Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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Sturm und Drang

Le phénomène du Sturm und Drang « Orage et Passion », typiquement germanique mais de portée universelle, fut essentiellement littéraire. Il eut comme père spirituel Jean-Jacques Rousseau, et tira son nom, qui lui fut attribué après coup, de celui d'une pièce du dramaturge Maximilian von Klinger (1752-1831), écrite en 1776 et jouée en 1777. Ce phénomène eut comme expression littéraire la plus célèbre et la plus parfaite le Werther de Goethe (1773), et culmina sans doute avec Die Räuber (les Brigands, 1780-81) de Schiller. Inséparable de ce mouvement fut la renaissance, dans les pays de langue allemande, des tragédies de Shakespeare.

   Ses buts artistiques furent d'émouvoir très fortement et très profondément, d'étonner, de donner le frisson. En musique, sa première manifestation, encore assez isolée, fut sans doute la scène finale du ballet Don Juan de Gluck (1761), dans la descendance de laquelle se situe, entre autres, la scène du Commandeur dans le finale du second acte de Don Giovanni de Mozart (1787). Il est sûr qu'à l'époque, le Sturm und Drang fut un élément important de la musique théâtrale, ce dont témoignent, par exemple, les ouvertures à sensation (Hamlet, 1778) de l'abbé Vogler ou les ballets produits par lui à Mannheim. Mais il se manifesta aussi en musique instrumentale, en particulier dans les genres nouveaux, et largement nés en Allemagne et en Autriche, du quatuor à cordes et de la symphonie. En d'autres termes, au niveau musical, le Sturm und Drang signifia à la fois sur un plan général la prise de conscience de l'Allemagne par elle-même, et sur un plan particulier une individualisation de plus en plus nette, dans les genres du quatuor à cordes ou de la symphonie, de chaque ouvrage pris isolément, ainsi qu'un rôle de plus en plus important joué par la subjectivité : la différence avec l'Empfindsamkeit étant que ces sentiments, au lieu de rester tributaires des velléités de l'instant, tentèrent de s'intégrer dans une discipline d'ensemble, même quand ils prirent la forme d'explosions brusques (les symphonies et les quatuors écrits par Haydn vers 1772 se caractérisent aussi bien par une profonde subjectivité que par une grande force intellectuelle).

   Le Sturm und Drang musical fut, pour une large part, un phénomène autrichien, et, en tant que tel, il culmina vers 1770-1772. D'aucuns ont contesté cette appellation. Elle a pour elle sa commodité, car le terme de Sturm und Drang est très parlant, et aussi le fait de s'appliquer à une musique (celle écrite dans l'orbite de Vienne vers 1770-1772) en définitive très neuve et très typique techniquement et émotionnellement, même si sur le plan technique (recours à la polyphonie, par exemple), ses traits les plus caractéristiques demeurent ancrés dans une tradition qui au cours des années précédentes n'avait pas, et de loin, complètement disparu : les trios pour baryton écrits par Haydn à partir de 1765 déjà sont, entre autres, un laboratoire de recherches contrapuntiques. Il reste que, aux alentours de 1770, Haydn écrivit davantage d'œuvres instrumentales dans le mode mineur qu'à tout autre moment de sa carrière, et que, au même moment, il se préoccupa spécialement des aspects expressifs du contrepoint (fugues finales des quatuors à cordes op. 20 nos 2, 5 et 6), pas seulement de ses aspects « tour de force ». De fait, technique et expression se mêlèrent comme jamais auparavant, et c'est alors que l'association du mode mineur à la passion ou à la douleur devint nettement plus étroite. À noter cependant que si Haydn, vers 1770, eut largement recours au contrepoint savant dans ses quatuors ou dans ses symphonies ­ le menuet de la 44e (Funèbre) est un canon, le mouvement lent de la 47e est en double contrepoint à l'octave et son menuet est fait de deux phrases dont la seconde est la rétrogradation exacte de la première ­, ce fut non seulement pour leur donner plus de sérieux et de poids, mais sûrement aussi pour montrer ce dont il était capable, sur le plan du métier, aux critiques d'Allemagne du Nord qui lui reprochaient violemment ses côtés autrichiens, son sens de l'humour, ses mélodies populaires balkaniques, ses passages abrupts de la tragédie à la comédie. Le paradoxe est justement que le Sturm und Drang ne fit pas disparaître tous ces traits plébéiens de la musique de Haydn : au contraire, son climat général de violence et d'introspection les mit, par contraste, plutôt en valeur.

   Première synthèse dans la formation du style classique, le Sturm und Drang ne parvint pourtant pas à mettre complètement en relation harmonieuse, dans une œuvre ou un mouvement d'œuvre, les parties et le tout. En outre, le facteur rythme resta encore fortement imprégné d'esprit baroque. Des splendeurs et des sortilèges du Sturm und Drang, qui avaient également marqué leurs contemporains, Mozart et Haydn finirent (non sans en conserver les traces) par se détourner vers 1774, Mozart assez brusquement, sous la pression du milieu salzbourgeois, Haydn, qui vivait dans l'isolement et pour qui il avait signifié davantage, plus lentement. L'un et l'autre finirent par rejeter ce qui n'était que rébellion, éparpillement ou morbidité, au profit d'une forme organique capable de démarrer, mais aussi d'aboutir. Ils accomplirent cette démarche sous le signe d'une subjectivité moins jaillissante peut-être, mais de mieux en mieux intégrée dans un tout harmonieux, et par là d'autant plus puissante et durable dans ses effets. Par le biais du style galant, ils parvinrent en moins de dix ans à leur grande maturité classique.

Stutzmann (Nathalie)

Contralto française (Suresnes 1965).

Fille de la soprano Christine Stutzmann et du baryton Christian Dupuy, elle étudie le piano et le basson au Conservatoire de Nancy. Douée d'un timbre rare, elle est dès 1983 lauréate du Concours de Bruxelles. Puis elle étudie avec Hans Hotter à l'École lyrique de l'Opéra de Paris, d'où elle sort en 1987. Dès 1986, elle chante Didon et Enée à l'Opéra-Garnier, et commence une carrière internationale. Triomphant dans Faust, Boris Godounov et la Flûte enchantée, elle privilégie cependant les récitals avec orchestre ou piano. Depuis 1994, c'est la pianiste Inger Sördergen qui l'accompagne. Elle entreprend au disque une intégrale des lieder de Schumann ­ commencée avec Catherine Collard ­ et enregistre des mélodies françaises. En 1993, elle interprète les lieder de Mahler avec orchestre, puis aborde Haendel avec Marc Minkowski et chante les Passions de Bach avec Harnoncourt et Sawallisch. En 1994, elle participe aux Mozartwochen de Salzbourg, et crée Ombra Felice (Mozart Pasticcio) d'Ursel et Hermann.