Veress (Sándor)
Compositeur, folkloriste et musicographe hongrois (Kolozsvár, aujourd'hui Cluj, en Transylvanie, 1907 – Berne 1992).
Il fut l'élève de Bartók (piano) et de Kodály (composition) à l'académie Franz-Liszt de Budapest, où il enseigna de 1943 à 1948. Passionné de recherches folkloriques, il assista Bartók et Lajtha, sur le terrain, ainsi qu'au Musée ethnographique de Budapest. En 1948, il quitta la Hongrie pour Berne (1948-1950), puis émigra aux États-Unis, où il a enseigné au Goucher College de Baltimore. Il a aidé Bartók à publier ses divers recueils de chansons populaires hongroises (1921-1929, 1930-1936). Son œuvre, éditée à Milan, porte la marque de sa grande sensibilité et, sur le plan de l'écriture, de sa connaissance approfondie des gammes modales des mélodies hongroises anciennes, s'ouvrant ainsi sur un postsérialisme lumineux.
Œuvres principales : 2 symphonies (1940, 1953) ; Suite (1941) ; Lamentation in memoriam Béla Bartók (1945) ; Sonate pour orchestre (1953) ; Variations sur un thème de Kodály (1962) ; Exposition-Variation-Récapitulation (1964) ; Musica concertante, pour 12 cordes (1964) ; Hommage à Paul Klee, pour 2 pianos et cordes (1952) ; Passacaille, pour hautbois et orchestre (1961) ; 2 Sonatines (1932, 1934) ; Quatuors à cordes (1931, 1937) ; Trios à cordes (1954), avec piano (1963) ; Élégie, pour baryton et cordes (1964) ; Psaume de saint Augustin, pour basse, chœur mixte et orchestre (1944) ; Laudatio musicae (1958) ; Catherine de Térszil (1943 ; Stockholm, 1949).
Écrits : Béla Bartók, l'homme et l'œuvre (Londres, 1948) ; la Collecte de la musique populaire hongroise (en ital., Rome, 1949).
vérisme
Terme définissant un courant littéraire italien, et appliqué, par extension, au genre lyrique correspondant.
Par commodité, mais de façon incorrecte, on regroupe souvent sous cette étiquette tous les opéras écrits en Italie entre 1890 et 1904 par les contemporains de Puccini, notamment Mascagni, Giordano, Leoncavallo, Cilea, Franchetti (définis plus justement comme « jeune école »), mais aussi Bossi, Mugnone, Spinelli et une douzaine d'autres auteurs, dits « véristes mineurs » (OPÉRA). Ce vocable définit parfois aussi un type de chant lié à un type d'interprétation vocale postérieur à ce courant, s'en réclamant, et appliqué à tous les styles.
Le vérisme se rattache aux différentes manifestations du réalisme tragique porté sur les scènes lyriques en Europe, dès 1855 en Russie, en France avec Carmen, en 1875 (dont les musiciens italiens se réclamèrent), puis avec l'école naturaliste (Bruneau, Charpentier, Leroux, Laparra, etc.), en Allemagne avec Kienzl, D'Albert (Tiefland, 1903) et, dans une certaine mesure, plus tard avec Strauss et Berg, en Europe centrale avec Janáček, en Espagne avec de Falla (la Vie brève, 1905), etc. Or, il n'y eut ni manifeste du vérisme, ni communauté de style ou d'esthétique entre ses plus célèbres représentants, souvent séparés par des dissensions humaines, artistiques ou d'ordre local (rivalités entre Milan et Naples). En outre, des œuvres débordant les dates ci-dessus appartiennent à ce courant, mais la plupart des opéras célèbres écrits durant cette période s'en écartent, par leur sujet, et par leur écriture musicale.
Une perspective historique peut aider à cerner le vérisme, né de la scapigliatura milanaise (du titre d'un roman de Cleto Arrighi, paru en 1862, l'année des Misérables), « mode de vie plutôt que courant artistique » (cf. C. Parmentola), sorte de Saint-Germain-des-Prés d'une jeunesse littéraire rendue à l'art pur après son combat pour l'unité italienne, jeunesse encore imbue de romantisme et admiratrice de Victor Hugo, dans les rangs de laquelle milita Boito, puis furent formés la plupart des librettistes de la future « jeune école », Fontana, Illica, Oliva, Praga, etc. Mais le mouvement avait été en quelque sorte coiffé par l'arrivée à Milan de leur aîné, le romancier sicilien Giovanni Verga (1840-1922), un exact contemporain de Daudet et de Zola, qui, dans sa Vie des champs (1880), avait décrit en termes simples les passions parfois brutales mais sincères et immédiates des classes paysannes, notamment celles du Sud qui revendiquaient aussi contre l'industrialisation massive du Nord et le règne d'une nouvelle bourgeoisie, responsable de la Triple-Alliance, ressentie comme une trahison de l'idéal du Risorgimento. Une des nouvelles de cette Vie des champs, Cavalleria rusticana, fut portée à la scène avec la Duse (Turin, 1884), et le naturalisme de l'œuvre autant que le style moderne de l'interprétation précisèrent un style vériste. Et, à l'heure où Verdi laissait indifférentes les couches populaires et s'enfermait dans l'élitisme de son Otello (1887), l'opéra que tira Mascagni du drame de Verga (Rome, 1890) devint peu à peu le symbole d'un mode d'expression nouveau qu'explicita mieux encore le texte du prologue de Paillasse de Leoncavallo (Milan, 1892) : décrire sans détours la « tranche de vie » avec « ses pleurs et ses cris de rage ».
Mais cette « esthétique du coup de couteau » puisée dans la vie contemporaine, brûlante de sincérité, bénéficiant de livrets idoines, lancée au moment de la constitution du parti socialiste italien et soutenue par Edoardo Sonzogno, éditeur des jeunes musiciens français et rival de Ricordi (l'éditeur de Verdi), ne se retrouva plus que très rarement dans l'œuvre des meilleurs musiciens de la jeune école ; de formation romantique, ceux-ci retournèrent à leur vocation première, affinèrent leur art, et, décevant par là leur public initial, firent appel à des sujets de type bourgeois (souvent empruntés à la littérature française) situés dans un passé plus ou moins proche, puis à des thèmes historiques, mythologiques, exotiques, symbolistes, etc. Or, le mouvement ne pouvait s'évader de la résonance sociale qui l'avait porté, et le naturalisme fondé sur les particularismes locaux (cf. l'excellent Mala vita de Giordano, d'après Di Giacomo, Naples, 1892) fut voué à l'échec ou à des succès sans lendemain, eussent-ils leur rayonnement à l'étranger comme A basso porto de Spinelli (1865-1909), créé à Cologne en 1894 et joué dans tous les pays germaniques.
Si on ne peut tenir pour véristes à part entière, en raison de leur sujet, des opéras tels que Iris de Mascagni, Christophe Colomb de Franchetti, non plus que Fedora ou Adrienne Lecouvreur, drames certes, mais drames de boudoir, non plus que les partitions trop raffinées de Puccini, toutes ces œuvres empruntent parfois quelques traits communs au vérisme, pris d'abord comme une réaction contre le romantisme, ses thèmes, sa dramaturgie pesante, son écriture vocale trop savante (grands ensembles, derniers échos du bel canto). À cette stylisation succéda une autre convention, celle d'un souci évident de compréhension du texte dans une exaltation du mot qui renouait avec certains objectifs des humanistes de la Renaissance, cependant que des éléments « populaires » (romances, chansons à boire, chœurs villageois, sérénades) s'inséraient dans un discours basé sur un charme mélodique évident qui cachait parfois une science très profonde dont ne se souciait ni le public, trop attaché à l'action, ni la critique, hostile de principe.
Mais l'apport essentiel du vérisme fut de rendre leur humanité à ses héros, dépouillés de leur légende, ramenant les souffrances d'un Chénier à celles de Turiddu, et le conflit du bien et du mal à l'affrontement de l'homme et de la femme, comme dans Carmen, et pour cette raison privilégiant quasi exclusivement les voix de ténor et de soprano. Mais il appartint aux meilleurs musiciens de ces écoles de savoir, par leur musique, sublimer le quotidien de cette tranche de vie, et de renouer avec la catharsis esthétique ou tragique.