Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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japonaise (musique) . (suite)

Le système tonal de la période moderne (XVIIe-XIXe s.)

À partir du moment où la musique autochtone a connu l'octave, son système tonal a rencontré celui de la musique savante d'origine chinoise. L'échelle de Ritsu coïncide en effet avec deux tétracordes disjoints, composés chacun d'une seconde majeure (mi-fa dièse) et d'une tierce mineure (fa dièse-la), de bas en haut. C'est cet ensemble tétracordal qu'on a appelé vers le XVIIe siècle l'échelle Yô.

   Échelle de Ritsu :

   Échelle de Yô :

   Mais d'importantes différences séparent en fait ces deux échelles. Dans le Ritsu, les notes constitutives sont déterminées par le diapason et les notes Kyû et Chi sont les plus importantes. Dans l'échelle ce sont les notes extrêmes des tétracordes qui exercent une action polarisante, les notes médianes conservant une nette tendance à s'abaisser, comme nous l'avons vu précédemment. De cet abaissement progressif résulte la formation d'une nouvelle échelle hémitonique, In ou Miyako-bushi, issue du système tétracordal de la même manière que l'échelle Yô.

   Échelle d'In :

   Le système tonal autochtone a donc engendré successivement l'échelle transitoire Yô, puis In, au cours de son évolution. Aussi n'est-il pas rare que les genres musicaux de la période médiévale, tels le ou le Heikyoku, aient été influencés par l'échelle In.

   L'analyse des pièces écrites pendant la période moderne révèle, par ailleurs, que leur structure mélodique est régie non par les échelles et In, mais par les systèmes tétracordaux propres à chacune d'elles, soit pour l'échelle les trois tétracordes : mi-fa-la ; si-do-mi ; la-si-ré ; et pour l'échelle In : mi-fa-la ; si-do-mi ; la-si-ré. Le troisième tétracorde de chaque ensemble sert de lien entre les deux premiers.

Le rythme et le temps musical

Pour éviter toute équivoque, nous appelons rythme, toute forme de structuration des durées sonores, qu'il s'agisse d'une ligne mélodique, d'un thème ou d'une cellule rythmique. Et par tempo, nous désignons la vitesse de déroulement de ces formes rythmiques. La musique japonaise traditionnelle est caractérisée par deux types rythmiques : le rythme régulier et le rythme libre.

Période antique

Le Gagaku, qui présente une périodicité régulière et un fractionnement égal de la durée, introduit au Japon le rythme régulier. Mais cette musique instrumentale utilise également le rythme libre dans l'introduction (Jo), où les instrumentistes jouent indépendamment les uns des autres et sans contrôle vertical des sonorités.

   Pour sa part, la musique vocale de Shômyô recourt de préférence au rythme libre (Jo-kyoku), mais emploie aussi parfois le rythme régulier (Tei-kyoku). Dans les pièces de Shômyô nommées Gu-kyoku, les deux types de rythme sont combinés pour assurer le passage du rythme libre au rythme régulier.

   Le tempo de la musique de cette période est extrêmement lent, en raison du statisme qui caractérise alors les pièces.

Période médiévale

Au Moyen Âge, la musique étant étroitement associée à un texte (didactique pour le Kôshiki, épique pour le Heikyoku, dramatique pour le ), on utilise de préférence le rythme libre et un tempo élastique, pour faciliter la compréhension des paroles. Dans le nô, on recourt à une périodicité constituée par huit frappes de tambour, qu'on appelle Kusari (« chaîne »), et qui sert à régler la superposition des parties vocale et instrumentale. Mais ces huit frappes ne déterminent pas des intervalles rythmiques réguliers et le tempo fluctue sans cesse. Par exemple, le tempo du chant final Kiri de la pièce Hagoromo, oscille entre 95 et 160 à la noire métronomique. Une telle fluctuation est due aux sentiments éprouvés par le héros et au climat dramatique des différentes séquences d'une pièce. On voit, par là, que la notion de temps dans la musique médiévale est avant tout de nature psychophysiologique.

Période moderne

Selon les genres musicaux, le rythme à huit périodicités irrégulières, hérité de la période précédente, va évoluer différemment. Dans le Kabuki, les dimensions mêmes du théâtre ont entraîné l'emploi de plusieurs Shamisen, pour renforcer les sons. Ce jeu d'ensemble instrumental a accentué le caractère binaire du rythme (cf. Kiyomoto, Tokiwazu, Nagauta). Mais on conserve le rythme libre pour l'introduction et le prélude d'une pièce de Kabuki.

   Dans la musique de Koto, qui reste dans le sillage de la tradition savante du Gagaku, c'est le rythme régulier caractéristique du type musical déterminé qui domine.

   Un rythme ternaire (assez rare au Japon), apparaît au début du XVIIIe siècle, dans le chant populaire, Dodoitsu, qu'accompagne le Shamisen. Les autres genres (Satsuma-biwa, Shakuhachi, Gidaiyû) marquent une prédilection pour un rythme libre, peu marqué, qui suit avec souplesse la narration du soliste et reflète le cours sentimental du récit.

   Tous les genres de cette période ont adopté le tempo élastique développé à l'époque précédente. Ainsi dans Rokudan, pièce pour Koto, le tempo varie de 60 à 168 d'après la noire métronomique. Cela montre que l'élasticité temporelle contribue à la structuration d'une pièce, même uniquement instrumentale.

La structure musicale

La musique de type déterminé et celle de type indéterminé possèdent chacune un système de composition et une structure spécifiques ; la structure déterminée de la première s'oppose à la structure fluctuante de la seconde, comme nous l'avons déjà observé à propos du rythme et du tempo.

Période antique

La musique aristocratique de cette période (Gagaku, Rôei, Saibara, etc.) est de structure déterminée. On compose les thèmes à partir de notes, dont la hauteur est fixe, et la macrostructure d'une œuvre est obtenue par la transposition et la réexposition des thèmes qui constituent sa microstructure.

Période médiévale

La musique de nô, qui est la plus représentative de cette période, présente une structure fluctuante ­ mais non improvisée ­ dont l'unité minimale est la cellule. Cris, frappes de tambour, sons de flûte et émissions vocales s'inscrivent dans une cellule déterminée et on juxtapose et superpose un certain nombre de cellules instrumentales, vocales et rythmiques pour structurer l'ensemble d'une pièce. Grâce au caractère fluctuant des éléments qui composent chaque cellule (hauteurs de fréquence variable, rythme non mesuré) et à la mémorisation du prototype, dont une cellule ne doit pas s'écarter au-delà d'une certaine marge de liberté, ce système de composition permet d'élaborer une forme déterminée avec des matériaux fluctuants.

   Dans les autres genres de cette période (Shômyô, Kôshiki, Heikyoku), apparaît une structure intermédiaire, alliant les éléments déterminés aux indéterminés. Ainsi les notes principales ont une hauteur déterminée au diapason, tandis que le rythme et le tempo ont une organisation fluctuante de type cellulaire.

Période moderne

C'est le système de composition par cellules qui caractérise la plupart des formes musicales de cette période. La musique vocale accompagnée par le Shamisen (Gidayû, Tokiwazu, Kiyomoto, etc.), ou par le Biwa (Satsuma-biwa) et la musique instrumentale pour Shakuhachi ont incorporé à leur technique la fluctuation propre au système cellulaire et exploitée à des fins expressives. Seule la musique de Koto, pratiquée depuis le XIIIe siècle uniquement par les prêtres et les confucianistes, a hérité de la structure déterminée propre à la musique aristocratique. Les pièces de Koto ont, en général, une structure thématique, obtenue en juxtaposant des sections (dan), qui représentent chacune une variation du thème initial.

   À chaque époque un type structural a donc tendu à s'imposer pour des raisons historiques ou esthétiques. Ainsi, la structure indéterminée a-t-elle toujours été préférée dans la musique théâtrale, parce qu'elle répond particulièrement bien aux exigences du dynamisme dramatique.

Les systèmes de notation

La notation dépend étroitement du type musical, déterminé ou indéterminé. Le premier système de notation fixe a dû être introduit au Japon vers le VIIe siècle, avec la musique venue de Chine et de Corée. Le plus ancien document qui nous soit parvenu est une partition pour Biwa de Gagaku, qui date du milieu du VIIIe siècle. Et la mobilité du système tétracordal, sur lequel est fondée la musique de la période préhistorique, incite à penser que la musique autochtone ignorait primitivement toute notation fixe.