980, 4o, 1982), Fantaisies pour piano, sur des danses moraves, chœurs, et des pièces instrumentales tels que Sonates et Quatuors (2), Trialog… L'œuvre laissée par Jan Kapr (1914-1988), dévolue à la grande forme (dix Symphonies, six Quatuors, Concertos…), deviennent « avant-gardistes » au lendemain des « événements d'août 1968 », tels les Codes pour piano, percussion et bande magnétique (1966) ou les Exercices pour Gydli (1968) pour soprano, flûte et harpe, proches de Berio. Sa 8e Symphonie, « Les cloches de Prague », fut ovationnée à Munich (1970). Pour faire connaître la musique contemporaine, quelques compositeurs-chefs d'orchestre et instrumentistes créent un ensemble instrumental, les Musica viva pragensis, animés par les compositeurs Jan Rychlík (1916-1964), Marek Kopelent (1932), dirigés de 1963 à leur dissolution par Zbyněk Vostřák (1920-1985), avec l'assistance, entre autres, du clarinettiste Milan Kostohryz. Ils font découvrir aussi bien l'école américaine de Varèse, Cage, Carter que l'école post-webernienne, Messiaen et Boulez. Parallèlement, l'ensemble Komorní harmonie (« Harmonie de chambre »), dans son fief du Théâtre de la Balustrade, fait connaître aussi bien les partitions de Janáček que de Stravinski. Son chef est un jeune musicien, Líbor Pešek (1933), qui va devenir une des grandes baguettes de sa génération. Son compositeur-animateur se nomme Jan Klusák (1934) qui, dans le sillage de Berio et de l'école américaine (Carter en particulier), rend d'abord hommage à Webern avec les Cinq Inventions (1961-65), puis exorcise la conjonction Mahler-Schönberg avec les Variations sur un thème de Gustav Mahler (1960-62) l'adagietto de la 5e Symphonie , et a poursuivi une œuvre, essentiellement de chambre, dont quatre Quatuors (no 3 – 1975, no 4 – 1990), dans un style expressionniste post-sériel.
L'école de Brno, avec Miloslav Ištvan (1928-1990), Alois Piňos (1925), Josef Berg (1927-1971), Pavel Blatný (1931), reste orpheline de Jan Novák (1921-1984), réfugié en Italie aux lendemains des « événements de 1968 ». Ce dernier, élève de Bořkovec à Prague, puis de Martinù à New York, laisse une œuvre, d'abord chantante et volubile avec ses Carmina Sulamitis (1947), puis densifie son discours dans sa dernière période en entrant dans la mouvance post-debussyste de Boulez.
À côté des dodécaphonistes à leurs débuts, puis « polystylistes », que sont Vostřák, Rychlík, Jarmíl Burghauser (1921), Ctirad Kohoutek (1929), Václav Kučera (1929)…, appuyés par le théoricien que fut Vladimír Lebl (1928-1987), évoluent quelques créateurs indépendants tels que Ilja Hurník (1922), pianiste, influencé par la musique française de Debussy, celle du premier Stravinski comme de Poulenc. Son ballet Ondráš (1950), Maryka (1948-55), cantate folklorique, ou les Fables d'Ésope précèdent une période plus avant-gardiste. Deux autres compositeurs affirment leur style sans cultiver la cantate académique. Le premier est Viktor Kalabis (1923), musicien intransigeant d'abord influencé par l'école française et le premier Stravinski, avant de se soumettre à l'éthique bartokienne (Komorní hubda op. 21, 1963, Variations symphoniques op. 24, 1964) puis à l'écriture sérielle (Accents pour piano op. 26, 1966). Il a su imprimer sa marque par l'ensemble de ses cinq Symphonies (no 2 « Sinfonia pacis » op. 18 [1961], no 3 op. 33 [1970], no 4 op. 34 [1972], no 5 op. 43 [1975-76]) et de ses sept Quatuors. Le second est Jindřich Feld (1925), également élève de Ridky, mais dont le style possède une liberté et une invention dans la tradition tchèque. Il s'est fait connaître par ses partitions des années soixante, Trois Fresques (1963), 4e Quatuor (1965) et 1re Symphonie (1966). Ses partitions récentes, plus enjouées, possèdent l'apparente facilité du dernier Martinù en étendant ses conquêtes du domaine instrumental à l'invention chorale. À la fin des années soixante il faut connaître, parmi les traditionalistes, Vladimir Sommer (1921) resté dans l'héritage de Prokofiev, Lubor Bárta (1928-1972), mélodiste post-bartokien, dont l'œuvre est instrumentale dominée par ses Quatuor (3) et des Concertos (4), celui pour alto (1957) étant dédié à Milan Skampa, l'altiste du Quatuor Smetana. Les tenants de la « musica nova » se sont regroupés autour de Rychlík et Vostřák et forment la génération des compositeurs « modernes » de la nouvelle République tchèque. Tout d'abord Marek Kopelent. Découvert à Darmstadt par son 3e Quatuor (créé en 1963 par les Parrenin), puis ovationné à Donaueschingen lors de la création de Matká (1964), fresque pour flûte et chœur mixte, il a pris rang auprès des créateurs de l'époque avec Snéhah, cantate pour soprano, saxophone-alto et orchestre de chambre (1967), qui le rapproche de l'école boulézienne Soleil des eaux et Marteau sans maître). La Legenda « De passione sancti Alberti Martyris », commande de l'automne de Varsovie (créée en septembre 1981) propose une synthèse entre la tradition séculaire slave des bylines et les « dits » des troubadours modernes. Luboš Sluka (1928), à la veine lyrique intimiste, s'est fait connaître par sa musique de chambre (sonates) et vocale (le Langage des fleurs, cycle de mélodies sur des poèmes de R. Desnos [1972]). Son aîné, Petr Eben (1929), interné à Buchenwald à quatorze ans, pianiste et organiste, est un compositeur qui a tenté l'alliance entre la tradition médiévale (entre autres, grégorienne) et de la Renaissance avec l'écriture d'aujourd'hui. Son œuvre est d'abord vocale Chants d'amour (6) [1951], Chants d'amour et de mort (1958), Poèmes de Rilke (6) [1961], l'oratorio Apologia Socratus (1967), la cantate Pragensia pour chœur et instruments anciens (1972), puis s'est étendu au domaine symphonique avec Vox Clamantis et les Nocturnes de Prague et, évidemment, à l'orgue (Concertos compris). Jan Tausinger (1921-1980), musicien tôt disparu, se fit remarquer par son sens dramatique et une utilisation expressionniste de l'écriture sérielle : Canto di speranza (1965), et son testament patriotique, la Sinfonia bohemica (1973-75). Luboš Fišer (1935) s'est rapidement imposé avec ses Quinze feuillets d'après l'Apocalypse de Dürer (1964), jouant sur une écriture modale archaïsante faite de courtes cellules différenciées par le timbre et quelques procédés aléatoires. Il a poursuivi avec Caprichos (1966) pour deux chœurs et les Lamentations sur la destruction de la ville d'Ur (1971) pour trois récitants, soprano, baryton, chœur d'enfants jouant sur des effets de scansion et de déclamation. Depuis, il s'en tient à cette veine expressionniste avec le Requiem, Crux, Double pour orchestre, Concerto pour piano, Quatuor (créé par le Quatuor Talich). Ivana Loudová (1941) s'est fait connaître par Spleen, le Concerto pour percussion, orgue et harmonie et des pièces vocales. On peut citer des musiciens comme Jiří Teml (1935) et Ivo Bláha (1939), particulièrement à leur aise dans le domaine instrumental, comme le prouvent les trois Quatuors qui sont respectivement à leur catalogue.
Dans le domaine des réalisations électro-acoustiques, les créateurs persistant dans cette voie ouverte par Kabeláč, Herzog, Kučera, Růžička… se nomment Jaroslav Krček (1939) avec le conte biblique Raab, la femme de petite vertu (1971), Karel Odstrčil (1930), le producteur des Voskových figur (figures de cire, 1967-89), empruntant les voix aussi bien de Kafka, Curie, Gandhi ou Hemingway) et Milan Slavický (1947), fils de Klement, avec, par exemple, Apologie du clavecin (musique concrète, 1970). Ce musicien-metteur en onde a écrit d'autres partitions significatives, un Concerto pour violon, Chemin du cœur (1975) et sa série des Brightening (I à V). Le dernier volet est une composition électroacoustique sous-titrée Automne de Prague relatant la fin du « socialisme » en novembre 1989. Plus traditionnelle et éclectique s'avère l'œuvre de son compatriote Ivan Kurz (1947) qui s'est signalé à la critique internationale par des partitions comme Absorption (1981), Rêverie, musique électronique (1982).