Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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Martinon (Jean)

Chef d'orchestre et compositeur français (Lyon 1910 – Paris 1976).

Après avoir commencé ses études musicales au conservatoire de sa ville natale, il entra à seize ans au Conservatoire de Paris, où il étudia avec Albert Roussel (composition), Roger Désormière et Charles Münch (direction d'orchestre). Il reçut un premier prix de violon en 1928 et travailla, en outre, la composition auprès de Vincent d'Indy. Au moment où il aurait pu entreprendre une carrière de violoniste (1934-1936), il fut amené à remplacer Charles Münch à la dernière minute à Londres, et révéla des dons exceptionnels pour la direction d'orchestre. À la fin de la guerre, à son retour de captivité, il commença à diriger les associations symphoniques parisiennes, dont la Société des concerts du Conservatoire, comme suppléant de Charles Münch, tout en effectuant des tournées à travers le monde. Chef d'orchestre associé au London Philharmonic Orchestra en 1949, il assuma, à Paris, de 1951 à 1957, les fonctions de président-chef d'orchestre des concerts Lamoureux.

   Directeur artistique de l'Orchestre de Tel-Aviv (1958), il fut nommé directeur général de la musique à Düsseldorf (1960), poste naguère occupé par Mendelssohn et Schumann. Se trouvant le premier musicien français à occuper de hautes fonctions en Allemagne, il continua sa carrière internationale ; son succès fut tel aux États-Unis, que, après quelques concerts à Boston et à Chicago, le poste de directeur musical de l'Orchestre symphonique de Chicago lui fut offert en 1965 ; il y succéda à Fritz Reiner, et y dirigea environ 150 programmes jusqu'en 1968, date à laquelle il prit la tête de l'Orchestre national de la radiodiffusion française. La dernière direction qu'il assuma (à partir de 1974) fut celle de l'Orchestre de la résidence de La Haye. Souffrant de n'avoir jamais été tout à fait consacré dans sa patrie, Jean Martinon fut l'un des rares chefs français à faire une brillante carrière internationale, à la suite notamment de Pierre Monteux et de Charles Münch. Il attachait beaucoup d'importance au disque, et on lui doit de nombreux enregistrements de Berlioz, Debussy, Ravel, Roussel, Honegger, Dukas, Saint-Saëns, mais aussi de Bartók, Prokofiev, Chostakovitch, Nielsen. Il fut le seul Français à recevoir la médaille Gustav-Mahler.

   Jean Martinon a laissé le souvenir d'un artiste idéaliste, épris d'action, d'un humaniste à la pensée élevée. Malgré un calendrier toujours chargé, il s'est livré à la composition et a laissé une œuvre importante : 1 opéra (Hécube, 1949-1954), 2 oratorios (Psaume 136, 1945 ; le Lis de Saron, 1961), 4 symphonies, 2 concertos pour violon, 1 concerto pour violoncelle, 1 concerto pour flûte, des chœurs et de nombreuses œuvres de musique de chambre.

   Un sens de la couleur, de l'équilibre et de la dynamique orchestrale caractérisent des symphonies comme la deuxième (Hymne à la Vie, 1944), ou la quatrième (Altitudes, 1965). C'est au moment où il était directeur à Chicago qu'il reçut la commande de cette dernière, pour fêter les soixante-quinze ans de l'orchestre. Ce geste était un bel hommage à son talent de chef et de compositeur. Le titre de l'œuvre rappelle que Jean Martinon fut un grand alpiniste. « Dans la vie turbulente des villes, a-t-il déclaré, nous sommes obstrués par nous-mêmes comme par les autres. En montagne, on recherche une purification, vers Dieu. »

Martinů (Bohuslav)

Compositeur tchèque (Polička 1890 – Liestal, Suisse, 1959).

Né dans une famille modeste, à Polička sur le plateau tchéco-morave, Martinu développa sa sensibilité en observant la nature, tout en apprenant la musique. Le jeune garçon était rêveur, ce qui lui valut des déboires, plus tard, au Conservatoire de Prague, où il eut comme professeur Josef Suk. Il composa de bonne heure, mais c'est la cantate Rapsodie tchèque de mai-juin 1918, destinée à célébrer l'indépendance nationale retrouvée, qui lui apporta une reconnaissance officielle. Il entra comme second violon à la Philharmonie tchèque, alors dirigée par Vaclav Talich. Admirateur de Debussy, se sentant gêné par l'atmosphère de postromantisme qui régnait à Prague, il ne trouvait pas encore sa voie comme compositeur. Le tournant décisif devait cependant se préciser en 1923, lorsque l'orchestre dans lequel il jouait interpréta le Poème de la forêt d'Albert Roussel. Muni d'une modeste bourse, Martinů s'embarqua pour Paris, désireux de suivre l'enseignement de Roussel qui, au vu de ses premiers essais, l'accepta d'emblée comme élève. Des nombreux disciples de Roussel, c'est Martinů qui devait faire le plus honneur à son maître, à travers ses compositions. « Ce que je suis venu chercher chez lui, devait-il déclarer, c'était l'ordre, la clarté, la mesure, le goût et l'expression directe, exacte et sensible, les qualités de l'art français que j'ai toujours admirées. »

   Les quelques semaines qu'il voulait passer à Paris devinrent dix-sept ans ; se maria avec Charlotte Quennehen et fréquenta le groupe de musiciens d'Europe centrale de l'école de Paris. Après le démembrement de la Tchécoslovaquie et le début de la guerre, il fut mis sur la liste noire des nazis pour ses activités patriotiques. En 1940, il connut avec son épouse l'exode à travers la France, avant de s'embarquer pour les États-Unis. Il eut la chance d'y voir s'ouvrir de nouvelles perspectives, grâce à l'appui généreux de Serge Koussevitski, qui lui obtint une chaire à l'université de Princeton et lui commanda une œuvre, la Première Symphonie (1942). Quatre autres symphonies devaient bientôt lui succéder. En 1945, à la libération de la Tchécoslovaquie, Prague offrit une chaire de composition au musicien, retenu aux États-Unis à la suite d'un grave accident. Il ne devait jamais revoir sa patrie : après avoir quitté les États-Unis en 1953, il partagea ses dernières années entre Rome, Nice et Bâle, où il fut souvent l'hôte de Paul Sacher.

   Après Villa-Lobos et Milhaud, Martinů reste l'un des musiciens les plus féconds du XXe siècle. Dressant le catalogue de son œuvre, Harry Halbreich a dénombré 384 numéros. Trois périodes peuvent être approximativement définies, pour suivre son cheminement, au cours de trente-cinq années de création incessante.

   De 1924 à 1938, le compositeur prend possession de son langage, le rythme domine ­ influence de la danse tchèque, de la polka, voire du jazz. De nombreuses œuvres instrumentales néoclassiques naissent, surtout en musique de chambre ou pour petit orchestre, ainsi que plusieurs opéras, dont Julietta (1936-37, créé à Prague en 1938), d'après Juliette ou la Clé des songes de Georges Neveux, point culminant de son œuvre jusque-là.

   Une deuxième période, recouvrant les années 1938-1950, voit l'apogée de son génie. Elle débute par le Concerto pour deux orchestres à cordes, piano et timbales (1938). L'ère symphonique s'ouvre, les cinq premières symphonies sont écrites coup sur coup (1942-1946). Autour d'elles, apparaît une floraison de concertos, pièces concertantes pour orchestre de chambre, sonates, quatuors, quintettes. L'harmonie gagne en plénitude et en originalité, tout en perdant une partie de sa rudesse agressive.

   Dans sa troisième période enfin, l'art de Martinů s'oriente vers une sorte de néo-impressionnisme romantique, illustré par des œuvres à programme, souvent rhapsodiques, et par un retour à l'opéra, où la diversité des sujets est à la mesure de la curiosité du musicien en matière littéraire et poétique : De quoi vivent les hommes, d'après Léon Tolstoï (1952, opéra télévisé) ; le Mariage, d'après Nicolas Gogol (1952, opéra télévisé ; New York, 1953) ; l'Épopée de Gilgamesh (1955) ; Mirandolina, d'après La Locandiera de Carlo Goldoni (créé à Prague, 1959) ; Ariane, d'après Georges Neveux (1958, créé en 1961) ; la Passion grecque, d'après le Christ recrucifié de Nikos Kazantzakis (1956-1959 ; créé à Zurich, 1961). Au milieu d'un flot de musique de chambre, de nouvelles partitions orchestrales s'ajoutent, à la suite des cinq symphonies, la sixième symphonie, dite Fantaisies symphoniques (1951-1953), les Fresques de Piero della Francesca (1953), les Paraboles (1957-58).

   Le langage de Bohuslav Martinů tire une partie de sa substance du folklore tchèque, sans jamais le citer réellement. Né aux confins de la Bohême et de la Moravie, il est ethniquement morave, ce qui explique certaines affinités avec Leos Janáček dans ses inflexions mélodiques et rythmiques. Deux autres sources à prendre en considération sont Debussy et la musique française, d'une part, le madrigal anglais d'époque élisabéthaine, d'autre part. Contrairement à plusieurs grands musiciens ayant vu leurs sources d'inspiration contrariées, sinon taries, à la suite de l'exil, Martinů a toujours chanté son terroir natal, quel que soit le sujet d'inspiration du moment. Julietta et la Passion grecque sont aussi tchèques dans leur musique qu'Othello de Verdi avait été italien. Sa musique communique un sentiment de joie pure, claire, franche et tourbillonnante. « Ce qui frappe chez Martinů, c'est la force motrice », devait écrire Ernest Ansermet. Sa conception orchestrale est basée sur le principe du concerto grosso, comprenant une utilisation originale du piano, à mi-chemin entre le rôle du soliste et celui de la percussion. Martinů peut être considéré comme un des symphonistes les plus importants depuis Sibelius. Comme chez ce dernier, le thème ne détermine plus le mouvement : les thèmes, naissant au contraire du courant symphonique lui-même, sont portés par lui. Des cellules mélodiques souvent très petites peuvent s'épanouir en mélodies infinies (cf. le Tristan de Wagner). La notion de développement classique ­ opposition de deux thèmes ­ est secondaire, l'unité est assurée par la poussée d'ensemble. En outre, à la suite de Carl Nielsen et de Gustav Mahler, Martinů a adopté le concept de tonalité évolutive : ses symphonies ne se terminent pas dans la tonalité dans laquelle elles ont commencé. À l'encontre des postromantiques souvent attachés aux idées philosophiques, aux développements grandioses, ce musicien recherchait la poésie profonde des choses simples ; il en tirait un plaisir de créer, une spontanéité, dans la musique de chambre comme dans la symphonie ou l'opéra. Installée à Prague, la Fondation Bohuslav Martinů a pris une nouvelle extension en 1995 en créant un centre d'études destiné aux chercheurs (bibliothèque de partitions, documents, discothèque).