Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
J

Jommelli (Niccolò)

Compositeur italien (Aversa 1714 – Naples 1774).

Élève de Francesco Feo à Naples, il y débuta comme auteur d'opéra bouffe en 1737, et, trois ans plus tard, à Rome, donna son premier opera seria (Ricinero, re de'Gotti, d'après Zeno), qui révéla sa véritable voie. En 1741, il prenait contact à Bologne avec le grand pédagogue G. Martini, y fut élu « académicien », puis, grâce à l'appui de Adolf Hasse, se fixa à Venise, où il dirigea le conservatoire des Incurables. Dès 1747, il était en poste à Rome et l'écho de ses triomphes le fit appeler à la cour de Vienne, où il connut Métastase. Nommé maître de chapelle du duc de Wurtemberg, il se fixa à Stuttgart (1753-1769) : c'est là qu'il composa ses œuvres maîtresses et eut de fréquents échanges avec l'opéra français ainsi qu'avec l'orchestre de Mannheim. De retour à Naples, il y retrouva, en 1770, le jeune Mozart qu'il avait déjà apprécié en 1763, mais il se heurta à l'incompréhension de ses compatriotes, peu disposés à accueillir son style nouveau. Il se tourna alors plus fréquemment vers la musique sacrée et fit exécuter son Miserere en 1774, peu avant sa disparition.

   Jommelli fut le premier compositeur italien qui sentit la nécessité de donner à l'opera seria une meilleure authenticité dramatique ; dès 1741, avec Semiramide, il osa confier la partie mélodique à l'orchestre, aux dépens du chant, audace qu'il développa dans Demofoonte (1743) et dans Achille a Siros (Vienne, 1749), faisant dialoguer la voix avec l'instrument soliste, selon la fonction psychologique des timbres instrumentaux. Ses contacts avec l'Allemagne et avec la France, l'influence de Hasse d'une part, celle de Rameau de l'autre développèrent encore chez lui, outre un intérêt grandissant pour le chœur et le ballet, son désir de donner à l'orchestre une part de plus en plus active, dans le récitatif, dans l'accompagnement ou la conclusion des airs, et même jusque dans l'inclusion d'intermèdes symphonique ; enfin, les structures vocales perdirent leur rigidité formelle, l'aria da capo faisant souvent place à la cavatine expressive, cependant que son écriture harmonique s'enrichissait, procédés dont Mozart sut faire son profit, et que l'on note dans l'Olympiade (1761), Vologeso (1766) et surtout dans Fetonte (version de 1768). Ayant cherché à appronfondir et non à réformer l'opéra seria, toujours selon l'éthique de Métastase (qui lui recommanda pourtant de ne pas négliger la voix au profit de l'accompagnement). Jommelli fut néanmoins le père de la réforme de l'opera seria, avant Algarotti, et longtemps avant Calzabigi et Gluck. Sa musique religieuse apparaît d'un style très nouveau, comme en témoigne son Requiem, écrit durant son séjour vénitien, annonciateur du style galant, et que Mozart connut sans doute. Outre les opéras déjà cités, mentionnons encore Ezio (1741), Didone abbandonata (1747, rév. 1749 et 1763), l'Ifigenia (1751) et Armide abbandonata (1770). Ses ouvertures d'opéra influencèrent les œuvres instrumentales des musiciens de Mannheim. Le « crescendo orchestral » de Stamitz, écrivit Burney, fut « stimulé par les productions de Jommelli ».

Jongen

Famille de compositeurs belges.

 
Joseph (Liège 1873 – Sart-lez-Spa, près de Liège, 1953). Il étudia au conservatoire de Liège, y fut professeur auxiliaire d'harmonie et de contrepoint dès l'âge de dix-neuf ans (1892-1898), remporta le second prix de Rome en 1895 et le premier en 1897. Professeur de fugue au conservatoire de Bruxelles en 1920, il dirigea cet établissement de 1925 à 1939. Proche des idéaux de la Schola cantorum, dans la lignée directe de l'esthétique franckiste, il fut le plus important compositeur wallon de sa génération. On lui doit notamment une symphonie (1898-99), une symphonie concertante avec orgue principal (1926), des pages symphoniques comme Impressions d'Ardennes (1913), le poème symphonique Lalla-Roukh (1904), de la musique de chambre, la Messe pour chœurs, cuivres et orgue (1946).

 
Léon, frère du précédent (Liège 1884 – Bruxelles 1969). Également pianiste, il succéda à son frère Joseph comme directeur du conservatoire de Bruxelles (1939-1949). Ses voyages à travers le monde lui inspirèrent des pages d'un exotisme très coloré (Malaisie pour orchestre, 1935). Citons aussi l'opéra Thomas l'Agnelet (1922-23) et le ballet le Masque de la Mort rouge (1956).

jongleur

Dans la monodie profane du XIIe siècle, ce terme désignait celui qui n'était pas créateur (poète, compositeur ou poète-compositeur) comme le troubadour, mais simplement exécutant, et qui se déplaçait de lieu en lieu, de château en château, en s'efforçant de mettre ses talents au service de qui voulait bien le payer. On appelait ménestrel un jongleur ayant obtenu un emploi fixe, par exemple auprès d'un noble. Le plus célèbre de ces ménestrels fut Blondel, au service de Richard Cœur-de-Lion.

Jordan (Armin)

Chef d'orchestre suisse (Lucerne 1932 – Zurich 2006).

Après des études universitaires à Fribourg (lettres, droit et théologie), il décide de se consacrer entièrement à la musique. Il étudie aux Conservatoires de Genève et de Lausanne, fonde à l'âge de dix-sept ans un petit orchestre à Fribourg et commence à diriger l'orchestre du Théâtre de Bienne-Soleure. Nommé à l'Opéra de Zurich, il est à partir de 1969 chef permanent de l'Opéra de Bâle, puis de 1973 à 1989 directeur musical de cette maison. En 1973, il prend la direction de l'Orchestre de chambre de Lausanne, formation avec laquelle il effectue plusieurs tournées dans le monde et enregistre de nombreux disques. Attaché aussi bien au répertoire lyrique, wagnérien en particulier, qu'au répertoire symphonique, il donne à l'Orchestre de chambre de Lausanne un niveau international et réalise la bande originale du film de Syberberg Parsifal. Nommé en 1985 directeur musical de l'orchestre de Suisse romande, il a été de 1986 à 1993 chef invité privilégié de l'Ensemble orchestral de Paris.

Josquin Des Prés

Compositeur français (Picardie v. 1440 – Condé-sur-l'Escaut 1521 [ou 1524]).

Trois grandes périodes (que reprend H. Osthoff à la suite d'Ambros pour tenter un classement de ses œuvres) s'imposent : la jeunesse, soit la période milanaise (jusqu'en 1486) ; les séjours de Rome et Ferrare (1486-1505) ; le retour en France et dans les Pays-Bas (1505-1521). Ainsi se dégage l'importance des influences italiennes, qui, en se greffant sur une connaissance approfondie de l'art du contrepoint tel qu'il était pratiqué dans les pays du Nord, permit à Josquin Des Prés (ou plutôt Desprez) de dépasser les formes traditionnelles de son temps par un regard neuf sur les rapports du texte et de la musique. D'après le tableau de Claude Héméré (1633), il aurait été chantre à la collégiale de Saint-Quentin, mais les premières traces vérifiables de ses activités ne se situent qu'après son installation en Italie. Il fut « Giscantor » à la chapelle du Dôme de Milan (1459-1472), entra au service du duc Sforza (1474), puis du cardinal Ascanio Sforza, qui l'introduisit dans les milieux romains, appartint à la chapelle papale (1486-1494), avec toutefois quelques interruptions. On le signala alors à Milan, Paris, Plaisance, Modène (1487-88), Nancy (1493). En 1499, il quitta définitivement Rome pour Ferrare et entra dans la chapelle du duc Hercule Ier, qui le chargea de recruter des chanteurs à l'automne 1501 en Flandres. Glaréan nota son voyage à la cour de Louis XII avant son retour en 1503 à Ferrare, où il demeura jusqu'à la mort du duc (1505). Eut-il ensuite des démêlés avec la cour de France ? Toujours est-il qu'on le retrouva à Saint-Quentin (1509), puis en 1515 à Condé-sur-l'Escaut, où il termina son existence comme doyen-prévôt.

   Les contemporains le regardaient déjà comme le plus grand maître de son temps, et, jusque vers 1600, ses œuvres furent citées dans les écrits théoriques (cf. Glaréan, Spataro, Lampadius, Gaffurio, Castiglione, Luther, etc.) ; beaucoup servirent de modèles et furent transcrites, notamment pour luth. Elles se répandirent encore par la tradition manuscrite, mais l'imprimerie musicale leur assura bientôt une plus vaste diffusion ; Petrucci imprima 3 volumes de Messes (1502, 1505, 1514) ainsi que des fragments de messes (Fragmenta missarum) en 1505, tandis que ses chansons paraissaient à Anvers (Susato, 1545), Paris (Attaingnant, 1549 ; Le Roy et Ballard, 1555). Près de 20 messes, 5 credo, 2 sanctus, plus de 100 motets, plus de 70 chansons nous sont parvenus ; près de 150 œuvres sont d'attribution discutable.

   Il n'y a pas à proprement parler un type de messe josquinienne, chacune ayant ses particularités. Dans la ligne de Dufay, Josquin construisit certaines messes sur un cantus firmus profane (les deux messes l'Homme armé), ou utilisa parfois le principe de la missa parodia (Malheur me bat, Fortuna desperata, Mater Patris). Les constructions en canon correspondaient à son goût pour les problèmes d'architecture et d'écriture (cf. notamment celle des ténors). Le principe d'imitation continue à toutes les voix s'affirmait comme une marque essentielle (messe Hercules Dux Ferrarie et messe Pange lingua, son chef-d'œuvre) ; il est lié à la division du groupe vocal (soprano-ténor/alto-basse) et à un souci constant de mettre en valeur le sens figuratif émotionnel du texte par des figures types à valeurs symboliques. Utilisant aussi parfois le cantus firmus ou même l'isorythmie, appliquant le principe de l'imitation continue ou libre (pour les textes des psaumes), les motets peuvent être jugés supérieurs aux messes. En tout cas, ils deviennent chez lui la forme religieuse libre par excellence : Josquin s'y affranchit des contraintes de la messe, donne libre cours à son imagination créatrice et à sa virtuosité. Il ne craignit pas d'en écrire une quarantaine à cinq ou six voix, le reste étant, comme les messes, à quatre voix. Il y apparaît comme un maître incontesté du contrepoint, l'héritier d'Ockeghem, d'Obrecht et Busnois, mais tendu vers la recherche d'un équilibre (parole/musique, harmonie/polyphonie, mélodie/rythme), d'une alliance subtile entre l'émotion et le métier artisanal (cf. Ave Maria, Miserere, Stabat Mater). Son œuvre profane comporte, outre des frottole, des chansons (sur des textes français, italiens, latins) à 3 voix (typiques du XVe siècle), mais aussi à 4 (Mille Regretz), et 25, dont 17 en forme de canon, à 5 et 6 voix (Baisiez-moi à 6 voix et triple canon ; Nymphes des bois, Déploration sur la mort d'Ockeghem à 5 voix). Toutefois, la puissance sonore n'étant pas recherchée pour elle-même, il est rare que le cadre de l'écriture dépasse quatre parties. Abandonnant pour ainsi dire le poème à forme libre et le respect du découpage par vers, la chanson, malgré son cadre étroit, profite comme le motet des procédés d'écriture de la messe, même si le genre ne semble pas avoir été le but privilégié des efforts du compositeur. Une page comme Mille Regretz peut être considérée comme l'exemple parfait de l'alliance du texte et de la musique, du dosage des voix, du sens du verticalisme. Dans ce domaine encore, Josquin fait figure de précurseur et de génie. Héritier de tout le XVe siècle, il pénétra de plain-pied dans celui de la Renaissance. De sa gloire et de sa grandeur témoignent ces fameuses paroles de Luther : « Josquin est le maître des notes, elles se plient à ses ordres, tandis que les autres restent sous leur dictée. »