Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
C

chinoise (musique)

La musique chinoise aurait été déjà florissante lorsqu'a commencé le défrichement des terres (v. ­ 3200). La tradition attribue à des reines et à des empereurs légendaires (confondus sans doute avec des dynasties) l'invention des principaux instruments et la création du système musical. Mais on ne dispose d'aucune source historique antérieure à la grande destruction des livres, ordonnée par l'empereur Shi Huâng Ti (­ 212).

   En revanche, les ouvrages plus tardifs sont innombrables. Une gigantesque encyclopédie, réunie à la fin du XVIIIe siècle, contient 482 volumes sur le seul sujet de la musique !

Le système musical

Le système des lyu, sur lequel repose la théorie musicale, daterait du IIIe millénaire avant notre ère. Il s'agit d'une série-étalon de tuyaux sonores, qui fixe en même temps le diapason et la valeur des intervalles. Selon la légende, un nommé Ling-Louen aurait imaginé le principe des lyu en taillant des flûtes en roseau, chacune de longueur égale aux 2/3 de la précédente (rapport de quinte juste), mais en doublant éventuellement les longueurs pour rester dans des dimensions pratiques, comprises entre celles du premier lyu ou huâng-tchong et sa moitié. En prenant comme unité la longueur du premier roseau, il obtenait les valeurs suivantes : 1er roseau : 1 ; 2e roseau : 2/3 ; 3e roseau : (2/3)2 = 4/9 ou en doublant 8/9 ; 4e roseau : 8/9 X 2/3 = 16/27, etc. Il s'arrêta au 12e roseau, car le 13e aurait eu une longueur très voisine de celle du demi-huâng-tchong (octave).

   La série de sons obtenus par ces lyu est l'échelle qu'engendre le « cycle des quintes » : chaque tuyau donne la quinte du précédent, ramenée dans la limite d'une octave par réduction d'octave (longueurs doublées).

   La dimension du premier lyu a souvent varié au cours des siècles : il donnait récemment un fa dièse (23 cm). Si on lui attribue le son do pour la commodité, les douze lyu successifs produiront les sons suivants, qui forment entre eux des intervalles ressortissant à la théorie pythagoricienne :  

   Dans l'antique tradition chinoise, les douze lyu correspondaient aux douze lunes, aux douze mois de l'année, aux douze heures de la journée chinoise. En l'an ­ 45, le théoricien King Fâng exposa la progression des lyu par quintes jusqu'au 60e : les douze primitifs, multipliés par le nombre des éléments. On fit même plus tard, à titre de pure spéculation, des tables où le cycle était poussé beaucoup plus loin, pour retrouver des coïncidences à d'autres cycles numériques : 666e quinte (" cycle de la bête "), 25 824e quinte (précession des équinoxes), etc.

   Dans la pratique, l'échelle des douze lyu suffit. Elle constitue une base musicale logique, puisqu'elle donne tous les intervalles du système et qu'à partir de la douzième quinte (13e lyu) on tombe dans un deuxième cycle semblable au précédent, à un comma près. L'échelle théorique de base est la suivante :

   Sous chaque note est indiquée la fraction caractéristique de l'intervalle formé avec la tonique ­ rapport des fréquences ­, si toutes les quintes sont justes.

   Les intervalles entre les degrés voisins ne sont pas égaux. On distingue :

­ des grands demi-tons, appelés apotomes dans la terminologie pythagoricienne (2 187/2 048) ; ils sont désignés par A ;

­ des petits demi-tons, appelés limmas (256/243) ; ils sont désignés par L.

   Cette série de lyu ne représente pas autre chose qu'une échelle de transposition, sans fonction mélodique, car la musique chinoise n'est pas chromatique.

   La gamme usuelle, dite " pentaphonique ", est fondée sur les quatre premières quintes (les cinq premiers lyu).

   Aux sons de la gamme pentaphonique (en notes blanches) sont ajoutés deux sons (en notes noires) correspondant aux 6e et 7e lyu (cinquième et sixième quintes). Ces deux sons complémentaires ressemblent à des sensibles, dont l'emploi souligne l'importance des degrés que nous appelons tonique et dominante. Chacune des notes de cette gamme usuelle porte un nom, distinct de la nomenclature des lyu, que l'on pourra lire au-dessus de la portée. Les intervalles entre deux sons consécutifs sont toujours des tons 9/8 (T) ou des limmas 256/243 (L).

   Le kong, premier degré de la gamme pentaphonique, ne coïncide pas nécessairement avec le huâng-tchong : il peut se déplacer dans l'échelle des lyu, donnant naissance à des transpositions de la gamme. De plus, la finale ou tonique n'est pas toujours le kong : en la déplaçant d'un degré à l'autre de la gamme pentaphonique, on détermine différents aspects de l'octave, appelés tyao (" système "). Le tyao n'a pas le caractère d'une mode, comme le râga : il serait comparable au murchhanâ de la musique de l'Inde. Il y a 5 tyao dans chacune des douze " tonalités " définies par les lyu, soit un total de 60, correspondant aux différents mois, jours et heures. Les anciens théoriciens attribuaient aux cinq sons de la gamme des affinités mystérieuses avec les 5 planètes, les 5 couleurs, les 5 éléments, etc.

   Enracinée dans le cycle des quintes, la musique chinoise n'utilise pas d'autre type d'échelle modale. En changer conduirait à sauter des quintes, ce qui dénaturerait le cycle. La variété mélodique s'obtient par les changements de tonique ou de tyao et par l'ornementation. Dans la musique classique, les parties procèdent normalement à l'unisson ou à l'octave. Les exceptions à cette homophonie ne participent pas d'une conscience polyphonique ; tantôt elles résultent du jeu de l'ornementation, tantôt elles consistent à à substituer la quinte à l'octave, par convenance à une meilleure tessiture vocale ou instrumentale. En revanche, le raffinement et la variété de l'instrumentation ont toujours joué un rôle fondamental ; et, à la chute de l'empire (­ 1911), de nombreuses règles avaient subsisté du cérémonial compliqué qui fixait jadis les places des musiciens dans les orchestres impériaux.

   Les Chinois utilisent depuis fort longtemps des caractères empruntés à l'écriture ordinaire pour noter la musique, mais ne connaissent pas d'œuvre écrite antérieure au XVIe siècle. La notation est d'ailleurs d'une imprécision remarquable et ne permet pas d'assurer la transmission fidèle d'un répertoire traditionnel. Le symbolisme confus des explications théoriques ne paraît pas plus propice à la pérénnité d'une civilisation musicale, qui date pourtant de plus de cinq mille ans ! Mais le système musical chinois est essentiellement non évolutif ; il n'a pas enregistré de progrès ni subi de mutation radicale. Il s'est seulement corrompu au contact de la civilisation occidentale.

Une musique de traditions

Ce qui caractérise la musique chinoise par rapport à la musique occidentale, c'est son aspect statique. Bien qu'elle ait subi diverses transformations au cours des siècles, la notion de progrès, au sens où nous l'entendons, lui est totalement étrangère. Des courants d'influence d'abord hellénistiques, puis hindous, barbares et enfin européens, l'apparition progressive de nouveaux instruments ont altéré son style de manière variée. Mais ces modifications ont été considérées dans une optique d'enrichissement et non d'évolution. La musique repose, depuis des millénaires, sur les mêmes bases philosophiques. Elle est toujours fondée sur un déterminisme astrologique et cosmologique qui règle l'organisation des sons et des modes, la classification et l'utilisation des instruments, le rituel des cérémonies, la danse, etc. Il s'est, en fait, produit au fil des temps, au lieu d'une évolution, un lent appauvrissement des traditions musicales, qui ont fini par sombrer dans un oubli presque total. Le seul apport des dernières dynasties a été l'opéra, qui a constitué, jusqu'à nos jours, l'essentiel de la vie musicale en Chine.

   Si la mythologie fait remonter les bases du système musical et l'invention de plusieurs instruments à des dates bien antérieures, la musique ne commence vraiment à prendre forme que sous les Tcheou (v. 1050-249 av. J.-C.). C'est sous cette dynastie que s'organise tout le rituel des cérémonies religieuses et civiles, tant à la cour qu'au temple ou dans les campagnes. C'est également l'époque des grands philosophes, Lao-Tse (v. 604-517 av. J.-C.), fondateur du taoïsme, et Confucius (554-479 av. J.-C.). Ce dernier a précisé quel devait être le rôle de la musique et sa philosophie a influencé profondément la musique en Chine. Divers ouvrages conservés (Chi-king ou livre des odes et Li-ki ou livre des rites, avec un chapitre, le Yo-ki, consacré à la musique) ont permis de constater que le système théorique, inspiré de la philosophie, et la plupart des instruments étaient déjà établis à cette époque.