Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
C

Crespin (Régine)

Soprano française (Marseille 1927 – Paris 2007).

Elle fait ses études vocales au Conservatoire de Paris où elle obtient des prix d'opéra et d'opéra-comique (1949) et de chant (1950). Après ses débuts à Mulhouse, en 1950, dans le rôle d'Elsa de Lohengrin (Wagner), elle débute à Paris, l'année suivante, successivement dans Tosca de Puccini à l'Opéra-Comique et dans Lohengrin à l'Opéra, où elle chante de nombreux rôles et participe à la création française des Dialogues des carmélites de Poulenc (1957). C'est surtout à partir de 1958 que se développe son importante carrière internationale, qui la conduit notamment à Bayreuth (Kundry dans Parsifal, de 1958 à 1961 ; Sieglinde dans la Walkyrie, 1961) et à Milan (Fedra de Pizzetti, 1959).

   Dotée d'une voix puissante, mais au timbre plein de charme, Régine Crespin a pu s'imposer aussi bien dans des rôles dramatiques du répertoire italien (Tosca, Amelia d'Un bal masqué de Verdi) que dans les rôles wagnériens et dans l'opéra français (Didon des Troyens, Marguerite de la Damnation de Faust de Berlioz). Sa volonté d'approfondissement du détail des textes et de la psychologie des personnages a fait d'elle aussi l'une des plus subtiles interprètes de la Maréchale dans le Chevalier à la rose de Richard Strauss. Elle a été nommé en 1976 professeur au Conservatoire de Paris.

Creston (Joseph Guttoveggio, dit Paul)

Compositeur américain (New York 1906 – San Diego 1985).

S'il reçut une solide formation de pianiste et d'organiste (il a été spécialiste de l'orgue de cinéma au temps du muet, puis titulaire pendant trente-trois ans des orgues de l'église Saint-Malachy à New York), il est un autodidacte quant à la composition. Son œuvre n'en comprend pas moins cinq symphonies (composées entre 1940 et 1955), un poème symphonique (Threnody, 1938), un oratorio, deux messes et de nombreuses pièces instrumentales et vocales, qui se réfèrent volontiers aux sources liturgiques. Paul Creston a également enseigné à Washington à partir de 1967 et a signé deux ouvrages de théorie musicale : Principles of Rhythms (1964) et Creative Harmony (1970).

crins

Ils forment la mèche de l'archet, dans les instruments à cordes frottées.

Ils sont fixés à leur extrémité supérieure dans la tête de la baguette, au moyen d'un coin de bois, et, à leur extrémité inférieure, dans la hausse. Celle-ci, grâce à une vis logée dans le talon, permet de régler la tension de la mèche. Les crins proviennent généralement de la queue d'étalons blancs. On les enduit d'une résine, la colophane. Le frottement des crins sur la corde produit la vibration.

Cristofori (Bartolomeo)

Facteur de clavecins italien (Padoue 1655 – Florence 1731).

Après avoir construit des clavecins et des instruments à archet à Padoue, il vécut à Florence, où il fut au service de Ferdinand de Médicis, puis fut conservateur du musée instrumental de Cosme III de Médicis. Il imagina de substituer aux sautereaux du clavecin, qui n'autorisent aucune nuance, des marteaux qui frappaient les cordes plus ou moins fort selon la façon dont étaient attaquées les touches du clavier. Il baptisa gravicembalo col piano e forte cet instrument qui utilisait aussi le principe de l'échappement simple (v. piano) et celui de l'étouffoir.

   Cristofori est donc, au même titre que l'Allemand Silbermann, l'un des inventeurs du piano-forte, ancêtre du piano moderne.

critique musicale

Activité littéraire proposant au lecteur une information et une appréciation personnelle relative à un fait musical (concert, enregistrement, parution d'un livre).

Selon la nature de l'événement, la compétence ou les préoccupations particulières du critique, mais également selon qu'il s'agit d'un quotidien ou d'une revue spécialisée, la critique musicale entretient des rapports plus ou moins étroits avec le journalisme, la littérature, la musicologie ou l'esthétique. Chacune de ces quatre composantes devrait, par ailleurs, trouver sa place au sein d'un article de critique musicale digne de ce nom. S'il est d'une lecture rebutante, dépourvu de style, que ses références historiques sont hasardeuses ou qu'il se borne à émettre des opinions sans prendre de recul, il manque presque toujours son but. Les contraintes de la presse, qui obligent le plus souvent à écrire rapidement un texte court, rendent difficile l'exercice régulier et persistant d'une critique musicale de qualité.

   Quoiqu'on puisse trouver quelques précédents au XVIIe siècle dans des journaux tels que le Mercure français, la Gazette de France (qui donna à partir de 1645 des comptes rendus d'opéras, italiens pour la plupart), le Mercure galant (où l'on pouvait lire des « Dialogues sur la musique »), la critique musicale ne prit un véritable développement en France qu'au début du XVIIIe siècle, peut-être à la faveur de la rivalité entre la musique française et la musique italienne. La critique apparut à cette époque également sous forme de livres : Du Bos, dans ses Réflexions critiques sur la peinture et la poésie (1719), réserva une large place à la musique, mais ce fut Le Cerf de la Viéville de Frémeuse (1674-1707) qui lança la critique livresque en 1704, établissant sous forme de dialogues une comparaison entre la musique italienne et la musique française. Le baron Friedrich Melchior von Grimm, qui vécut en France à partir de 1750, s'illustra principalement par des pamphlets : Lettre de M. Grimm sur « Omphale » (1752), le Petit Prophète de Boemischbroda, le Correcteur des Bouffons et la Guerre de l'Opéra (1753), dans lesquels, à l'exception de Lully et de Rameau, il blâmait sévèrement les compositeurs français, ainsi que le public. La Lettre sur la musique (1753) de Jean-Jacques Rousseau prit parti sans ménagements pour les Italiens, sa Lettre d'un symphoniste reprenait le même sujet sur le mode de l'ironie et lui valut la colère des musiciens de l'Opéra. L'Examen des deux principes avancés par M. Rameau était une dissertation sur des points de théorie, les Fragments d'observations sur l'Alceste de Gluck et l'Extrait d'une réponse du petit faiseur à son prête-nom (sur l'Orphée de Gluck) furent d'excellents exemples de critiques analytiques qui auraient pu être signés par Berlioz.

   Au XVIIIe siècle, outre le Mercure de France (issu du Mercure galant), deux journaux français réservaient une place importante à la critique musicale : le Spectateur français et le Journal de musique par une Société d'amateurs. Les articles, en règle générale, n'étaient pas signés, tradition qui resta vivace pendant la première moitié du XIXe siècle. Alors que la critique musicale du XVIIIe siècle, à l'exception de quelques polémiques, était restée assez mesurée dans son expression et se bornait le plus souvent à un simple compte rendu, celle du XIXe siècle allait devenir plus littéraire avec des prétentions à la dissertation esthétique. Confrontée à une évolution plus rapide du langage musical, à l'élargissement du public, aux excès délibérés du courant romantique et à la redécouverte progressive de la musique des siècles précédents, la critique musicale se trouva assez rapidement en difficulté. Selon qu'elle attaquait ou qu'elle prônait les artistes novateurs, elle fut bourgeoise et conservatrice ou, beaucoup plus rarement, progressiste. La mode s'en mêlant, il était parfois difficile de discerner la part de jugement personnel du critique.

   Paradoxalement, certains critiques devaient leur célébrité à des jugements que la postérité n'a pas ratifiés : François-Joseph Fétis (1784-1871), fondateur de la Revue musicale en 1827, ne ménagea pas Berlioz dans sa Biographie universelle des musiciens (1833) ; Paul Scudo (1806-1864) fut un adversaire déclaré de Berlioz, Verdi et Wagner ; Édouard Hanslick (1825-1904) combattit violemment l'esthétique wagnérienne. Il faut reconnaître cependant que Fétis et Hanslick avaient, sur tant de cuistres dont les noms sont aujourd'hui oubliés, la supériorité de posséder une véritable culture musicale sur laquelle se fondait leur appréciation esthétique.

   Tantôt pour des raisons alimentaires, tantôt parce qu'ils éprouvaient le besoin de s'exprimer sur leur art, un certain nombre de compositeurs du XIXe puis du XXe siècle ont pris la plume du critique : à la suite de E. T. A. Hoffmann, Weber laissa de nombreux écrits sur la musique (critiques, essais, textes analytiques, roman autobiographique), Berlioz signa plus de huit cents feuilletons, dont le style exemplaire, l'originalité et l'abondance des idées témoignèrent de ses dons littéraires évidents dans le Rénovateur, la Gazette musicale, le Journal des débats. Schumann fonda la Nouvelle Revue musicale (Neue Zeitschrift für Musik), en 1834, après que le directeur de l'Allgemeine Musikalische Zeitung lui eut reproché ses éloges trop vifs de Chopin.

   Certains écrivains, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, Baudelaire, exercèrent épisodiquement la fonction de critique musical, mais tandis que des amateurs comme Oscar Comettant, dans le Siècle, Camille Bellaigue dans la Revue des Deux Mondes, Arthur Pougin dans le Ménestrel, jetaient l'anathème sur Bizet, sur Wagner, sur Franck et sur Debussy, il fallait bien reconnaître la supériorité, en matière de critique musicale, de compositeurs comme Ernest Reyer, successeur de Berlioz de 1866 à 1898 au Journal des débats, Camille Saint-Saëns, Gabriel Fauré au Figaro (1903-1921), Claude Debussy dans diverses revues, surtout de 1901 à 1903, puis de 1911 à 1914, Alfred Bruneau dans Gil-Blas, le Figaro et le Matin, Paul Dukas, de 1892 à 1932, dans diverses revues, Florent Schmitt en 1913-14 dans la France et, de 1929 à 1939, dans le Courrier musical et le Temps, Reynaldo Hahn pour le Figaro de 1933 à 1945. Une exception pouvait être faite en faveur de Willy (Gauthiers-Villars) qui, avec la collaboration plus ou moins avouée d'Alfred Ernst et de quelques autres, mettait dans la bouche de l'ouvreuse du cirque d'Été une foule de bons mots en faveur de Debussy, de Wagner et des franckistes, mots fondés sur des remarques techniques dont l'exactitude presque pédante contrastait à merveille avec le ton volontiers gouailleur.

   Depuis la Seconde Guerre mondiale, le nombre des critiques musicaux-compositeurs a considérablement diminué : l'information semble prendre le pas sur la critique proprement dite, surtout dans le domaine de la création contemporaine. Soucieux de ne pas renouveler les erreurs de leurs prédécesseurs, beaucoup de critiques veulent adopter une attitude « objective », jugeant plus utile de renseigner le lecteur sur la nature d'une œuvre ou la démarche d'un compositeur que de la louer ou de la blâmer. La critique musicale deviendrait ainsi un facteur d'éducation du grand public. Cette transformation semble due tout autant à des causes extérieures : changement de la conjoncture musicale, évolution du journalisme et élargissement du public, qu'à une modification de la conception que se font les critiques musicaux de la fonction qu'ils exercent.

   S'il se trouve naturellement parmi eux quelques musiciens, la majorité se compose de mélomanes avertis, dont certains n'ont même aucune pratique musicale ; l'expérience prouve cependant que dans le domaine de la critique l'intuition d'un amateur sensible peut se révéler supérieure aux jugements d'un musicien médiocre. Il n'existe d'ailleurs aucun enseignement destiné à former des critiques musicaux ni aucune réglementation de la profession. Étant donné le très petit nombre de tribunes régulières et convenablement rémunérées, faut-il préciser que beaucoup exercent par ailleurs un second métier et exercent la critique comme un violon d'Ingres ?

   Les domaines sur lesquels s'exerce la critique musicale tendent à se diversifier. Si la critique de partitions nouvelles, fréquente au XIXe siècle, a été remplacée par celle des disques, des comptes rendus portant sur des expériences pédagogiques s'ajoutent à ceux des concerts, des représentations d'opéras et de livres.

   Qu'il s'agisse d'œuvres nouvelles ou de la résurrection d'ouvrages oubliés, le critique sera toujours tenté de se faire prophète ou historien en expliquant si cette musique lui semble viable et dans quel contexte elle se situe. Au contraire, pour les œuvres du répertoire, on attend du critique qu'il saisisse ce qui fait l'originalité de l'interprétation ou sa supériorité. Pour la représentation d'opéras, le critique doit être à même d'apprécier la valeur d'une mise en scène et connaître les voix. La critique de disques doit tenir compte de certaines données techniques (prise de son, gravure, effets spéciaux). Il va sans dire que c'est seulement dans le domaine de l'exécution qu'il existe une certaine objectivité ; malheureusement, lorsqu'un critique a relevé les fausses notes et autres accidents, beaucoup plus nombreux qu'on ne croit, il n'a fait qu'une toute petite partie de son travail : le reste est presque exclusivement du domaine de la subjectivité et de l'intuition.

   L'indépendance de la critique est un sujet aussi délicat que le problème de sa crédibilité : les lois de la concurrence font une obligation d'accorder la même place dans tous les journaux aux événements les plus saillants, ce qui réduit celle qui peut être consacrée aux autres. Ainsi la critique est-elle, même à son corps défendant, l'alliée du vedettariat. Par ailleurs, ne serait-ce que par la pratique des interviews, le critique a des contacts personnels avec les artistes, ce qui rend illusoire son impartialité. Il s'agit là, en réalité, d'un faux problème, car la fréquentation des musiciens reste pour lui la meilleure source d'information et favorise parfois de salutaires remises en question. Le critique n'ignore pas non plus que ses articles peuvent avoir une influence sur la reconduction ou l'octroi des subventions accordées aux manifestations dont il est invité à rendre compte. Ainsi s'abstiendra-t-il d'être tranchant si une expérience intéressante ne commence qu'à moitié bien, ou louera-t-il excessivement un effort méritoire même si le résultat se révèle décevant. Enfin, les attachés de presse de plus en plus nombreux exercent une pression constante sur les journalistes.

   Toutes ces réalités quotidiennes sont beaucoup plus dangereuses pour l'indépendance d'esprit du critique que les pots-de-vin, qui ont disparu en tant que tels. Après avoir tenté d'acheter le critique, on lui a limé les dents, et, le prestige factice de la profession étant soigneusement entretenu, il se trouve pieds et poings liés, à la merci des événements : souvent la critique musicale se transforme en publicité rédactionnelle gratuite, les articles favorables ou ceux qu'on a pu tronquer habilement sont alors utilisés à des fins publicitaires ­ et c'est ainsi que se créent les modes et les mythes.

   Si le critique peut avoir une utilité, c'est dans quelques domaines très précis : donner une information sur les événements de la vie musicale, répandre dans le public les découvertes de la musicologie, dénoncer certains abus, attirer l'attention sur ce qui semble le meilleur.