madrigal
Forme qui joua un rôle très important dans la musique italienne, d'abord au XIVe siècle, à l'apogée de l'Ars nova, ensuite, et sous un aspect très différent, au XVIe siècle.
C'est à cette époque que le genre fut acclimaté en Angleterre où il devait devenir également très populaire auprès des musiciens élisabéthains et jacobéens. En fait, il semble que seul le nom soit commun au madrigal du XIVe siècle et à son homologue de la Renaissance. À l'origine, le mot dérive sans doute du terme cantus materialis ou matrialis, caractérisant ainsi un certain type de composition profane, par opposition au chant religieux (cantus spiritualis).
Le madrigal primitif
Apparu en Italie du Nord, dans la première moitié du XIVe siècle, le madrigal primitif est une sorte de court poème mis en musique, avec un ou deux vers isolés qui reviennent en guise de ritournelle sur un rythme différent. Fait de deux ou trois strophes de trois vers (endécasyllabes ou heptasyllabes), il recourt à des textes amoureux, parodiques ou allégoriques et à une polyphonie primitive où le cantus (voix supérieure) s'épanouit sur de longs mélismes au mouvement rapide et à la fonction nettement expressive, tandis que le ténor, au mouvement plus modéré, l'accompagne et le soutient, canalisant le cours de la mélodie et l'orientant aussi vers les cadences. Essentiellement destiné à une exécution vocale, le madrigal de l'Ars nova peut également s'accommoder d'une transposition instrumentale et sa rapide diffusion dans la péninsule explique que les plus grands compositeurs du temps s'y soient intéressés : d'abord Giovanni da Cascia et Piero, puis Jacopo da Bologna et Francesco Landini, dit « l'aveugle des orgues » (cieco degli organi), sans doute le musicien le plus important de l'Italie du XIVe siècle, un créateur de la carrure de Machaut et continuateur de la manière des précédents, bien qu'il ait préféré au madrigal proprement dit les formes qui en dérivaient : caccio à trois voix et surtout ballate.
Le madrigal renaissant
À partir du XVIe siècle, le genre connaît une nouvelle carrière avec, comme point de départ, la forme populaire de la frottola, née des chants de carnaval (canti carnascialeschi) et qui, harmonisée à trois ou quatre voix, connaît une incroyable faveur en Italie, de la fin du XVe siècle aux années 1530 (le premier recueil de frottole paraît à Venise, chez Petrucci, en 1504). En fait, le madrigal renaissant ne s'oppose pas à la frottola ni à son dérivé le strambotto (forme mélancolique de la frottola « qui se chante », comme disait une expression du temps, « chez les amoureux »), mais apparaît plutôt comme une idéalisation de ces musiques qui doivent elles-mêmes être considérées comme une saine réaction du sentiment national face aux spéculations de la musique savante, dominée en Italie par les compositeurs étrangers : Josquin Des Prés, Arcadelt, Heinrich Isaak.
Au reste, les Franco-Flamands résidant en Italie les « Allemani » comme on les appelait alors vont vite se trouver associés à la riche floraison de l'école madrigalesque, car, dans l'enthousiasme de la nouveauté, le genre séduit tous les musiciens et le savoir-faire des Néerlandais leur permet, au début, d'y briller plus que d'autres. C'est à une revalorisation de l'élément poétique que l'on assiste d'abord, sous l'influence d'humanistes comme Pietro Bambo (ce qui implique une collaboration toujours plus étroite entre musiciens et auteurs). Le niveau des textes s'élève rapidement et le prosaïsme voire la vulgarité des premières frottole est abandonné pour la meilleure des littératures, celle de Dante, Boccace, Pétrarque. À cette idéalisation de la matière poétique correspond la préoccupation des compositeurs, soucieux de transposer les jeux d'écriture de la tradition religieuse des Franco-Flamands à des fins profanes.
Le premier recueil de madrigaux paraît en 1530, à Rome, chez Antico. Il s'agit des Madrigali da diversi musici, Libro Primo de la Serena, offrant des pages de Costanzo Festa et Philippe Verdelot. La musique y est encore démarquée, dans une large mesure, de la frottola, mais, en même temps, l'expression tend à être calquée sur les élans du verbe. À la suite de Verdelot, d'autres Néerlandais illustrent, nous l'avons dit, cette première école du madrigal. Ainsi Jacob Arcadelt et Adrian Willaert, tous deux passés maîtres dans le maniement de la polyphonie la plus complexe.
Avec eux, le style imitatif coexiste encore avec l'homophonie chère à la frottola, mais l'écriture se fait aussi plus attentive au pouvoir du mot, à sa charge de poésie et d'émotion réunies, et laisse pressentir ce que seront les raffinements psychologiques de la dernière génération madrigalesque.
Jacques de Werth, Cyprien de Rore, Roland de Lassus, Philippe de Monte, Palestrina et Ingegneri sont les chefs de file de cet âge classique et, bien que les étrangers y soient encore nombreux, le style se fait entièrement italien, investi par l'esprit de la race, usant de toutes les ressources du style hérité du motet néerlandais et cependant étroitement associé au génie de la langue, à son contenu poétique, au point que des « Allemani » comme de Rore y apparaissent aussi latins que les musiciens nationaux.
À cet égard, Cyprien de Rore peut être considéré comme le véritable créateur du madrigal expressif par son souci d'unir la poésie à la liberté de la forme, au fil d'une écriture d'une étonnante mobilité, sans voix prépondérante, et où les hardiesses chromatiques vont dans le sens d'une évidente volonté de modernisme, à ceci près que ce modernisme ne nuit jamais à la spontanéité des sentiments. Si de Rore « a mené le madrigal, vingt ans à peine après les débuts de ce genre, à une telle hauteur que bien peu de ses contemporains ont été capables de le suivre » (Nanie Bridgman), Lassus et Philippe de Monte ont atteint également dans ce répertoire des sommets, le premier surtout qui, très tôt, a ressenti l'appel irrésistible de l'Italie, accordant les expériences harmoniques les plus rares à la pleine interprétation du texte. Ses derniers madrigaux ne valent pas toutefois sa production de jeunesse, car il avait alors perdu tout contact vivant avec la culture italienne, mais dans ses meilleures pages il se montre un coloriste génial et ses trouvailles sonores témoignent d'une intuition poétique égale à son sens musical. Servi par tous ces maîtres, le madrigal devient vraiment le genre roi dans la seconde moitié du XVIe siècle. La trame de la polyphonie s'enrichit, passant de quatre voix à cinq et même six voix égales, et se resserre, quant à l'expression, d'une manière significative, multipliant les effets imitatifs et les jeux canoniques, réservés auparavant à la seule musique d'église. Ainsi, le madrigal s'éloigne de ses racines populaires pour devenir un genre d'une extrême subtilité, réservé aux virtuosi et vivant d'un bonheur (mélodique et harmonique) fondamentalement méditerranéen.
L'âge d'or du madrigal
Apparaît alors la troisième génération, celle de la trilogie Marenzio, Gesualdo, Monteverdi, qui, à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe, coïncide avec le plein épanouissement du madrigal. L'extraordinaire fortune que connaît le genre se vérifie dans les innombrables recueils livrés à l'impression dans le même temps. Et cette apothéose consacre le triomphe des Italiens qui prennent définitivement le relais des compositeurs venus des Flandres pour écrire l'un des plus glorieux chapitres de leur histoire musicale. En toute logique, d'ailleurs, car seuls des transalpins pouvaient donner au madrigal cette couleur authentique, cette touche sensible ou émue, raffinée ou intense, qui « en font l'une des plus heureuses contributions de la nature italienne à l'art occidental » (Nanie Bridgman). Point de rencontre des techniques du passé et du présent, comme des anticipations de l'avenir, il atteint à une rare acuité dans l'idée dramatique, mariée à une continuelle mobilité d'expression, et se montre désormais tout à fait capable de « dare spirito vivo alle parole » (« donner l'esprit même de la vie aux paroles ») et de réussir, comme le voulaient ses créateurs, la peinture des mots par le biais du symbole ou de l'image parlante.
De Marenzio on peut dire qu'il est le classique du genre, préoccupé d'harmonie, d'équilibre entre forme et fond, le parfait dépositaire d'un art d'où sont exclues toute démesure, toute hardiesse gratuite. Soucieux du souffle de la vie, il se laisse aller aux procédés les plus virtuoses, mais seulement quand la « pittura delle orecchie » le commande. Avec lui, le symbolisme amoureux, caractéristique de la manière madrigalesque, se fixe en des évocations devenues très vite familières à ses continuateurs. Un mouvement ascendant de la mélodie décrit une montée, une quête et, par extension, le désir d'un objet inaccessible. L'aveu amoureux est traduit par un cheminement entrecoupé de pauses, de « soupirs », tandis que l'idée de douleur, de deuil et de mort est rendue par une récitation émaillée d'accidents chromatiques. En revanche, les sentiments pastoraux sont exprimés par une musique de bonheur, riche en accents consonants, de même que les unissons du chant à l'octave restent associés à la notion de paix, de repos.
Gesualdo reste, pour sa part, le champion d'une musique hyperexpressive, où les hardiesses harmoniques et les stravaganze sont reines. Maître du chromatisme intensif et d'un chant qui épouse l'expression du mot pour en traduire tous les accents, le cri, le délire ou l'amour, il rejoint par des voies différentes le programme des mélodramatistes florentins qui créent dans les mêmes années le drame lyrique, en rendant le chant au pouvoir du verbe. C'est là une œuvre expérimentale dont les excès en particulier dans la recherche des dissonances virent parfois au vertige, une musique irrémédiablement marquée par les crises dépressives de l'auteur et où un maniérisme d'esthète se mêle à la sincérité de l'expression torturée. Mais le génie y est au rendez-vous avec la violence amoureuse et cette flamme sombre dans la confession des passions qui fit du cruel prince de Venosa un double assassin par honneur (sa femme et l'amant de celle-ci).
Enfin, Claudio Monteverdi, célèbre à d'autres titres (et surtout comme pionnier de l'opéra avec son Orfeo de 1607), mais qui, dans les limites du genre, impose, une fois de plus, une sensibilité et une lucidité exceptionnelles, jointes à un instinct de l'humaine nature qui n'a pas été dépassé depuis. Artiste complet, comme Marenzio, Monteverdi use de tous les styles du madrigal à la fois : contrepoint imitatif, déclamation syllabique, homophonie verticale, etc. D'une grande souplesse d'écriture et d'une totale liberté d'expression, le madrigal monteverdien « colle » littéralement à la signification du texte, sans la moindre contrainte formelle. En outre, sa récitation virtuose, ouverte à toutes les trouvailles du stile nuovo, à toutes les audaces du temps, mais sans le systématisme qui pèse parfois sur les pièces de Gesualdo, est un modèle de vie, avec ce frémissement dans le chant qui est bien d'un génie moderne, celui-là même qui déclarait à son détracteur Artusi « fonder sa musique sur la vérité ».
À ce stade de développement, le madrigal est devenu un véritable poème musical où tout hardiesses harmoniques, chromatismes inouïs, science de l'écriture, liberté formelle concourt à une impression de vie, de réalisme intense. Aller plus loin dans le même style va bientôt sembler impossible. De ce point de vue, Monteverdi est le révélateur qui, après avoir épuisé toutes les possibilités expressives du madrigal polyphonique (le discours à cinq voix égales dans les Livres IV et V, remarquables aussi par les contrastes accusés dans l'activité desdites voix, où registres aigus et graves ont même importance), va lui apporter une mort glorieuse, ou plutôt l'engager, la basse continue aidant, sur la voie de la monodie accompagnée, de la déclamation lyrique et du recitar cantando, jusqu'à l'apothéose du Livre VIII, où théâtre, drame et chant s'interpénètrent pour transfigurer un genre devenu autre, et devant tout au plus au terme une dénomination commode. Le madrigal monodique triomphe, et, avec lui, l'esprit de la nouvelle musique qui va déboucher aussi bien sur la cantate que sur l'opéra.