Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
V

violon

Instrument de musique à cordes frottées, tenu sous le menton et joué avec un archet, et considéré, aussi bien dans l'orchestre qu'en solo, comme le roi des instruments.

Les origines

Si le violon connaît, au cours des siècles, une grande floraison d'écrits musicologiques, scientifiques et littéraires, ses origines n'en restent pas moins assez obscures. En effet, il existe souvent une confusion entre les termes vièle, viole, violon, et il est difficile, d'un point de vue organologique, de situer exactement la date de fabrication du premier violon. Sous le rapport de la forme, celui que nous connaissons aujourd'hui a peu évolué depuis le XVIe siècle ; son nom apparaît d'ailleurs pour la première fois sous François Ier dans les comptes des Menus Plaisirs du roi, en 1529.

   Le violon aurait pour ancêtre la cithare, faite d'une caisse de résonance percée d'ouïes, d'un manche et d'un système de chevilles. L'apparition de l'archet provoque au Moyen Âge la naissance d'un grand nombre d'instruments à cordes frottées, ce qui en complique les origines : rebecs, gigues, rotes, lyres et, en particulier, vièles à archet qui se rapprochent davantage de notre violon, par leur facture et la façon d'être posés sur ou contre l'épaule pour en jouer. Au XVIe siècle, la vièle est désignée sous le nom de viole de bras, en opposition à la viole de gambe, dont la facture est d'ailleurs différente. À cette époque déjà, les familles des violes et des violons coexistent. Ceux-ci sont plutôt réservés à l'accompagnement des danses en plein air, tandis que les violes, à la sonorité beaucoup plus douce, restent l'instrument noble par excellence. En 1592, Zacconi, dans Prattica di musica, présente la famille des six violes avec leur accord. On peut y voir la parenté des deux instruments : la plus petite viole, ou dessus, s'accorde déjà comme notre violon, sur sol-ré-la-mi. Le grand succès de la viole, à la Renaissance, a sans doute contribué à retarder l'apparition du violon dans une musique plus « élaborée », reléguant celui-ci au rang de vulgaire instrument. Les écrits de cette époque l'attestent : peu de théoriciens sont favorables au violon, d'autres n'en parlent pas. Cependant, même s'il n'est pas toujours bienvenu, on voit son importance grandir en lisant l'Épitomé musical des tons, sons et accordz de Philibert Jambe-de-Fer, en 1556 : « Le violon est fort contraire à la viole (…). Nous appelons viole c'elles desquelles les gentils hommes marchantz et autres gens de vertuz passent leur temps. (…) L'autre s'appelle violon et c'est celuy duquel on use en dancerie communément et à bonne cause » ; ou encore Mersenne dans l'Harmonie universelle, en 1636, qui nous dit n'avoir « jamais rien ouï de plus ravissant on de plus puissant », et en 1680, Furetière, dans son dictionnaire, le désigne comme « Roy des instruments ».

   Luthier, A. Stradivarius, en perfectionne les dimensions, les vernis, mais la forme générale et les principes acoustiques de l'instrument ne changent guère.

Histoire de la lutherie

Le premier grand nom attaché à la lutherie du violon est celui de la famille des Tieffenbrucker, nom déformé par le français en « Duiffoprugcar », dont le plus célèbre représentant, Gaspard, s'établit à Lyon en 1553. Il ne reste de lui que de fort belles violes, mais point de violon. Peu après, deux écoles naissent presque simultanément en Italie : Brescia et Crémone. À Brescia, deux noms importants s'affirment : Gasparo Bertolotti, ou « Da Salo », et Paulo Maggini, dont les altos en particulier sont considérés comme les meilleurs. À Crémone se trouvent les plus illustres écoles de lutherie : celle d'un Andrea Amati, de ses fils et surtout petit-fils, Nicola, dont la production au XVIIIe siècle est aussi prisée que celle de Stradivarius. Cependant, la sonorité douce de ses violons les fait reculer au second plan lorsque les musiciens désirent des instruments plus sonores. Antonio Stradivarius (1644-1737) fut son élève : la lutherie atteint alors son apogée. Plusieurs périodes correspondent aux recherches du maître : des « longuets », vers 1690, il revient à un modèle plus court vers 1700. Il fixe les proportions définitives du violon, et, par la qualité de son vernis, le fini de son exécution, en fait le modèle encore inégalé aujourd'hui. D'autres noms illustres vont faire de l'Italie le centre international du violon aux XVIIe et XVIIIe siècles : les Guarnerii, les Ruggeri, les Gagliano, les Guadanini… Toutes les autres écoles, austro-allemande (Stainer et l'école de Mittenwald dans le Tyrol), française (Lambert, Renaudin, Vuillaume, puis l'école de Mirecourt) dépendent du modèle italien.

La facture

Dans sa structure générale, le violon apparaît comme un instrument relativement simple : une caisse de résonance, un manche, quatre cordes et quelques accessoires. Ce n'est cependant qu'une apparente simplicité, puisque le violon est un assemblage d'environ quatre-vingts pièces. Observons le détail et la fonction précise des plus importantes d'entre elles.

   La caisse de résonance se compose d'une table d'harmonie, voûtée, en sapin à fibres parallèles, percée par des ouïes (dont la place doit être exactement déterminée, car elles permettent, pense-t-on, une augmentation des vibrations de la table, donc une meilleure sonorité) ; d'un fond bombé en érable appelé à petites ondes (souvent en deux parties) ; et de parois latérales, les éclisses, d'environ trois centimètres de hauteur, reliant la table au fond. Les deux tables sont voûtées, car elles doivent résister à la pression des cordes. Au milieu de ces deux tables, une échancrure en forme de C est pratiquée pour le passage de l'archet sur les cordes extrêmes sol et mi. À cette étape du travail, le violon n'aurait qu'une faible sonorité si deux pièces primordiales n'étaient pas placées : la barre d'harmonie et l'âme. La barre d'harmonie, en sapin, est collée dans la longueur de la table d'harmonie (environ les deux tiers) non pas dans l'axe médian, mais décalée vers la gauche (sous le pied gauche du chevalet). Elle mesure environ un centimètre à sa plus grosse épaisseur et s'affine vers les extrémités. Elle a deux fonctions : empêcher l'affaissement de la voûte et renforcer la sonorité des notes graves de l'instrument. L'âme, petite pièce cylindrique en sapin d'environ cinq millimètres de diamètre, est mise sans être collée entre la table et le fond, à peu près sous le pied droit du chevalet. Les bouts sont taillés en biais pour s'adapter à la courbure de la table et du fond. Elle retient la table d'harmonie qui pourrait plier sous la pression des cordes et favorise la sonorité aiguë de l'instrument. Pour la finition et l'ornementation de la caisse de résonance, on incruste les filets, souvent en alisier, parfois en ébène, aux bords des deux tables. Cependant, certains luthiers s'accordent à leur donner une importance toute fonctionnelle : ils seraient alors un pourtour consolidant la table, limitant mieux le champ vibratoire. Le manche, en érable, d'une seule pièce, se termine par le chevillier maintenant les quatre chevilles sur lesquelles s'enroulent les cordes. Le chevillier est surmonté d'une volute sculptée d'une manière plus ou moins artistique selon les époques. Un sillet d'ébène sert de point d'appui aux quatre cordes entre le chevillier et la touche. Cette dernière, en ébène aussi, est collée sur le manche jusqu'à la caisse de résonance, puis évidée au-dessus de la table. Les cordes sont attachées à une extrémité aux chevilles, et, à l'autre, au cordier, pièce triangulaire en ébène, elle-même attachée à la caisse par l'intermédiaire d'un gros morceau de corde en boyau et d'un bouton enfoncé dans l'éclisse. Le chevalet, sculpté dans l'érable, mesure environ trois centimètres de hauteur, quatre millimètres d'épaisseur aux pieds et deux millimètres à sa partie supérieure. Il se place à égale distance des deux ouïes et dans leur axe médian, qui passe exactement à l'endroit où le luthier creuse deux petites encoches. Le chevalet doit rester perpendiculaire à la table, et joue un rôle important dans la sonorité de l'instrument, car il transmet les vibrations des cordes à la table d'harmonie. Si sa place est mauvaise, sa courbure mal calculée ou son calibre trop épais, la sonorité s'en ressent fortement.

   L'accord du violon se fait de quinte en quinte, donnant du grave à l'aigu : sol-ré-la (diapason) –mi. Les cordes sont en boyau de mouton, renforcé par un filetage depuis le XIXe siècle. Le mi, ou chanterelle, plus tendu donc plus fragile, se fait en métal depuis le début du siècle. Leur tension est d'environ trente kilogrammes ; elles exercent une pression d'environ 12 kilogrammes sur le chevalet.

   La dernière opération d'un luthier consiste à appliquer son vernis. Le public le croit souvent essentiel pour obtenir la meilleure qualité sonore possible. De là, la légende du mystérieux vernis de Crémone ! Il s'agit, en fait, d'une simple protection. Un mauvais vernis, certes, trop gras ou trop sec, peut influer sur la sonorité, car il s'infiltre dans les fibres du bois et empêche alors les vibrations. Mais un violon bien fait possède toute sa puissance à l'état « brut ». Les vernis sont en général composés d'alcool, d'huile de lin, d'essence de térébenthine ou de romarin, laissés à oxyder à l'air libre et teintés par du benjoin, du sandragon ou d'autres coloris.

   Pour achever l'instrument, une mentonnière est fixée sur le bord gauche du violon. Celle-ci permet à l'instrumentiste de tenir l'instrument plus commodément et de ne pas empêcher la table de vibrer au contact du menton. Pour la même raison pratique, les violonistes accrochent sur le fond un coussin pour obtenir une position plus confortable.

   L'archet se compose de deux éléments : la baguette et la mèche. La baguette est faite en bois de Pernambouc (Brésil)  ; cambrée à chaud, elle s'affine vers l'extrémité. Son poids peut aller de 60 à 68 grammes environ. La mèche, en crin de cheval, est attachée d'une part au talon, ou « hausse » ­ dans laquelle une vis permet une tension plus ou moins forte des crins ­ et d'autre part à la pointe. La collophane, simple résine, s'applique sur les crins pour qu'ils adhèrent aux cordes. Très longtemps, l'archet est resté convexe, sous la forme d'un arc. L'instrumentiste en réglait la mèche par la pression des doigts, ou par un système de crémaillère. L'archet évolue lorsque le violoniste ne se satisfait plus d'un matériel aussi peu maniable. Tourte, vers 1750, en fait un modèle parfait, incurvant la cambrure dans l'autre sens, et remplaçant la crémaillère par une vis.

   Le bois étant l'élément essentiel du violon, il paraît indispensable de rappeler l'origine et l'utilisation précises de ce matériau. Pour le luthier, le choix de ses bois et les traitements qu'il leur fait subir constituent la partie la plus importante de son travail. Il choisit pour la table, la barre et l'âme, un sapin dit « épicéa », plus sonore que les autres variétés. Pour remplir les meilleures conditions possibles, l'arbre doit pousser en terrain sec et rocailleux et ne pas être fendillé. Adulte, on le coupe à l'arrière-saison, juste avant les gelées. Du tronc, on débite des morceaux de 50 centimètres sans nœuds. Ensuite, sous forme de planchettes, on entrepose le futur violon dans un endroit aéré pour le laisser sécher cinq à quinze ans, ou plus. Aujourd'hui pour les fabriques industrielles, les nœuds sont soigneusement camouflés sous les vernis, et le séchage est effectué au four en quelques heures. Le luthier choisit ensuite pour les éclisses, le manche, la tête et le chevalet, l'érable, bois plus résistant et plus élastique que l'épicéa. Les meilleurs arbres viennent de Suisse. Ils subissent les mêmes traitements que les bois précédents. Les coins, les tasseaux et les contre-éclisses (à l'intérieur de la caisse) sont en aulne, les chevilles en buis ou en cormier. Le luthier, ensuite, découpe, dégrossit, aplanit, met en voûte à la main avec l'aide de ciseaux, de rabots, de papiers de verre. Lui seul sait arrêter la gouge à l'épaisseur voulue. Selon la régularité de la table et du fond, un violon peut avoir des sons étouffés ou peut tout simplement casser sous la pression du chevalet. Si l'on attache tant d'importance au matériau lui-même, c'est qu'il joue un rôle prépondérant dans la sonorité.

   Les principes acoustiques du violon sont trop complexes pour que l'on en fasse le détail ici. Voici en quelques mots comment le son évolue : lorsque l'archet frotte la corde, la vibration est transmise au sommet du chevalet, puis dans les deux pieds. C'est ici que l'élasticité du bois joue son rôle : le pied communique par une légère pression la vibration à la table, puis à la barre et à l'âme, qui, elles-mêmes, répercutent cette vibration aux éclisses, puis au fond. On voit donc que cette simple caisse de bois, véritable terrain mouvant, est susceptible de faire circuler et d'amplifier les vibrations. Chaque pièce de l'instrument a son importance et son rôle à jouer.