Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
B

Brahms (Johannes)

  • Johannes Brahms, Requiem allemand, op. 45 : « Wie Liebling sind deine Wohnungen
  • Johannes Brahms, Quatuor à cordes n° 3 en si bémol majeur, op. 67 (1ermouvement, vivace)
  • Johannes Brahms, Klavierstück n° 6, op. 76 : Intermezzo
  • Johannes Brahms, Symphonie n° 1 en ut mineur, op. 68 (1ermouvement, allegro)

Compositeur allemand (Hambourg 1833 – Vienne 1897).

L'histoire de Johannes Brahms, c'est d'abord celle de son père. Johann Jakob Brahms, né en Basse-Saxe en 1806, reçut sa formation de contrebassiste (et, accessoirement, de flûtiste et de violoniste) dans une Stadtpfeiferei (orchestre municipal), institution typiquement allemande dont l'origine remontait au Moyen Âge : les membres de cette confrérie jouaient surtout des instruments à vent et se tenaient à la disposition de quiconque avait besoin de musiciens pour un bal, une cérémonie ou une fête publique ou privée. Dès qu'il eut son diplôme en poche, le jeune homme prit la route comme le voulait la tradition. La première étape de ce voyage à travers l'Allemagne fut aussi la dernière. Ayant facilement trouvé à s'employer à Hambourg, il s'y fixa pour toujours. En 1830, âgé de 24 ans, il épousa sa logeuse, Christiana Nissen, qui avait 41 ans et n'était guère plus riche que lui, mais joignait à une certaine culture toutes les vertus domestiques. De cette union naquirent trois enfants, dont Johannes en 1833.

Un enfant prodige

La gêne financière qui pesa longtemps sur la famille (Johann Jakob avait depuis longtemps élevé ses enfants quand il trouva enfin une situation stable de contrebassiste à l'orchestre philharmonique) explique en grande partie les débuts de Johannes. Si précocement doué qu'il imagina un système de notation musicale avant de savoir qu'il en existait déjà un, l'enfant n'avait qu'un défaut aux yeux de son père : sa passion de la composition et du piano. Malgré ses préventions contre cet « instrument de riche » (d'ailleurs absent du minuscule logis familial) qu'il jugeait peu rentable, Johann Jakob fit donner des leçons au jeune garçon par un maître très estimé, Otto Cossel, lui-même disciple d'Édouard Marxsen, dont la réputation était grande dans toute l'Allemagne du Nord. À 10 ans, Johannes donnait en privé son premier récital, qui lui valut d'être adopté par l'illustre Marxsen en personne. Et celui-ci devait lui enseigner beaucoup plus que l'art de jouer du piano. Compositeur sans génie, mais technicien de premier ordre, il forma son élève dans le culte de Bach, de Mozart et de Beethoven.

   Parallèlement à ces études classiques, le jeune Brahms, tenu de contribuer au maigre budget familial, se livra bientôt à des travaux pratiques qui absorbèrent la plus grande partie de son temps. Entre 12 et 20 ans, il enseigna, accompagna des chanteurs ou des spectacles de marionnettes au théâtre municipal, publia sous divers pseudonymes quantité de morceaux de danse et de fantaisies sur des airs à la mode, donna quelques concerts, joua de l'orgue à l'église et, le soir, tint le piano dans des tavernes à matelots. C'est même dans ces lieux malfamés que l'adolescent assouvit une autre de ses passions, celle de la lecture : tout en « tapant » des valses et des polkas, il ne quittait pas des yeux un livre ouvert sur le piano. Puis il rentrait chez lui par le chemin des écoliers et se couchait à trois heures du matin, la tête pleine de musique qu'il notait à son réveil, quitte à la détruire ensuite. Très perfectionniste, il ne devait rien conserver de cette production de jeunesse qui comprend notamment d'innombrables lieder inspirés par ses lectures. Ce goût des livres et des longues promenades à pied n'allait jamais le quitter. Une nuit, s'étant trop éloigné de la ville et ayant pris le parti de dormir à la belle étoile, il contracta une angine. Survenant en pleine mue, cet accident l'affligea pour longtemps d'une « voix de fille » qui, vraisemblablement, ne surprenait guère chez ce garçon fluet, aux longs cheveux blonds. Il en paraissait simplement encore plus jeune qu'il n'était.

Des rencontres décisives

En 1849, Brahms avait fait la connaissance d'un violoniste hongrois, Eduard Reményi, ancien condisciple du déjà illustre Joseph Joachim. Ce spécialiste de la musique tzigane, qui apportait beaucoup de fantaisie à son interprétation des classiques, reparut à Hambourg en 1853 et décida Brahms, son cadet de trois ans, à l'accompagner en tournée. Cette tournée, d'ailleurs fructueuse, aboutit à Hanovre où Joachim exerçait les fonctions de Kapellmeister de la Cour. Joachim, qui ne tenait pas son compatriote en très haute estime, fut, en revanche, conquis par la personnalité et le talent de Brahms ; leur rencontre fut le point de départ d'une amitié et d'une collaboration qui allaient durer toute leur vie. Précédés d'une lettre de recommandation de Joachim pour Liszt, Brahms et Reményi se rendirent ensuite à Weimar. Il ne semble pas que le jeune pianiste ait été séduit par l'ambiance mondaine qui régnait à l'Altenburg, où son glorieux aîné faisait l'objet d'un véritable culte. Plus tard, considéré à son corps défendant comme le chef de file des adversaires de la « musique de l'avenir », Brahms devait rendre justice à Franz Liszt et à Richard Wagner. À cette époque, l'élève de Marxsen était, à l'image de son maître, rebelle à toute innovation ; même Robert Schumann le laissait indifférent.

   Aussi quitta-t-il l'Altenburg sans regret, seul, Reményi ayant préféré s'attacher aux pas de Liszt. Muni par Joachim de nombreuses lettres qui lui garantissaient l'hospitalité chaleureuse des musiciens rhénans, il descendit à pied la vallée légendaire, s'attardant à Mayence, Bonn et surtout Mehlem, où un riche banquier mélomane, Deichmann, avait sa résidence d'été. Ce fut à Mehlem qu'il commença à apprécier la musique de Schumann, se préparant ainsi à la fameuse rencontre de Düsseldorf, le 30 septembre 1853. Dès le premier contact, les deux hommes sympathisèrent. Brahms, qui s'était mis au piano, joua sa sonate en ut majeur op. 1. Schumann l'interrompit à la fin du premier mouvement, appela sa femme Clara et pria son jeune confrère de recommencer. Clara Schumann, la première femme au monde ­ et longtemps la seule ­ à avoir fait profession de virtuose du clavier, fut à son tour conquise. Brahms, retenu à dîner, entra d'emblée dans l'intimité de la famille Schumann. Lui qui n'avait prévu qu'une brève halte à Düsseldorf y resta un mois, bientôt rejoint par Joachim. Avant le départ de Brahms, le 3 novembre 1853, Schumann décida en secret d'offrir un cadeau à Joachim, et c'est Brahms qui composa le scherzo de la sonate dite F-A-E (Frei aber einsam, la maxime de Joachim). À Brahms Schumann réserva une autre surprise de taille : un article dithyrambique dans l'influente Neue Zeitschrift für Musik, qu'il avait fondée vingt ans plus tôt à Leipzig. Après dix ans de silence, le maître reprit la plume pour annoncer au monde musical allemand, d'autant plus stupéfait que les héros du jour étaient Liszt et Wagner, sa découverte d'un « nouveau messie de l'art ». C'est aussi grâce à Schumann que Breitkopf et Härtel édita quelques-unes de ses premières compositions.

   Le jeune Brahms fut plus intimidé qu'encouragé par la gloire soudaine que lui valut cet article retentissant. Il ne lui échappa pas que les louanges de Schumann, exprimées en des termes qui ne ménageaient pas les susceptibilités du camp adverse, allaient l'exposer à de sévères critiques. De retour à Hanovre, il mit aussi peu d'empressement à publier ses quatre premiers opus qu'à faire le voyage à Leipzig, « cerveau » de l'Allemagne musicale, où Schumann et Joachim le pressaient de se rendre. La cité saxonne lui réserva pourtant un accueil chaleureux ; il y rencontra son premier admirateur français ­ Hector Berlioz ­ et, de nouveau, Liszt, qui lui faisait toujours bonne figure. La fin de cette année triomphale le trouva dans sa ville natale, où il passa les fêtes en famille. Puis, il regagna Hanovre avec l'intention de s'y installer pour quelque temps, mais, le 20 janvier 1854, Robert et Clara Schumann y arrivèrent à leur tour pour entendre l'oratorio de Schumann, le Paradis et la Péri, en présence du roi George V. Schumann, dont l'équilibre nerveux laissait à désirer depuis plusieurs années, n'avait jamais paru plus heureux de vivre. Mais, dès son retour à Düsseldorf, il allait se jeter dans le Rhin. Brahms vola à son secours : Schumann se trouvait dans une clinique de Bonn, d'où il ne devait plus sortir. Pendant les deux années de son agonie, Brahms ne quitta guère Düsseldorf, consacrant la plus grande partie de son temps à la famille nombreuse de son ami : six enfants, puis, le 11 juin 1854, un petit Félix dont il fut le parrain.

   Cette situation avait naturellement favorisé entre Johannes et Clara une amitié propice à l'épanouissement d'un amour réciproque, qui ressemblait fort à l'idylle de Werther et Charlotte, au point que Brahms songea au suicide. Sans doute se faisait-il une trop haute idée de ses devoirs envers l'absent, et de l'amour en général, pour succomber jamais à la tentation. Notons aussi que la fréquentation des dames de petite vertu aidait Brahms à garder son équilibre. Par la suite, il devait lui arriver plus d'une fois d'aimer et d'être aimé, d'être tenté par le mariage et cette vie de famille qui avait pour lui tant d'attraits. Il rompit toujours au dernier moment, sous divers prétextes, non sans déchirement, redoutant en fait de perdre l'indépendance qu'il jugeait indispensable à lui-même et à l'accomplissement de son œuvre. Mais la tendre amitié qui le liait à Clara Schumann, son aînée de quatorze ans, dura toute leur vie ; Brahms l'accompagna dans ses tournées, et l'on ne saurait sous-estimer la part que prit la grande pianiste à la diffusion de sa musique.