Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
Q

quatuor à cordes (suite)

Schubert

La numérotation couramment adoptée des quatuors de Schubert concerne quinze ouvrages et correspond, sauf pour le no 10 (D.87), à l'ordre chronologique de composition. Sur ces quinze quatuors, treize sont en quatre mouvements. Inachevés, les quatuors no 5 (D.68) et no 12 (D.703) ne comportent, respectivement, que deux et un seul mouvement. À cette série « officielle », il faut ajouter diverses esquisses ou fragments tels que D.998 en fa majeur, D.87A en ut majeur, retrouvé par Christa Landon, les trois mouvements de D.3 (repris, pour deux d'entre eux, dans le quatuor no 2 D.32). Pour être relativement complet, il faut aussi inclure des œuvres perdues comme les quatuors D.19, D.19A, D.40 et l'ouverture en si bémol D.20 pour quatuor à cordes. Ce bref inventaire d'une bonne vingtaine de partitions n'a d'autre but que de souligner l'intérêt soutenu porté par Schubert à un genre qu'il allait fortement marquer de son empreinte personnelle et mener sur des chemins très différents de ceux qu'avait choisis Beethoven.

   À vrai dire, ce fut aux premiers quatuors de ce dernier et, surtout, aux chefs-d'œuvre de Mozart et de Haydn qu'il se référa ­ et cela, pendant plusieurs années ­ pour l'élaboration de ses propres quatuors. Ceux-ci, qu'il écrivit à partir de 1810-11 (pour peu que l'on considère bien le majeur D.18 comme le véritable premier), étaient généralement exécutés en famille avec Franz à l'alto, ses frères Ferdinand et Ignaz au premier et au second violon, son père au violoncelle. De ces pages juvéniles, nombreux sont les passages qui mériteraient d'être mis en exergue… La sombre introduction lente sur motif chromatique descendant du quatuor no 4 (D.46) par exemple… Ou encore le bref et vigoureux Menuetto du no 7 en majeur (D.94) [manifestement tiré, sauf coïncidence extraordinaire, de la symphonie no 56 de Haydn !], le pathétique Andante sostenuto en sol mineur du no 8 (D.112), le finale très « haydnien » du no 9 D.173, l'Allegro vivace conclusif du no 11 D.353, dont le thème paraît avoir été emprunté au dernier mouvement de la symphonie no 39 K.543 de Mozart…

   Ce « onzième » quatuor en mi majeur par lequel s'achève, en quelque sorte, la série des « quatuors de jeunesse » doit dater de 1816 (on n'en est pas absolument sûr), ce qui le rend contemporain des trois sonatines pour piano et violon, des symphonies nos 4 et 5, et de nombreux lieder. Jusqu'en 1820, Schubert n'écrivit plus pour deux violons, alto et violoncelle. En décembre de cette année-là, parallèlement à la composition de l'admirable Chant des esprits au-dessus des eaux, il s'essaya à un nouveau quatuor en ut mineur (D.703) qui, à l'instar de celui d'avril 1814 (D.103), allait être abandonné en cours de route. Mais le seul mouvement complet qui nous soit parvenu (l'Allegro assai à 6/8 dit quartettsatz) est, avec ses sinistres trémolos d'accompagnement, ses tragiques véhémences et ses oppositions de tonalités (ut mineur, la bémol majeur, sol majeur), d'une telle intensité dramatique qu'on sent immédiatement qu'avec lui le quatuor schubertien vient de franchir l'étape ultime des chefs-d'œuvre hautement personnels.

   Composé en février et mars 1824, juste après le très séduisant mais beaucoup moins profond octuor en fa majeur D.803, le quatuor en la mineur D.804 (no 13 de la liste « officielle ») fut donné en première audition, dès le 14 mars, par la formation d'Ignaz Schuppanzigh qui avait créé la plupart des quatuors de Beethoven. Ce quatuor, le seul de Schubert publié du vivant de l'auteur, est une sorte d'immense « lied instrumental » et évolue dans un climat de résignation douloureuse qui le situe aux antipodes des conceptions beethovéniennes. Et cela, aussi bien dans son Allegro ma non troppo où la douceur domine, que dans son Andante basé sur un thème de Rosamunde (entracte après le troisième acte) et que dans son Menuetto sobrement poignant qu'inaugure la sombre et presque menaçante interrogation du violoncelle.

   Cette volonté de « clair-obscur », de « demi-teinte » qui se manifeste dans tout le quatuor en la mineur (y compris dans l'Allegro moderato en la majeur faussement optimiste), nous ne la retrouvons absolument pas dans les deux quatuors suivants, les derniers de Schubert.

   De mars 1824 également, mais joué pour la première fois deux ans plus tard (1er février 1826) chez le chanteur Joseph Barth, le quatuor en mineur D.810 est tout entier dominé par l'idée de la mort, dont, sans emphase ni subjectivisme outrancier, il analyse la révoltante fatalité. C'est le fameux quatuor la Jeune Fille et la Mort qui reprend, pour les variations de son second mouvement (Andante con moto en sol mineur), l'introduction et la conclusion du lied de ce nom. Avec l'Adagio en mi mineur du quintette à deux violoncelles (1828-D.959), son mouvement lent constitue l'une des méditations les plus désespérément tragiques qui aient jamais été conçues dans le domaine de la musique de chambre. Seul Schubert pouvait écrire des pages aussi totalement en marge des courants dominants imposés par les chefs-d'œuvre d'un Haydn et d'un Beethoven…

   On a quelque peine à imaginer que l'immense et complexe quatuor en sol majeur D.887 ait pu être rédigé en moins de deux semaines (du 20 au 30 juin 1826) ! Cette fois-ci, c'est à une œuvre d'une puissance quasi orchestrale que nous avons affaire (notons, en particulier, les trémolos de doubles croches ou de croches qui « saturent » véritablement les trois premiers mouvements) et qui, dans un jeu permanent mais très sérieux d'ombre et de lumière, associe et juxtapose les véhémences les plus sauvages aux effusions les plus élégiaques. D'où, par exemple, la tendre mélodie de violoncelle par laquelle débute l'Andante un poco moto, et la violence qui se déchaîne après une quarantaine de mesures… D'où, également, le contraste extraordinaire entre un scherzo rageusement incisif (Allegro vivace) et un trio enchanteur (Allegretto) qui, momentanément, chasse les ténèbres maléfiques.

Le quatuor après Schubert

Pour les compositeurs du XIXe siècle, le genre du quatuor à cordes a été fortement marqué par Beethoven, comme celui-ci avait aussi marqué la symphonie. Cependant, alors que toute symphonie ne pouvait qu'être post-beethovénienne et tenir compte du gigantesque travail d'expansion et d'affirmation du genre, le quatuor à cordes, lui, à quelque excès de recherches et à quelque distension de la forme et de l'expression que l'ait conduit le maître de Bonn, demeurera une forme accessible, qui ne suppose pas qu'on plane constamment dans les hauteurs. Pour preuve, Franz Schubert, qui avait mis du temps à trouver « son » expression, son ton propre dans la symphonie, mais qui s'était affronté au quatuor de plain-pied, de façon plus libre et dégagée.

   L'évolution du genre est marquée, par ailleurs, par tout le contexte de la musique symphonique du XIXe siècle : à mesure que l'orchestre d'un côté, le piano de l'autre, c'est-à-dire les deux moyens d'expressions favoris du romantisme, voient s'élargir leur palette, s'enrichir leurs registres et leurs couleurs, le quatuor à cordes, lui, jusqu'à la fin du XIXe siècle, fonctionne sur les mêmes possibilités de jeu que le quatuor haydnien ou mozartien. Il devient peu à peu une forme sévère, intime, dépositaire d'une certaine tradition de « musique pure », puisqu'on n'y trouve plus les mêmes séductions sonores que dans le piano ou l'orchestre. En même temps, il se prête à la confidence, à l'autobiographie, chez quelques auteurs comme Smetana ou Janáček.

   Un certain nombre de compositeurs du XIXe siècle, en « reconduisant » tel quel le quatuor, contribuent donc à en faire cette forme traditionnelle et réservée à la musique pure : ainsi Mendelssohn, avec ses six quatuors à cordes (op. 12, en mi bémol majeur, op. 44 no 1 en majeur, no 2 en mi mineur, no 3 en mi bémol majeur, op. 80 en fa majeur, op. 81 en mi majeur). De même pour Robert Schumann, dont les trois quatuors à cordes (op. 41 no 1 en la mineur, no 2 en ut majeur, no 3 en la majeur) furent composés en 1842, mais n'ont pas atteint le même degré d'évidence et de popularité que les grands quatuors schubertiens, malgré leurs recherches pour renouveler le genre. Le Quatuor avec piano, en mi bémol, op. 47, atteste l'aisance de Schumann à faire de son instrument, le piano, le « primus inter pares » de la musique de chambre (voir le Quintette en mi bémol op. 44). Les quatuors de Johannes Brahms se répartissent en trois quatuors à cordes (op. 51 no 1 en do mineur, no 2 en la mineur ­ tous deux publiés en 1873 ­ et op. 67 en si bémol majeur) et trois quatuors avec piano (op. 25 en sol mineur, op. 26 en la majeur, op. 60 en do mineur ­ ce dernier achevé en 1874 et inspiré par l'histoire tragique de Werther, on dit aussi par l'attachement de l'auteur à Clara Schumann).

   Parmi les quatuors de la fin du XIXe siècle, on citera les six quatuors de Max Reger (dont l'opus 74 en mineur, et l'opus 121 en fa dièse mineur), de Grieg (en fa majeur, inachevé) et de… Giuseppe Verdi, pièce à part dans la production de son auteur, composée en 1873 pour occuper un « moment creux » de son activité, et qui est sa seule pièce conservée de musique de chambre.

   Il peut paraître exagéré et artificiel de parler d'une « école d'Europe centrale » pour le quatuor : il reste que les Quatuors de Dvořák, Smetana, plus tard de Janáček ou de Bartók, ont en commun un enracinement dans la tradition violonistique de ces pays ; cette nouvelle jeunesse, cette nouvelle identité, cette bouffée d'air frais dans l'écriture pour archet, ce sens de la sonorité âpre et fraîche sont apportés par le violon populaire, lequel se trouvait déjà ici et là dans certains moments « tziganisants » des quatuors de Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert. C'est peut-être pourquoi, par rapport à ces fleurs de serre que sont plus ou moins les quatuors allemands post-schubertiens, les quatuors à cordes d'Anton Dvořák (neuf quatuors à cordes dont l'opus 34 en mineur, l'opus 51 en mi bémol majeur, l'opus 61 en do majeur, l'opus 80 en mi majeur, l'opus 96 en fa majeur, surnommé Quatuor américain, l'opus 105 en la bémol majeur, l'opus 106 en sol majeur), de Bedřich Smetana (deux quatuors dont l'un, autobiographique, sous-titré Ma vie), du Russe Borodine (deux quatuors), ont une sève populaire, un allant que revigore le genre, mais aussi qui prolonge le sens schubertien du vagabondage. Quant aux deux quatuors à cordes de Leoš Janáček (dont le second, Lettres intimes, publié en 1928, est une déclaration d'amour à une jeune femme), leur totale liberté de forme et de pensée nous emmène loin des conventions d'austérité du genre. Il est vrai que Beethoven lui-même avait déjà donné l'exemple du quatuor autobiographique, comme confession pour quatre archets, avec des moments comme le Chant de reconnaissance en mode lydien du Quinzième Quatuor en la mineur op. 132.

   À l'opposé de cette direction « slave », où le quatuor est un genre à la fois léger et familier, parfois tragique, mais toujours aéré, le quatuor français de la fin du XIXe siècle et du début du XXe est souvent une œuvre de haute intimité, méditée, serrée, sur laquelle pèse le poids de toute une tradition d'écriture : nulle inspiration populaire directement puisée dans le terroir (les violoneux français n'inspirent guère nos compositeurs), mais beaucoup de raffinement et de distinction, des coups de chapeau à Beethoven dans son inspiration la plus sévère, des exercices de composition très travaillés dont la spontanéité n'est pas la qualité première, mais qui sont souvent de la très belle musique.

   Le Quatuor à cordes de César Franck est une œuvre de vieillesse : l'auteur s'y est repris à trois fois pour échafauder cette pièce, achevée en 1889, qui prend en compte les grands monuments beethovéniens (que l'on se mettait à découvrir ­ voir Proust ­ et autour desquels se développait un véritable culte) et qui cherche plus ou moins à en atteindre les hauteurs. On y retrouve également dans la fugue, par exemple, des références à Bach. Il comprend quatre mouvements : allegro, scherzo, larghetto, allegro molto, organisés autour d'un thème générateur, et, par la fermeté de sa composition très élaborée, il valut à l'auteur, à sa création, un bel accueil.

   Le Quatuor à cordes de Claude Debussy ­ lui aussi quatuor unique amoureusement ciselé ­ fut écrit et créé en 1893. Obéissant au plan traditionnel, il comporte quatre mouvements : animé et très décidé (correspondant à l'allégro traditionnel), assez vif et bien rythmé (écrit comme un scherzo), andantino, doucement expressif, et enfin, après une introduction, le final, très mouvementé et avec passion. Il est amusant de relever que des critiques à l'époque trouvèrent ce quatuor « barbare, informe et truculent », alors qu'on en voit maintenant beaucoup mieux la fermeté de construction, et beaucoup moins la « truculence ».

   Ce quatuor est resté une des œuvres les plus célèbres et les plus jouées de Debussy, tout en restant à part dans sa production : certains la trouveraient aujourd'hui plutôt sage et classique. Il est vrai que son « travail thématique », très appuyé, et sa conception cyclique le rapprochent de César Franck, et des conceptions formelles de la Schola, ici poussées jusqu'au bout, comme si Debussy avait voulu se prouver qu'il était capable, s'il le voulait, de tenir une forme toute entière dans une construction architecturée très visible. Le fameux thème cyclique, dynamique et affirmatif, énoncé dès la première mesure, apparaît très visible dans le second mouvement, plus déguisé et lointain dans le troisième, et enfin reparaît en fanfare dans le finale. Le second mouvement, ainsi, se contente de reprendre textuellement ce thème, d'en changer le rythme, de l'accélérer, et de « mettre en boucle » sa première mesure, comme thème de ronde, en y ajoutant une inflexion chromatique. Dans l'andantino, le gruppetto caractéristique de trois notes liées en rappelle la présence ; enfin l'introduction du quatrième mouvement réalise un véritable traitement beethovénien de ce thème, déformé chromatiquement, avec des marches harmoniques systématiques, et l'animé lui ménage une rentrée triomphale, en prenant pour premier thème une formule nerveuse et volontaire qui se trouvera ensuite utilisée comme prolongement, comme étendard dressé au-dessus du thème cyclique élargi. La dernière forme sous laquelle il apparaît le réduit à son essence, qui est un pur mouvement, très appuyé, de seconde majeure descendante (dont la variante est une seconde mineure descendante), la deuxième note étant fortement accentuée et prolongée. Si cette pièce est quasi beethovénienne et franckiste par la tension et le volontarisme affichés de sa forme (avec toute une dramaturgie de tension, d'opposition, née de la forme sonate, des rentrées, des combats de thèmes, et du « travail » sur les motifs pour en extraire la quintessence), en revanche, son harmonie, pleine, confortable, sensuelle, sonnant toujours bien, est proprement debussyste.

   Cette plénitude est renforcée par la façon dont Debussy écrit pour le quatuor à cordes. Il le traite souvent comme un orchestre à cordes en réduction (cf. le tout début, tout à fait homorythmique et global), contrairement à un Bartók, par exemple, dont les quatuors sont conçus pour quatre instruments utilisés comme tels. On pourrait d'ailleurs transcrire facilement pour orchestre à cordes le quatuor de Debussy. Aucun des instruments n'y est très longtemps particularisé, même dans les rares solos que comporte l'œuvre (alto au début du second et du troisième mouvement ; violoncelle au début du quatrième). Le Quatuor de Debussy oppose et compose plus des lignes, des parties, des pupitres, que des individus. Le premier violon, ou l'alto, ne sont pas « personnalisés » comme tels. Cela peut étonner, chez un compositeur comme lui, qui passe pour un maître du timbre instrumental dans sa spécificité. Debussy évite ici ce qu'ont souvent tenté Bartók et même Beethoven : pousser l'instrument soliste à bout, dans ses limites (suraiguës, notamment), là où il est proche du cri et du vide, rendu à sa solitude. Or, il n'est que de jeter un coup d'œil sur la partition du Quatuor pour voir que Debussy fait jouer très souvent les quatre instruments tous ensemble, comme un même corps (particulièrement dans le premier mouvement, où par exemple le premier violon et le violoncelle, les deux extrêmes, jouent quasiment sans interruption). C'est une œuvre qui a horreur du vide et de la sonorité creuse, avec sa pâte harmonique tout à fait pleine et chaude. De là vient peut-être que ce quatuor de Debussy est un des quatuors, sinon le quatuor moderne le plus populaire ­ d'autant que Debussy n'y a pas laissé affleurer ses thèmes les plus secrets, son inspiration morbide, et ne s'est pas exposé comme il l'a fait ailleurs.

   À l'opposé, le Quatuor de Ravel, qui passe pour une œuvre charmante, s'expose plus dans sa surface, est plus inquiet, moins confortable. Ce Quatuor en « fa », autre œuvre de jeunesse (il fut achevé en 1902), ne fut pas jugé assez probant par l'Institut pour permettre à Ravel de concourir à nouveau pour le prix de Rome. Et pourtant l'œuvre avait été longuement travaillée par son auteur. Comme beaucoup de quatuors, sonates ou symphonies de l'époque, elle utilise des motifs cycliques. Cependant, elle n'a pas le côté « assis » et compact que conserve même le Quatuor de Debussy ; la substance en est plus agile, plus arachnéenne ; et le travail du quatuor à cordes comme « matière » y est plus poussé, plus évident, plus caractérisé que chez ses contemporains. Cette matière du quatuor est ramassée, variée dans sa texture, éparpillée, divisée, animée par des frémissements et des ondulations. Le thème qui ouvre le premier mouvement, comparé au thème inaugural de Debussy, manifeste la différence : plus diaphane, plus ondoyant. La tension thématique est moins sensible, mais les ruptures de rythme plus constantes ; le registre moyen de l'œuvre est plus déporté vers l'aigu, un aigu un peu écorché, suspendu. Ainsi, même dans la séduction et la légèreté, l'œuvre est plus chargée d'angoisse, par la simple façon dont elle accuse de subites variations de régime, et dont elle traduit des états du corps instables et inconfortables.

   Ce quatuor de Ravel compte quatre mouvements : un allegro de forme sonate, un assez vif à variations, un très lent, dont la mélodie distendue, relancée par des soubresauts, des griffures, est déjà caractéristique du Ravel des grandes œuvres futures, et enfin un vif très brillant.

   Gabriel Fauré, d'une génération plus ancienne, n'écrivit lui aussi qu'un Quatuor à cordes en mi mineur, œuvre de vieillesse (comme celui de Franck), achevée en 1924, année de la mort du compositeur, qui en confia la finition à Roger Ducasse. Il avait composé deux quatuors avec piano, le premier en ut mineur, en 1879, et le second en sol mineur, en 1887.

   Dans cette école du quatuor français, on peut encore citer, en remontant en arrière, le quatuor à cordes de Charles Gounod, celui d'Albéric Magnard, les deux quatuors de Saint-Saëns, les trois de Vincent d'Indy, le Quatuor de Chausson avec piano ; plus récemment, l'unique Quatuor à cordes d'Albert Roussel, op. 42, en quatre mouvements, écrit en 1935 ; celui de Florent Schmitt, op. 112, composé en 1947, en quatre mouvements, Rêve, Jeu, In memoriam, Élan (très difficile, il demanda une longue mise au point au quatuor Calvet, qui le créa) ; le quatuor de jeunesse d'André Jolivet, en trois mouvements (volontaire, allant, vif), écrit en 1934 ; les deux premiers quatuors d'Henri Sauguet, premier Quatuor en majeur, 1941, et second Quatuor en quatre mouvements, 1948 (œuvre autobiographique comme celle de Smetana, mais qui fut écrite à la mémoire de la mère du compositeur, dont elle évoque la figure à travers un andantino capricioso, un lento molto espressivo, un tempo di valse, et un andante espressivo évoquant les derniers moments ; ce fut encore le Quatuor Calvet qui la créa) ; les trois quatuors à cordes d'Arthur Honegger, œuvres assez abstraites et contrapuntiques : un premier en 1919, marqué par l'atonalisme allemand, et auquel Honegger était très attaché, comme on peut l'être à une œuvre de jeunesse pleine d'audace qu'il avait dédiée à Florent Schmitt ; puis un deuxième quatuor commandé par la Biennale de Venise, écrit en 1934-1936, également en trois mouvements, comme le sera le troisième et dernier, composé en 1936-37, à la demande d'une mécène, Mrs. Sprague-Coolidge ; les trois quatuors de Charles Kœchlin ; le Quatuor de Jacques Ibert ; les trois de Georges Migot ; ceux de Daniel-Lesur (1941), de Louis Durey (deux quatuors à cordes), de Germaine Tailleferre, Guy Ropartz (cinq quatuors, dont le dernier, 1939-40, sous-titré Quasi una fantasìa), de Robert Bernard, Suzanne Demarquez, Henri Martelli, Georges Dandelot, Jean Françaix, etc. L'abondant Darius Milhaud fit exception, avec sa fluviale production de dix-huit quatuors, dont le Cinquième, très polyphonique, fut dédié à Schönberg, et dont les Quatorzième et Quinzième ont été écrits pour être exécutés indépendamment l'un de l'autre, mais aussi pour être joués ensemble, formant par superposition un très volubile octuor.

   En Europe, dans d'autres contextes musicaux, le quatuor se trouve illustré au début du siècle par Jean Sibelius (quatuor Voces intimae, 1909), Alois Hába (seize quatuors dont beaucoup en micro-intervalles), Ernest Bloch (cinq quatuors), Gian Francesco Malipiero (huit), Paul Hindemith (sept), Dimitri Chostakovitch (quinze), tandis que le prolifique Heitor Villa-Lobos composait dix quatuors à cordes, et que Prokofiev n'en tentait que deux : le premier, op. 50, en 1930 (sur la commande de la Library of Congress de Washington) et le second, op. 92 en fa majeur, sur proposition officielle, en 1941, pour célébrer la culture populaire des « Bakar-Kabardines », une province de l'Union soviétique. « Il me semblait, devait écrire l'auteur, que la conjonction du folklore oriental original, totalement neuf, et de la plus classique des formes classiques qu'est le quatuor à cordes, pouvait donner des résultats intéressants et inattendus. »