Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
V

vêpres (du lat. vesper, « soir »)

Dans la suite des heures qui constitue la journée liturgique, les vêpres, primitivement prière d'action de grâces pour la lumière du jour au moment où elle se retire, sont l'office de fin d'après-midi précédant les complies qui « achèvent » le cycle. Les grandes fêtes comportent deux offices semblables : les premières vêpres célébrées la veille et les vêpres proprement dites ou deuxièmes vêpres. L'essentiel de l'office consiste dans la lecture chantée par deux demi-chœurs alternés (psalmodie antiphonique) d'une suite de 5 psaumes (4 dans l'office bénédictin) encadrés de leurs antiennes et suivis d'une hymne et du chant du magnificat. Diverses formules dialoguées complètent l'office. Chez les bénédictins s'y ajoute un répons bref. Enfin, l'ordonnance de l'office a été profondément modifiée après le concile Vatican II.

   Jusqu'à ce concile, qui les a en fait retirées des mœurs, les vêpres ont été, après la messe, l'office le plus important de la pratique religieuse des fidèles, et n'ont cessé d'être fréquentées par eux malgré l'absence d'obligation. Aux fêtes les plus importantes, cathédrales et grandes chapelles célébraient parfois des « vêpres solennelles » ou « en musique », dont certaines parties en nombre variable pouvaient être déléguées à la maîtrise, d'où composition d'un répertoire important, comportant soit l'office entier, soit un florilège de psaumes, hymnes ou magnificat destinés à cet usage, en polyphonie au XVIe siècle (Palestrina, Lassus, etc.), avec soli, chœurs et orchestre aux XVIIe et XVIIIe siècles. Mozart a ainsi écrit pour la cathédrale de Salzbourg un certain nombre de vêpres solennelles. À partir du XIXe siècle, ces compositions sont devenues exceptionnelles, les vêpres en musique, plus rares, faisant davantage appel au répertoire existant qu'aux compositions nouvelles.

Veracini

Famille de musiciens italiens.

 
Antonio, violoniste et compositeur (Florence 1659 – id. 1733). Virtuose fort estimé, il a écrit plusieurs pièces de musique de chambre, ainsi que des oratorios.

 
Francesco Maria, violoniste et compositeur, (Florence 1690 – id. 1768). Neveu et élève du précédent, enfant prodige, il effectua de brillantes tournées de concerts en Italie, en Angleterre et en Allemagne. Comme compositeur, il écrivit notamment 3 recueils de 12 sonates pour violon, 5 opéras et autant d'oratorios.

verbunkos (de l'all. werbung, « recrutement »)

Danse de « racoleurs » apparue sous ce nom vers 1780, et devenue le symbole de la danse hongroise authentique au XIXe siècle.

Elle fut mise en honneur par Lavotta, Bihari et Csermàk, et ses formes, ses structures et ses rythmes régissent encore l'essentiel du patrimoine musical des danses d'origine instrumentale. Bartók en retrouva les caractères authentiques en parcourant la campagne hongroise, tandis qu'un Liszt le confondit avec les rythmes tziganes. En général, le verbunkos se compose d'une danse lente (lassu), débouchant sur une danse très vive (friss). Mais il a su conserver son caractère d'improvisation : c'est l'illustration d'une attitude de danse plus qu'une forme musicale stricte. Son rythme suit l'accentuation de la langue hongroise parlée. Mais le verbunkos n'est une musique ni populaire ni folklorique. Il demeure une forme savante, vocale à l'origine, puis progressivement instrumentale (violon). Sa grande souplesse lui a permis de s'insérer peu à peu dans toutes les formes musicales évoluées, supportant ornementation, répétition, devenant l'archétype des formes alla ungherese de tous les compositeurs de l'époque, de Haydn à Liszt.

Verdelot (Philippe Deslouges)

Compositeur français (Les Loges, Seine-et-Marne, entre 1470 et 1480 – Florence ? av. 1552).

Seule la période florentine de sa vie (1523-1527) est connue : il fut maître de chapelle au baptistère de San Giovanni (1523-1525) et jouit d'une solide réputation, comme en témoigne son audition par le pape Clément VII (Jules de Médicis), dès sa nomination. Ses œuvres semblent indiquer qu'il participa ensuite à la vie musicale romaine (1529/30-1533), toujours dans le cercle des Médicis, où il côtoya, entre autres, des musiciens français. Son activité de compositeur se partagea alors entre des œuvres religieuses et des madrigaux (les premiers publiés en 1530). Au genre du madrigal, il se consacra presque exclusivement de 1535 à 1542, avant de revenir à celui de la messe et du motet. Sans doute termina-t-il sa vie dans la chapelle des Médicis à San Lorenzo de Florence. Il fut l'un des principaux représentants de la chanson parisienne en Italie, l'un de ceux que A. Einstein rend responsables de la « pause artistique » de l'Italie avant le madrigal, genre que, pourtant, il put se vanter d'avoir inauguré avec C. Festa, Willaert et Arcadelt, tant il est vrai qu'il s'imprégna de la musique et du goût italiens. Huit livres de madrigaux montrent comment, proche au départ du style de la frottola (homorythmie stricte, tierces parallèles), il participa étroitement à l'expansion du genre dans l'expression comme dans la structure : alternance d'une homophonie rythmique et d'un tissu polyphonique en imitation, usage d'altérations expressives pour souligner le sens des mots (Italia mia, 1538, ou mieux encore Per altimonti, 1540). On peut le considérer comme le précurseur de Luca Marenzio.

Verdi (Giuseppe)

  • Giuseppe Verdi, le Trouvère
  • Giuseppe Verdi, la Traviata : air « Follie... sempre libera »
  • Giuseppe Verdi, Rigoletto : La donna e mobile
  • Philippe Chaperon, maquette de décor pour Aïda
  • Giuseppe Verdi, la Force du destin : ouverture
  • Victor Maurel dans Falstaff

Compositeur italien (Le Roncole di Busseto 1813 – Milan 1901).

Issu d'une famille pauvre, et malgré ses dons évidents, il connut une première formation quelque peu difficile, étudiant et composant déjà au hasard des possibilités d'une petite ville. Grâce au mécénat d'Antonio Barezzi, dont il devait épouser la fille Margherita, il put se rendre à Milan, où, refusé par le conservatoire comme pianiste en raison de défauts techniques rédhibitoires, il y fut au contraire encouragé dans la voie de la composition, et Vincenzo Lavigna lui révéla Mozart et Haydn, cependant que la capitale lombarde et ses théâtres lui permettaient de se familiariser avec les exécutions d'œuvres de Donizetti, Bellini, Vaccai et Rossini.

   Il eut la chance exceptionnelle d'obtenir d'emblée une commande de la Scala de Milan, et y fit représenter son premier opéra, Oberto (1839), avec un succès suffisant pour se voir aussitôt réclamer une autre œuvre par ce théâtre. Mais, alors qu'il était occupé à la composition de cette nouvelle œuvre ­ une comédie légère ­, sa jeune épouse mourut à la suite de leurs deux enfants ; Un giorno di regno (1840) fut un échec à Milan, mais devait, par la suite, connaître quelques succès sur d'autres scènes. Grâce à la ténacité de quelques amis, parmi lesquels la cantatrice Giuseppina Strepponi (qu'il épousera en 1859, légalisant ainsi leur longue union), il put surmonter ses épreuves, et il présenta, toujours à la Scala, Nabuccodonosor (1842), qui fut un triomphe dû à la violence d'un langage vocal qui marquait la naissance d'un art « populaire » et au large emploi des chœurs symbolisant le peuple (l'influence du Moïse de Rossini y est patente) ; mais ce succès fut aussi fonction des prolongements patriotiques du sujet, la Lombardie ployant alors sous le joug de la répression autrichienne. Les Lombards (1843) s'inspirèrent de cette même veine épique d'un grand opéra à fond historique, mais ce n'est qu'avec Ernani, d'après Hugo (Venise, 1844), que Verdi put enfin affirmer ses dons dramatiques accordés aux situations typiques du romantisme latin, avec ses amours irréalisables, le sacrifice final du héros ­ ou de l'héroïne ­, ses arrière-plans politiques ou humains, cependant que l'action, resserrée au maximum, accordait encore la priorité aux schémas musicaux d'un type d'opéra toujours tributaire d'une souveraineté vocale quasi inaltérée.

   Désormais célèbre, Verdi allait devoir écrire un ou plusieurs opéras par an, sans cesse sollicité par les grandes scènes italiennes, et déjà réclamé à l'étranger. En 1847, il fit créer I Masnadieri à Londres (avec Jenny Lind) et à Paris Jérusalem (avec Duprez). Durant ces « années de galère », la production de Verdi fut parsemée d'éclatantes réussites et d'échecs : il s'agissait, en fait, d'œuvres parfois inégales en elles-mêmes, mais dont bien souvent le succès ou la chute fut le fait des interprètes, insuffisamment préparés à un langage fort nouveau, et choisis avec plus ou moins de discernement. Ces œuvres du « jeune Verdi », récemment remises en question avec des critères plus objectifs que ceux des générations précédentes, font apparaître la qualité exceptionnelle de nombreuses pages dans Giovanna d'Arco, I Due Foscari, Attila, Alzira ou Il Corsaro, opéras où l'orchestre joue souvent un très grand rôle, et dont les sous-entendus politiques déterminèrent de nombreux choix. Macbeth, en 1847, marquait, dans l'évolution dramatique du compositeur, un tournant que confirma Luisa Miller, d'après Schiller, en 1849. Ce n'est toutefois qu'avec Rigoletto, en 1851, puis en 1853 avec le Trouvère et la Traviata (dits « la trilogie populaire ») que Verdi fut enfin tenu pour le compositeur vivant le plus célèbre de l'Italie, et probablement du monde entier.

   Sa situation matérielle assurée, il put désormais consacrer plus de temps à la composition de chaque œuvre, choisir ses sujets avec plus de soin, discuter de plus en plus âprement la rédaction du livret et surtout prendre en main le soin de l'exécution de ses opéras. L'échec initial de la Traviata se mua ainsi en un triomphe l'année suivante. En 1855, pour la première Exposition universelle, c'est Verdi qui fut convié à écrire une œuvre nouvelle (les Vêpres siciliennes) pour l'Opéra de Paris, mais l'échec de Simon Boccanegra à Venise en 1857 lui prouva que le public n'était pas encore suffisamment disposé à accepter un type d'opéra où la profondeur psychologique l'emportât sur le chant pur, à l'heure où l'engagement politique des œuvres antérieures n'avait plus sa raison d'être.

   Alors qu'Un bal masqué triomphait à Rome (1859), Verdi, considéré comme l'un des héros du Risorgimento, fut élu député de Busseto et reçu à Turin par Victor-Emmanuel II (V. E. R. D. I. avait été, pour les libertaires italiens, le sigle de Victor-Emmanuel Roi D'Italie). Il revint à la composition pour donner, en 1862, la Force du destin à Saint-Pétersbourg, mais le rythme de sa production devait alors se ralentir singulièrement ; après avoir remanié Macbeth en 1865, il écrivit en français pour l'Opéra de Paris Don Carlos (1867), qui triompha en version italienne à Londres et en Italie ; mais Aïda, créée au Caire en 1871 avec un luxe inouï (et des émoluments jamais offerts à un compositeur), consacrait une gloire mondiale sans rivale. Après un grandiose Requiem écrit à la mémoire de Manzoni (1874), Verdi, contesté par la nouvelle vague des musiciens italiens, se réconcilia avec son adversaire de naguère, Arrigo Boito, et, requerrant sa collaboration en tant que poète, fit triompher une version remaniée de Simon Boccanegra (1881) et lui confia la rédaction des livrets d'Otello (1887) et de Falstaf (1893), partitions qui affirmaient la jeunesse étonnante et l'effort de renouvellement de cet octogénaire. Après la mort de Giuseppina Strepponi (1897), Verdi terminait en 1898 ses Pièces sacrées. Demeuré sans héritier, il fonda la Maison de repos des musiciens, à Milan, où il mourut le 27 janvier 1901. Après les obsèques sobres qu'il avait désirées, le transfert de ses cendres à cette maison de repos, le 27 février, fut célébré par près de 900 exécutants que dirigeait Arturo Toscanini.

   Si la vie du musicien, hormis les déboires et les deuils de sa jeunesse, ne comporte aucun fait saillant, sa carrière de compositeur de soixante années représente un arc évolutif presque unique dans l'histoire de la musique : ses premières œuvres furent créées dans l'ambiance aristocratique de la Lombardie autrichienne encore attachée aux derniers feux du bel canto, et les dernières furent postérieures à l'affaire Dreyfus, à l'invention du cinéma et du disque, alors que Moussorgski, Mahler ou Debussy avaient déjà totalement bouleversé les lois de l'écriture musicale et que le vérisme avait envahi la scène italienne, le bel canto ayant fait place à un chant plus héroïque et déclamatoire. Si l'on oublie les premières œuvres de Verdi démarquant mal les opéras de Mercadante, et en laissant à part le recueillement sublime des Pezzi sacri, ainsi que le renouvellement proprement incomparable de Falstaff, cette véritable évolution le conduisit de Nabucco à Otello, soit d'un drame aux structures isolées, avec ses chœurs figés, ses grandes arias triparties (récit-air-cabaletta) et son extrême virtuosité en même temps que sa puissance impétueuse, à la parfaite expression du drame lyrique plus déclamé, à peu près conçu selon la formule du discours continu, avec son harmonie plus originale coulée sur les modèles français et allemand, mais demeurant quelque peu en retrait, ainsi que le nota Stravinski, par rapport au Verdi populaire des premières années.

   Pourtant, dans l'un et l'autre cas, la personnalité et la puissance de Verdi empoignent de la même façon, et ce sens de la grandeur est tout autant décelable dans les accents patriotiques et la « vocalité » débridée de Nabucco, d'Attila, d'Ernani ou du Corsaire que dans les fines ciselures d'Aïda et d'Otello. Or, cette grandeur ne réside certes pas dans l'adhésion de Verdi au drame lyrique par renoncement à l'opéra traditionnel, un phénomène largement européen dont le XXe siècle remettra largement en question le bien-fondé ; ni dans la qualité de ses livrets, car il reste à démontrer si les vers de Boito furent plus efficaces que ceux de Piave ou de Cammarano, collaborateurs des premières années. En revanche, la recherche d'une inspiration due à Schiller, Shakespeare, Gutierrez ou Hugo semble plus significative de la part d'un musicien qui désirait avant tout des « situations fortes », où la déraison du romantisme autorisait tout, où la politique même fût d'abord au service de l'humain. Cette recherche de l'efficacité dramatique ne put, toutefois, aller sans causer quelque dommage au support essentiel de l'opéra italien, le chant : ayant voulu plier les impératifs du bel canto à son souci de violence et d'héroïsme dans la caractérisation des personnages ­ un domaine où Verdi n'eut comme seul maître que Mozart ­, il dut peu à peu renoncer à la colorature que ne savaient plus manier des chanteurs dont il avait requis des effets de puissance alors inconnus, notamment par l'enrichissement d'un orchestre trop souvent amené à doubler à l'unisson la ligne de chant, ainsi qu'en avaient usé dangereusement Spontini et Weber.

   Dans le domaine vocal, on peut dire que Verdi tenta de concilier l'inconciliable en abaissant peu à peu les tessitures vocales récemment haussées par Bellini et par Donizetti, mais en exigeant de voix plus dramatiques la même souplesse, les mêmes effets de tendresse pathétique et la même maîtrise des nuances dans leur registre aigu. Sur le plan dramatique, l'efficacité verdienne réside d'abord dans la concision du livret, dans l'introspection psychologique de l'humain (cf. Rigoletto, la Traviata et surtout Don Carlos) et dans la création de conflits où s'interpénètrent les thèmes de l'amour, mais aussi de l'amitié (Un bal masqué, Don Carlos) ou de la politique. Les affrontements de Boccanegra et Fiesco, de Philippe II et l'Inquisiteur comptent parmi les grandes réussites dramatiques de tous les temps. C'est sans aucun doute cette concentration sur les personnages qui conduisit Verdi à réduire, dès Rigoletto, le rôle de l'orchestre, à moins qu'il ne lui assignât une fonction plus essentielle dans le support de leitmotive (avant l'expérience wagnérienne) d'une sobre efficacité : celle qui brille essentiellement dans les chefs-d'œuvre étendus de la « trilogie populaire » à Don Carlos, autant d'aboutissements suprêmes du drame romantique dans la plus parfaite conjugaison de l'exaltation des passions et d'une riche profusion lyrique.