Florence
Si la cité de Dante et de Michel-Ange, malgré une activité musicale qui ne s'est guère ralentie au cours des siècles, n'a aucun nom de musicien à mettre en parallèle avec ces deux génies universels, elle n'en a pas moins joué un rôle de premier plan lors de certains mouvements artistiques comme l'Ars nova au XIVe siècle, les débuts de l'opéra au XVIe ou la réhabilitation de la musique instrumentale au XIXe et, d'une manière générale, le réveil musical des Florentins au XXe siècle. Dès les débuts de son histoire, le sort ne lui fut pas favorable en la dotant de l'évêque Ardingo (1231-1249) qui semble avoir fermement et exclusivement maintenu l'usage du chant grégorien à la cathédrale jusqu'au XIVe siècle, où la polyphonie commença à s'y implanter et à gagner les églises les plus importantes de la ville. L'arrivée massive des musiciens franco-flamands tout au long du XVe siècle contribua à développer ce mouvement et l'une des dates les plus brillantes de la vie florentine fut la consécration en 1436 de la cathédrale Santa Maria del Fiore que Brunelleschi venait de couronner de son étonnante coupole, en présence du pape Eugène IV dont la chapelle chanta l'un des plus beaux motets de Dufay, ce Nuper rosarum flores qu'il avait écrit spécialement pour cette circonstance. Aucun compositeur florentin ne se signala dans ce domaine et les Médicis eux-mêmes reconnaissaient la supériorité des musiciens du Nord : Piero, qui resta en relation étroite avec Dufay, et Laurent, qui sut s'attacher l'un des plus grands d'entre eux ; Heinrich Isaac, sous l'impulsion duquel, sans doute, il élargit la chapelle jusqu'à 18 chanteurs en 1438. À la fin du XVe siècle, quelques compositeurs du pays, comme Alessandro Coppini, Bartolomeo degli Organi ou Bernardo Pisano cultivèrent les nouvelles formes de la messe et du motet importées du Nord, sans grand génie, mais avec le mérite de constituer la première école florentine de polyphonie sacrée.
Par contre, dans le domaine de la musique profane, Florence pouvait s'enorgueillir d'un passé plus glorieux, puisque dans la seconde moitié du XIVe siècle, alors qu'avaient disparu les seigneurs de Milan et de Vérone, qui avaient protégé la naissance de cet art nouveau, elle fut le berceau de la dernière phase de l'Ars nova italienne illustrée par le plus grand musicien du siècle, Francesco Landini, dont l'œuvre représente à elle seule environ le tiers de toute la musique italienne du XIVe siècle et où domine le genre nouveau de la ballata dont plus de 140 nous sont parvenues. Bien que plusieurs manuscrits nous aient conservé le corpus de l'Ars nova, c'est Florence qui nous en a transmis le monument le plus représentatif avec le somptueux recueil de la Laurenziana (Pal. 87), dit Codex Squarcialupi, compilé quelque trente ans après la mort de Landini et qui contient plus de 350 pièces avec le portrait de chacun des musiciens en tête de ses œuvres, « éclatant monument votif érigé à la mémoire des héros éphémères du Trecento » (Torrefranca).
Après ce brillant éclat, sur Florence, comme sur toute l'Italie, tomba le silence, aucun nom italien ne venant peupler ce désert national, car durant le XVe siècle la première place appartint sans conteste aux Franco-Flamands. Pourtant, les humanistes florentins de l'Academia faisaient dans leurs réunions de Carreggi une large place à la musique, beaucoup d'entre eux étant eux-mêmes d'habiles exécutants, mais il s'agissait, pour ces philosophes, de retrouver dans la musique ces vertus efficaces que leur prêtaient les Anciens, et c'est dans cet esprit néoplatonicien que Marsile Ficin ressuscitait les hymnes orphiques en s'accompagnant de sa lyre et que Pic de La Mirandole chantait des prières latines ad lyram, afin de soigner le corps en purifiant l'âme. On ne peut donc parler à leur sujet de véritable création artistique.
Il serait quand même inexact de croire que l'invasion ultramontaine avait stérilisé toute manifestation nationale, car la tradition italienne continuait à vivre ardemment dans la musique profane, vécue par tout un peuple avant de devenir forme d'art de toute une culture. Les chroniques du XVe siècle sont pleines d'allusions à un certain art d'improviser qui n'a évidemment laissé aucune trace écrite, mais qui a perpétué le nom de certains de ces cantastorie qui, le dimanche, se produisaient à Florence sur la place San Martino, comme cet Antonio da Guido, le plus célèbre d'entre eux, qui était qualifié de maestro di musica e di canto. Ce courant populaire, en pénétrant les milieux cultivés, donna naissance, dans les petites cours de l'Italie du Nord, aux Giustiniane, puis aux frottole et dans cette grande vague qui portait alors les lettrés vers les formes de l'art du peuple, Florence tenait aussi sa place grâce surtout à Laurent le Magnifique qui avait mis en honneur les Canti carnascialeschi et auquel on prête une douzaine de ces petits poèmes plus ou moins lestes que les musiciens accommodaient à plusieurs voix pour être chantés sur les chars le jour du carnaval. 77 de ces canti nous ont été conservés dans le manuscrit Magl. B. R. 230 de la Biblioteca nazionale de Florence : on y trouve de nombreuses chansons de métier, celle de l'écrivain public, des meuniers, des tailleurs, des parfumeurs, des fabricants d'huile. Mais les 7 chants à 4 voix du Florentin Alessandro Coppini sont parmi les plus pittoresques : Canto di uccellatori alle starne, Canto di zingare, Canto dei giudei, Canto dei naviganti, Trionfo dei diavoli, Trionfo delle scienze matematiche, Canto di lanzi.
Mais l'avènement de Savonarole mit fin aux réjouissances florentines et le carnaval était désormais fêté au chant des laude, ces chansons pieuses dont l'origine remontait à saint François d'Assise et auxquelles Lucrezia Tornuaboni, la mère de Laurent, ne dédaignait pas de participer.
Après la mort du tyran et le retour des Médicis, la vie musicale à Florence se déroula dorénavant presque exclusivement à la cour, les musiciens composant avant tout des œuvres destinées aux fêtes princières : les mascherate, tardives transformations des anciens canti carnascialeschi, ayant désormais laissé les places publiques pour franchir le seuil des palais et se cantonner dans les louanges du duc et de sa maison. Les intermedi de chants et de danses se multipliaient afin de distraire les auditeurs entre les actes des représentations théâtrales. Si Cosme Ier avait institué un petit orchestre, que ses successeurs allaient élargir, il n'était destiné qu'aux fêtes de la cour, et peu de musique instrumentale avait survécu. Le Vénitien Parabosco avouait d'ailleurs préférer la conversation des musiciens du duc à leur harmonie ! Cependant, Cosme sut s'attacher les services d'un musicien de talent, Francesco Corteccia, seul compositeur de la cour qui eût quelque peu participé à l'histoire du madrigal à Florence avec 3 livres publiés à Venise en 1544-1547. Maître de chapelle à la cour (et aussi à Santa Maria del Fiore), organiste réputé, il eut pour successeur un autre grand musicien, Marco da Gagliano, qui allait jouer son rôle dans l'histoire de l'opéra.
Au début du XVIIe siècle, Florence reprit de nouveau la tête d'un mouvement avec la création du théâtre musical. Il s'agissait alors d'un véritable opéra fondé sur le récitatif chanté, lequel était apparu pour la première fois, semblait-il, dans les salons de Giovanni Bardi où se réunissaient dès 1576 les membres de la Camerata fiorentina qui, inspirés de l'idéal des Anciens, discutaient de littérature et d'arts. De ces discussions naquit le fameux Dialogo della musica antica e della moderna (1581) de Vincenzo Galilei, qui y prônait le chant monodique des Grecs opposé au style contrapuntique, cette invention barbare des Goths ! C'est aussi aux réunions de la Camerata que Giulio Caccini faisait preuve de la virtuosité qu'il avait acquise dans l'ornement du chant solo et dont il exposa ensuite les principes dans ses Nuove Musiche (1601), dont il devait donner en 1614 un second livre, véritable traité de bel canto.
Mais le grand essor du drame en musique prit son départ en 1597 avec la Dafne de Peri (maintenant disparue), suivie en 1600 de son Euridice et en 1602 de celle de Caccini, représentées à Florence et où faisait son apparition le stile nuovo du récitatif chanté. Les représentations d'opéras continuaient à la cour où l'on accueillait aussi les œuvres étrangères à la ville, comme le célèbre Orfeo de Monteverdi en 1607.
Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, des spectacles furent donnés par les soins des nombreuses académies, comme l'Accademia degli Immobili et degli Infuocati jusqu'à ce qu'en 1656 fût inauguré le Teatro della Pergola avec Il Podestà di Colognole du compositeur de la cour, Jacopo Melani. Après sa fermeture en 1662, le Teatro degli Infuocati (ou Cocomero) devint alors le plus important de la ville, spécialisé dans des sortes d'opéras-comiques en dialecte.
Le seul événement de la fin du XVIIe siècle à Florence est marqué par la création du piano-forte de Bartolomeo Cristofori que Ferdinand Médicis, lui-même brillant exécutant au clavier, avait fortement encouragé.
Au XVIIIe siècle, Florence reprit sa « politique des palais », celui de Cosimo Riccardi devenant un centre musical important ainsi que l'Accademia degli Apatisti, qui donnait régulièrement des concerts réservés à ses membres. Même si le Teatro della Pergola ouvrit de nouveau en 1718, c'était pour donner le Scanderbergh de Vivaldi qui inaugura l'introduction du style international. Désormais, les écoles napolitaine et vénitienne allaient dominer la vie florentine, le seul musicien du pays, Cherubini, ayant choisi de faire carrière à l'étranger. L'avènement de la maison de Lorraine qui, en 1737, à l'extinction des Médicis, avait hérité de la Toscane, ne pouvait qu'accentuer ce mouvement international et transformer la vie musicale florentine. Ainsi, François II appela à la cour le premier chef d'orchestre, mais il fallut tout de même attendre la fin du XVIIIe siècle pour qu'on instituât un orchestre permanent.
Après les épisodes passagers de l'occupation française, au retour des Habsbourg, l'influence viennoise se fit sentir de nouveau et l'élite florentine, qui pouvait désormais se familiariser avec Haydn, Mozart ou Beethoven, en vint à marquer une préférence évidente pour cette musique instrumentale aux dépens du tout-puissant opéra, soulevant ainsi des polémiques enflammées. Dans la genèse de ce mouvement nouveau, on ne saurait négliger l'influence du Florentin Abramo Basevi qui avait organisé les Mattinate beethoveniane, bientôt transformées en cette Società del Quartetto (1861) qui allait devenir un modèle pour toute l'Italie. Infatigable, Basevi institua un concours de composition pour quatuor à cordes et, en 1863, inaugura les Concerti popolari a grande orchestra dont il publia le répertoire en partitions de poche avec l'éditeur Guidi. Dès 1856, il avait fondé le journal L'Armonia (puis Boccherini) qui se voulait l'organe de la réforme musicale en Italie. Il fut un des premiers supporters de Wagner et ses critiques sur Verdi furent parmi les plus lucides. Enfin, sa bibliothèque, qu'il légua à sa mort en 1885 à l'Istituto musicale de Florence, forme maintenant l'un des fonds les plus importants du Conservatorio Cherubini.
Malgré tous ces efforts, on assista après 1870 au lent déclin de la vie musicale florentine avec une reprise de la vogue des opéras, qui se donnèrent à la Pergola et au grand et moderne Teatro Pagliano (aujourd'hui Teatro Verdi).
Il fallut attendre l'action de Gioannetto Bastianelli et de Ildebrando Pizzetti qui fondèrent en 1914 la revue Dissonanza consacrée à la musique contemporaine. Devenant l'un après l'autre critiques à la Nazione (quotidien florentin), ces deux musiciens initièrent leurs compatriotes à Debussy et Schönberg, celui-ci ayant, sous les auspices de la société Amici della musica, donné en 1924 une représentation du Pierrot lunaire dirigée par le compositeur lui-même et qui devait beaucoup impressionner Puccini. En 1928, fut créé l'Orchestra fiorentina, qui, dirigé par Vittorio Gui jusqu'en 1936, devint l'un des meilleurs d'Italie et permit d'inaugurer en 1933 le premier Maggio musicale fiorentino qui acquit bientôt une réputation internationale, non seulement grâce aux chefs italiens comme Mario Labroca, mais aux chefs invités comme Bruno Walter ou Furtwängler. De nombreuses « premières » comme Œdipus Rex en 1937 ou Volo di notte en 1940, sans compter quelques reprises célèbres comme, en 1957, sous la direction de Carlo Maria Giulini, les Abencérages du « citoyen de Florence » Cherubini, opéra qui avait pratiquement disparu du répertoire, établirent dans le monde la réputation de ce festival dont le dernier chef permanent, Riccardo Muti, dirigea de 1969 à 1973.
Parmi les compositeurs contemporains de Florence, outre Dallapiccola, qui enseigna le piano au conservatoire de la ville et qui compta parmi les personnalités marquantes des dernières années, on peut citer, bien que moins importants, Valentino Bucchi et Flavio Testi qui s'en tiennent à un modernisme modéré, tandis que, parmi les novateurs, Sylvano Bussotti, musicien raffiné, fait preuve de dons incontestables même si son succès a parfois participé du scandale.