édition musicale
L'édition musicale, qu'il ne faut pas confondre avec l'édition de disques, consiste essentiellement dans le commerce des partitions de musique, classique ou autre, ainsi que d'ouvrages d'enseignement tels que méthodes d'instruments, solfèges, etc., que l'éditeur fait imprimer et met ensuite en vente par l'intermédiaire des marchands de musique.Si le concept d'édition date au moins de l'Empire romain (Atticus, copiste de Cicéron, eut le premier l'idée de faire le commerce de textes manuscrits), il faut attendre la fin du XVe siècle, à la suite de l'invention de l'imprimerie typographique, pour voir appliquées à la musique les idées d'Atticus. Le premier éditeur de musique connu, Ottaviano Petrucci, sait profiter à la fois de l'invention récente de Gutenberg, de l'évolution de la notation musicale vers une plus grande précision et des besoins grandissants de la liturgie. Installé à Venise, il fait paraître des messes et des motets de Josquin Des Prés (1516), Agricola, Obrecht, imprimés à l'aide de caractères mobiles, analogues à ceux utilisés pour les textes littéraires. Son idée fait rapidement son chemin et, dès 1516, un autre éditeur, Andrea Antiquis de Montona, publie à Rome le premier livre de musique sacrée où l'on retrouve Josquin, avec Pierre de La Rue, Mouton, etc. Dès lors, les éditeurs de musique se multiplient rapidement, surtout en France, avec Pierre Attaingnant à Paris, Guaynard à Lyon, puis, plus tard, Haultin à La Rochelle, Jacques Moderne et Granjon à Lyon, Chaunay à Avignon, etc. Enfin l'année 1552 voit la création de la maison Le Roy-Ballard de l'association de deux cousins, Adrian Le Roy et Robert Ballard. Alors va commencer l'extraordinaire dynastie des Ballard, qui, pendant deux siècles, bénéficie d'un véritable monopole de l'édition de musique en France.
Munis d'un privilège régulièrement renouvelé et s'assurant le contrôle des moyens d'impression par l'acquisition systématique des collections typographiques, les Ballard sont, dès le début du XVIIe siècle, maîtres absolus du marché de la musique et défendent farouchement leur position dominante, n'hésitant pas à attaquer en justice tous ceux qui essayent d'imprimer de la musique sans leur autorisation. Leur histoire est jalonnée de nombreux procès certains retentissants comme celui contre le fils de Lully toujours favorables à leur cause. La première conséquence de cette absence de concurrence se manifeste par une baisse progressive de la qualité des éditions, les Ballard négligeant de moderniser leurs caractères typographiques qui ne suivent pas l'évolution de la notation.
Dans la double intention de pallier l'insuffisance technique et de combattre le monopole, d'autres moyens d'impression sont recherchés : lithographie, gravure et même la copie manuscrite dont le commerce redevient un moment rentable. Ainsi s'impose, à partir de 1660, la gravure en taille-douce, qui met finalement un terme à l'exclusivité des Ballard et fait faire du même coup de considérables progrès à la qualité des partitions. Les Ballard essayent d'obtenir également le privilège pour la taille-douce, mais sans succès. Le déclin de leur maison commence alors que naissent de nouveaux éditeurs, encouragés par la nouvelle liberté d'entreprendre comme par le rayonnement exceptionnel de la vie musicale parisienne à cette époque. L'édition musicale française Chevardière, Huberty, Sieber, Imbault atteint de ce fait, au XVIIIe siècle, un niveau partout envié, d'autant plus que la concurrence étrangère est encore faible, malgré l'activité de maisons comme Walsh, Forster ou Longman and Broderip à Londres, Le Cène à Amsterdam ou Breitkopf à Leipzig.
Ce n'est qu'avec les périodes classique et romantique que la grande édition allemande et autrichienne prend son immense essor, à la mesure des compositeurs de ces pays et de leur renommée mondiale : Artaria à Vienne (Haydn, Mozart), Naegeli à Zurich (Bach, Haendel), André à Offenbach (Mozart, Beethoven). Certains poursuivent encore aujourd'hui leur activité : Simrock à Bonn (Beethoven, Haydn), Schott à Mayence, Breitkopf à Leipzig et Wiesbaden, Boosey à Londres, Lemoine et Leduc à Paris. Au XIXe siècle paraissent les premières grandes éditions monumentales chez Breitkopf, Schlesinger (Paris), Peters (Leipzig), tandis que le répertoire lyrique, en pleine expansion, fait la fortune et constitue l'essentiel de grands fonds éditoriaux français actuels : Heugel (créé en 1839), Choudens (1845), Durand (1869). Le répertoire symphonique français est alors quelque peu délaissé, parce que peu rentable, et la maison Durand reste longtemps quasiment la seule à éditer les symphonistes français : Debussy, Dukas, Schmitt, Roussel, Ravel, etc. Il faut attendre le milieu du XXe siècle pour assister à un renversement de tendance, avec le déclin sensible de l'opéra et de l'opérette, et l'arrivée de cette nouvelle source de droits d'exécution que constitue la radiodiffusion. Malgré celle-ci, le répertoire symphonique est loin d'avoir remplacé, dans le chiffre d'affaires des éditeurs, l'apport important qu'a longtemps constitué la musique lyrique, et les ouvrages d'enseignement sont maintenant majoritaires dans la plupart des catalogues.
L'édition des œuvres contemporaines destinées au concert devient dans bien des cas un véritable mécénat, étant donné le petit nombre d'exécutions auxquelles peut prétendre une œuvre nouvelle et la faible affluence du public. Aujourd'hui, l'édition musicale souffre moins de l'hiatus compositeur-public, phénomène fort ancien, que de la difficulté éprouvée à combler les risques inhérents à la production contemporaine pour le concert par d'autres sources de financement rentables, telles que le furent le théâtre lyrique ou la musique populaire (aujourd'hui, l'affaire des producteurs phonographiques). Divers problèmes techniques et commerciaux se posent en outre aux éditeurs : l'inadéquation des méthodes de reproduction (archaïques), de promotion, la médiocre diffusion de la musique imprimée (entraînant de trop faibles tirages pour maintenir les prix de revient à un niveau acceptable), le système caduc des locations de matériels d'orchestre, etc. Autant de questions que la profession devra résoudre, sans doute au prix d'une profonde mutation (des méthodes et des buts), pour éviter à moyen terme le risque d'une quasi-disparition.
Les contrats
À la remise du manuscrit de son œuvre à l'éditeur, le compositeur signe avec celui-ci un « contrat de cession » par lequel il cède son œuvre à l'éditeur moyennant un partage qui se fait, en France, de la manière suivante :
les droits d'exécution sont fixés statutairement par la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (S. A. C. E. M.) à raison de 1/3 pour l'éditeur et 2/3 pour le compositeur (à partager par moitié avec l'auteur des paroles, si l'œuvre comporte un texte) ;
les droits de reproduction mécanique, relatifs aux enregistrements de l'œuvre, sont répartis contractuellement entre les ayants droit : le plus souvent, 50 % à l'éditeur, 50 % au compositeur (à partager avec l'auteur s'il y a lieu) ;
la redevance en pourcentage sur la vente ou la location des partitions, également contractuelle, est fondée généralement sur le prix de vente en gros de la partition. Le compositeur touche le plus souvent 10 % de ce prix sur chaque exemplaire vendu ou 20 % sur le montant de la location des parties d'orchestre. Des avances remboursables peuvent quelquefois être accordées par l'éditeur sur ces royalties, de même que des « primes de cession » non remboursables.
La fabrication
Une fois le contrat signé, les différentes étapes de la fabrication commencent :
la gravure : lorsque la composition typographique fut abandonnée, celle-ci fut remplacée par la gravure en taille-douce. À l'aide de poinçons représentant les figures de notes, le graveur copiait la partition sur des plaques de cuivre. Le cuivre fut ensuite remplacé par un alliage à base d'étain, moins onéreux. Une fois gravées, ces plaques étaient directement utilisées dans les presses des imprimeurs pour le tirage des partitions. Plus tard, elles firent l'objet d'un report sur des feuilles de zinc passées en machine. Cette dernière technique est encore utilisée, bien que la gravure sur étain soit de plus en plus rare. Celle-ci a été détrônée depuis la dernière guerre par la « simili-gravure », où la plaque d'étain est remplacée par une feuille de papier calque, encrée à l'aide de poinçons, et reportée ensuite photographiquement sur le support en zinc. Cette dernière technique a constitué un grand progrès sur le plan du prix, du stockage ou de la correction des fautes. On peut également écrire à la plume et à l'encre de Chine sur le calque, procédé de plus en plus employé, étant donné le petit nombre de simili-graveurs encore en activité. La disparition progressive de ce métier va, à court terme, poser un grave problème aux éditeurs qui devront susciter de nouvelles techniques de remplacement, la copie manuscrite ne pouvant constituer qu'un pis-aller. Parmi celles-ci, on peut déjà observer les essais de copie à l'aide de procédés par report de figures de notes autocollantes (du type « letraset »), et surtout l'expérimentation sur ordinateur, très concluante, mais d'un coût très élevé. Nul doute que cette dernière méthode, lorsque l'informatique se sera suffisamment répandue, constituera la réponse à ce grave problème ;
la copie : le papier calque permettant la copie à la plume, c'est ainsi que sont maintenant établies les parties séparées d'orchestre (appelées « matériel d'orchestre ») pour les œuvres symphoniques. Le « copiste » établit chaque partie sur calque, d'après la partition. Cela rend facile la reproduction des matériels à l'unité, par un procédé reprographique analogue au tirage des plans d'architecte, le tirage en grand nombre n'étant que très rarement nécessaire.