Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
U

Ut queant laxis

Hymne à saint Jean-Baptiste, écrite au IXe siècle par le poète Paul Diacre dans le mètre saphique, et dont la première strophe a été utilisée au XIe siècle par Gui d'Arezzo pour donner les syllabes de la solmisation solfégique.

Cette strophe est la suivante :

   

UT queant laxis REsonare fibris

   

MIra gestorum FAmuli tuorum

   

SOLve polluti LAbii reatum

   

Sancte Iohannes.

   Les syllabes retenues (ut, ré, mi, fa, sol, la) correspondent aux débuts d'hémistiche des trois premiers vers. Le dernier vers n'a pas été utilisé par Gui d'Arezzo, mais on a plus tard (XVIIIe siècle) repris les deux lettres acrostiches de Sancte Iohannes pour en faire la syllabe SI qu'on a alors attribuée à la septième note de la gamme.

   Contrairement à ce que l'on croit fréquemment, Gui d'Arezzo n'a emprunté pour son opération solfégique que les paroles de l'hymne et non sa mélodie. Cette dernière semble avoir été soit fabriquée par lui pour les besoins de la cause, soit empruntée à un chant scolaire que l'on trouve à la même époque adapté à plusieurs odes d'Horace de même mètre. L'hymne, par contre, ne s'est jamais chantée avant le XIe siècle sur une mélodie solfégique.

   De plus, Jacques Viret et Jacques Chailley ont découvert en 1981 que le poème de Paul Diacre, indépendamment de la mélodie, constituait un cryptogramme dans lequel les syllabes retenues plus tard pour les notes de la gamme (et aussi celles non utilisées par Gui d'Arezzo) présentaient un sens caché cohérent. Au centre, la syllabe SOL, qui en latin signifie « soleil » et en reproduit l'image par le graphisme de sa lettre centrale O. Cette lettre O est la transcription latine de la lettre grecque oméga, dernière lettre de l'alphabet ; jointe à la première lettre alpha (que le Moyen Âge orthographie couramment alfa), elle contient la définition que Dieu se donne à lui-même dans l'Apocalypse : « Je suis l'alpha et l'oméga. » Dans l'hymne, SOL est encadré par les deux syllabes FA et LA, qui, lues en convergence vers l'oméga du SOL, forment précisément le mot ALFA.

   La syllabe précédente MI réunit les deux lettres M et I qui, dans la numérotation alphabétique latine, représentent le plus grand nombre transcriptible (M, mille) et le plus petit (I, un) ; elle est donc une image du macrocosme et du microcosme, représentation de l'univers.

   Les deux syllables initiales du dernier vers, SANcte IOhannes, réunies et lues comme ALFA mais en sens inverse, forment le mot IONAS, nom du prophète qui sortit vivant après trois jours du ventre d'une baleine, et pour ce fait fut considéré comme la préfiguration de la résurrection du Christ, image elle-même de la renaissance printanière après le sommeil de l'hiver.

   Si enfin on réunit à SOL et à IO les syllabes UT et RE, on obtient, dans un autre ordre, le mot alchimique RESOLUTIO, qui désigne le mystère fondamental de la nature, à savoir la dissolution des éléments dans la mort pour leur reconstitution ultérieure dans un autre ordre pour une nouvelle vie (mort/résurrection, cycle des saisons, etc.). Le groupe RESOLUTIO/ALFA-OMÉGA peut être représenté par une croix latine régulière :

   

RE

   

LA SOL FA

   

UT

   

IO

   La dédicace à saint Jean-Baptiste concourt elle aussi à la signification du cryptogramme, car la fête de ce saint, précurseur du Christ ressuscité, prenait place au solstice d'été, lié traditionnellement aux célébrations populaires des mystères saisonniers (feux et danses de la Saint-Jean). En choisissant cette hymne pour les syllabes de son « solfège », Gui d'Arezzo consacrait en quelque sorte une valeur symbolique antérieurement reconnue.