Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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Pouchkine (Aleksandr Sergueïevitch)

Poète et écrivain russe (Moscou 1799 – Saint-Pétersbourg 1837).

Un grand nombre de poèmes, pièces et nouvelles de Pouchkine ont servi de sujets d'opéras aux compositeurs russes : Rouslan et Ludmilla de Glinka (Pouchkine, ami du compositeur, avait projeté de faire lui-même l'adaptation de son poème, mais sa mort prématurée l'en empêcha), la Roussalka, le Convive de pierre de Dargomyjski, Boris Godounov de Moussorgski, Eugène Onéguine, Mazeppa (d'après la Poltava) et la Dame de pique de Tchaïkovski ; Mozart et Salieri, le Conte du tsar Saltan, le Coq d'or de Rimski-Korsakov ; Doubrovski de Napravnik ; Aleko (d'après les Tziganes) et le Chevalier avare de Rachmaninov ; Mavra de Stravinski, d'après la Petite Maison de Kolomna. D'autres vers de Pouchkine ont servi de base à de nombreuses mélodies, chœurs ou cantates.

Pougin (Arthur)

Musicologue et critique français (Châteauroux 1834 – Paris 1921).

Formé au Conservatoire de Paris, il fut chef d'orchestre et violoniste avant de se consacrer à la critique et à l'histoire de la musique. Chroniqueur de plusieurs journaux, rédacteur en chef du Ménestrel (1885-1914), il collabora au Larousse universel, rédigea le supplément de la Biographie universelle des musiciens de Fétis et publia une cinquantaine d'ouvrages. Ses connaissances étaient vastes, sa curiosité et son activité inlassables, mais son érudition n'était pas toujours sûre et le véritable sens critique lui faisait défaut ainsi que l'attestent ses jugements sévères sur Carmen et sur Pelléas et Mélisande.

Principaux écrits : L. Kreutzer (1868), Meyerbeer (1864), Rode (1874), Viotti (1888), les Vrais Créateurs de l'opéra français : Perrin et Cambert (1881), Dictionnaire historique et pittoresque des théâtres et des arts (1885), Méhul (1889), l'Opéra-Comique pendant la Révolution (1891), Hérold (1906), Massenet (1914).

Poulenard (Isabelle)

Soprano française (Paris 1961).

Elle débute dans le répertoire baroque, où elle connaît un succès immédiat. Elle chante en 1982 au Festival d'Innsbruck l'Orontea de Cesti, et l'enregistre sous la direction de René Jacobs. En 1990, elle est dans les Indes galantes à Aix-en-Provence sous la direction de William Christie, avec lequel elle a aussi abordé Hippolyte et Aricie à l'Opéra-Comique. À Londres, elle se produit dans Iphigénie en Aulide avec Richard Hickox, et fait des tournées en France avec Jean-Claude Malgoire, notamment dans Platée et Montezuma de Vivaldi. On a pu aussi l'entendre dans un répertoire plus classique : elle a chanté Despina, Yniold et les Tréteaux de maître Pierre de De Falla. En 1995, elle reprend le Dialogue des carmélites à Bordeaux. Elle a créé notamment les Visites espacées de Philippe Hersant et le Tombeau d'Henri Ledroit de Jacques Lenot.

Poulenc (Francis)

Compositeur français (Paris 1899 – id. 1963).

Aujourd'hui considéré comme un des plus grands compositeurs français de la première moitié du XXe siècle, il a débuté dans la musique comme petit pianiste prodige. Instruit sur cet instrument par sa mère, elle-même excellente pianiste, puis par Ricardo Viñes (« Je lui dois tout », dira-t-il plus tard), il rencontre, grâce à lui, Erik Satie et Georges Auric, dont la culture le fascine et qui sera un de ses grands amis, et se trouve rapidement introduit dans les milieux parisiens de la création musicale. Sa Rhapsodie nègre, gentiment provocatrice et « fauviste », en 1917, fait beaucoup attendre de ses dons remarquables. Mobilisé lors de la Première Guerre mondiale, il compose peu pendant cette période militaire, sauf le Bestiaire (1918-19), sur des poèmes d'Apollinaire, mélodies qui sont sa première réussite d'un genre où il fut reconnu comme très grand ­ celui de la mélodie. Il consolide sa formation musicale d'autodidacte avec Charles Koechlin. Quand le critique Henri Collet baptise et consacre en 1920 le groupe des Six, réuni autour de Cocteau (comme le groupe des Cinq russes l'était autour de Stassov), Poulenc est naturellement l'un deux, un des plus jeunes, des plus brillants.

   Pendant quinze ans, il va satisfaire à cette réputation d'artiste agréable, français, léger. Les influences perceptibles à l'époque dans son style, sont celles de Satie, Auric, Chabrier. La création de ses Biches en 1924, par les Ballets russes, scelle sa renommée ; on retrouve dans cette partition la quintessence de l'esprit groupe des Six, clins d'œil, orchestre léger, thèmes d'allure « flon-flon », et savoir-faire. Des dates musicalement plus importantes sont celles de son Concert champêtre (1928), pour clavecin et orchestre, commandé par Wanda Landowska, et de son Aubade (1929), pour piano et 18 instruments, œuvres où se fait jour, derrière le badinage « galant », une certaine amertume et un certain sens du tragique. Le tournant décisif est amené par une œuvre modeste, sa première œuvre religieuse, les Litanies de la Vierge Noire (1936), où, tout d'un coup, il trouve sa dimension de grand musicien catholique. Il professe alors une espèce de « foi du charbonnier », qu'il se plaît à opposer à son côté « voyou » (Claude Rostand) et libertin. Toute sa carrière, désormais, surtout après la Seconde Guerre mondiale, va se structurer et se concentrer autour de la musique vocale et dramatique ; l'inspiration profane et l'inspiration religieuse assumées de manière parallèle se rejoindront dans une audacieuse tentative d'opéra moderne à sujet religieux (sans les séductions mythiques et fantastiques d'un sujet comme Parsifal), Dialogues des carmélites (1953-1956 ; créé à la Scala de Milan en 1957), d'après Bernanos. Même une œuvre de musique « pure », comme le Concerto pour orgue et timbales (1938), comporte des accents liturgiques.

   Pendant la guerre, il a peu composé, sauf un ballet d'après La Fontaine, les Animaux modèles (1941) et la cantate Figure humaine (1943) sur un texte d'Eluard ­ un de ses auteurs favoris, auquel il a consacré plusieurs de ses cycles de mélodies. Son œuvre de rentrée est un essai dramatique burlesque sur la pièce d'Apollinaire les Mamelles de Tiresias (1944 ; 1re, Opéra-Comique en 1947), œuvre dont le thème (un homme devenant femme, se ressentant femme) court en filigrane dans son œuvre. Sa foi catholique lui inspire un Stabat mater (1950), auquel fera écho le Gloria (1959), une de ses dernières œuvres, dont il s'estimait très satisfait, et dans laquelle il essaie d'exprimer un sentiment religieux tour à tour grave et gai. Ses Dialogues des carmélites sont une œuvre ambitieuse, hantée par la mort. Le rôle principal de Blanche de La Force (à laquelle il n'est pas exagéré de dire qu'il s'identifiait) triomphe dans l'interprétation de Denise Duval, grande soprano pour laquelle il écrira aussi la Voix humaine (1959), d'après Cocteau. Il effectue un voyage musical couronné de succès aux États-Unis. Si les tendances d'avant-garde le troublent parfois (« Ma musique n'est tout de même pas si mal »), il les suit avec intérêt, et elles ne l'empêchent pas d'écrire selon son goût, naturellement éclectique (les Dialogues sont placés sous le signe de Moussorgski, Monteverdi, Debussy). Après 1945, il ne composera presque plus de « musique pure ». Il n'est pas l'homme des grandes constructions abstraites, mais il aime destiner ses œuvres à ses amis interprètes, Denise Duval, le pianiste Jacques Février (avec lequel il joue en duo), le baryton Pierre Bernac (qu'il accompagne au piano).

   Poulenc aime aussi voyager, enregistrer, se réfugier dans sa maison de Noizay en Touraine, dans une « solitude peuplée de visites d'amis ». Célibataire jusqu'à sa mort, très discret dans sa vie privée, il saura toujours entretenir des liens profonds d'amitié. Peu de temps après avoir achevé ses Répons sur les temps des ténèbres, il meurt d'une attaque cardiaque, le 30 janvier 1963. Ses Entretiens avec Claude Rostand, publiés en volume, ont contribué à maintenir vivante sa figure, et il est l'un des rares compositeurs français de sa génération (sinon le seul) à avoir évité le « purgatoire » et à être encore abondamment joué et repris vingt ans après sa mort.

   Certes, il savait plaire d'instinct, et quels que soient les risques pris au niveau du sujet, garder son public avec lui. Il est vrai que, si ses œuvres symphoniques et lyriques sont souvent reprises, sa musique de piano et ses mélodies, réputées, restent dans l'ombre. On n'insistera pas sur ses qualités reconnues de « musicien français » : clarté, sens de la mesure, sensualité, humour, etc. Tout son problème fut peut-être d'échapper à ses dons et à sa facilité incontestable. Son anodine Rhapsodie nègre de 1917 montre déjà à dix-huit ans, au complet, sa musicalité, son art de faire de la musique avec rien et de se faire écouter, son sens exact des timbres. Le succès avec lequel elle fut accueillie avec ses pareilles, dans une époque où cette « esthétique d'agrément » battait son plein, exposait Poulenc à répéter indéfiniment la même inspiration gracieuse et un peu courte. Heureusement, il sut devenir plus que ce qu'il était au départ, plus qu'un musicien avec tous les dons, mais qui, ayant reçu les qualités mêmes de ceux qu'il adorait, n'en possédait aucune à un point vraiment important : moins acéré que Satie, moins vivant que Chabrier, moins profond que Debussy, moins pur que Mozart, moins orchestrateur que Ravel, bien qu'il tînt des uns et des autres. Il avait aussi ­ et ceci, seul, fit son succès ­ un sens inné de la mélodie comme totalité, comme courbe, dans ses proportions et son phrasé. Cela même quand l'inspiration en est plate ­ ce qui lui arrive souvent ­, et on ne sait pas toujours quand c'est « voulu ».

   Un rien de vulgarité bourgeoise, de laisser-aller, de complaisance se retrouve même dans la très belle mélodie initiale de sa Sonate pour piano et flûte. Avec cette façon un peu suffisante de retomber sur ses pieds dans la cadence (moment où Poulenc laisse souvent sentir la facilité), elle n'emporte pas vraiment l'émotion, sa beauté est comme un masque, une parade. L'élément de risque, de frémissement, qui manquait à ce style si coulant, fut trouvé par Poulenc dans le domaine religieux et dramatique. Il ne voyait pas pourquoi, musicalement, il se fût « refusé » quelque chose, voulait ignorer ce que cela signifie, mais c'est avec une sympathique franchise qu'il citait ou imitait Mozart, Moussorgski ou Chabrier. Il s'est donc rajeuni et a été « sauvé » par l'Église et par la scène, toutes deux associées dans le projet insolite de ces Dialogues des carmélites, qui l'occupa trois ans. Même ses mélodies, sur des poèmes de Paul Eluard, Apollinaire, Louise de Vilmorin, dont la production ponctue à peu près régulièrement sa carrière, et que les connaisseurs apprécient pour leur concentration et la qualité de leur prosodie, sont restées un peu confinées dans leur « succès d'estime » et n'auraient pas, à elles seules, suffi à sortir l'œuvre de Poulenc du cercle où elle s'était d'abord enfermée, avec quel talent cependant : car une des grandes qualités de la musique de Poulenc, sa lisibilité, distingue des œuvres comme les Biches ou le Concert champêtre de tant de « musiques d'agrément », qui ont mal vieilli et sont devenues, pour nos oreilles modernes, pâteuses et informes. Reconnaissons donc, à travers toute son œuvre, un certain génie de la clarté qui n'a pas été donné à beaucoup. Et qu'on n'aurait pu imiter, si ce compositeur, qui sut prendre son bien partout, avait eu des imitateurs. Au moins la seconde partie de sa carrière lui a-t-elle permis de conquérir sa solitude.