lied (all., pl. lieder ; « chanson ») (suite)
Richard Strauss et les derniers lieder
Avec Mahler, le lied s'élargit au domaine de la symphonie dans laquelle il se dissout. Richard Strauss (1864-1949), au contraire, va maintenir autant que possible la tradition du lied romantique avec piano, comme il le fera aussi de l'opéra, durant toute la première moitié du XXe siècle. Ses œuvres publiées comptent quelque 140 lieder avec piano (certains ont été orchestrés par le compositeur), et une quinzaine de lieder écrits directement avec accompagnement orchestral. La plupart d'entre eux datent de l'époque symphonique du compositeur, jusqu'à Salomé (1905) ; quelques groupes de lieder suivent, dans les années 1913 à 1921, puis un dernier petit recueil en 1929, avant le chef-d'œuvre de la vieillesse, les Quatre Derniers Lieder de 1948.
Admirable virtuose de l'écriture, doué d'une imagination que rien n'entrave, ouvrant sa palette sonore à tous les domaines de la poésie, il compose sous forme de lieder des fresques généreuses, rutilantes, d'un vif chatoiement harmonique et instrumental. Sa mémoire musicale le fait se souvenir de Schubert et de Schumann, surtout quand il lui arrive d'opter pour une forme courte. Mais la concision n'est pas son domaine, et il affectionne la véhémence et la sensualité mais son goût et son savoir-faire l'empêchent de verser dans l'emphase. Avec les Quatre Derniers Lieder, le climat sonore n'a rien perdu de sa somptuosité capiteuse ; mais ce serein adieu au monde prend, en 1948, l'allure d'un testament qui scelle la mort du lied romantique.
Hans Pfitzner (1869-1949) se montre un peu plus tourné vers l'avenir que son rival Richard Strauss ; plus de 100 lieder jalonnent son œuvre, parmi lesquels il faut au moins mentionner les Cinq Lieder sur des poèmes d'Eichendorff (1888-89).
Compositeur prolifique, Max Reger (1873-1916) n'a pas laissé moins de 270 lieder, mais qui ne représentent pas le plus passionnant de son œuvre. Ces lieder oscillent du pastiche folklorique à l'archaïsme, et la réelle sensibilité du musicien tend trop souvent à disparaître dans un jeu de formules.
Le lied ne représente pas l'essentiel de l'œuvre d'Arnold Schönberg (1874-1951) ; en une cinquantaine de pièces, il fait briller de ses derniers feux la tradition de Schumann et de Wolf, dans un esprit violemment expressionniste. Mais une part doit être faite à la grande symphonie vocale et orchestrale des Gurre Lieder. Orchestre énorme, partition énorme pour ces chants d'amour et de mort empruntés à la saga scandinave. Le langage musical doit beaucoup au Wagner de Tristan et à l'influence du Mahler des premières symphonies, dans son harmonie foisonnante, son lyrisme débridé, torrent musical d'une très puissante force poétique. Écrite en 1900-1901, l'œuvre ne fut achevée qu'en 1910-11, avec le mélodrame final qui oppose à l'orchestre une voix parlée en une sorte de Sprechgesang qui anticipe sur Pierrot lunaire. Mais, malgré son sous-titre (Trois Fois sept lieder), peut-on encore parler de lied à propos de Pierrot lunaire ? Sans doute pas : le chant a disparu, et avec lui tout ce qui reliait le lied le plus savant à ses sources les plus anciennes.
Anton Webern (1883-1945) et Alban Berg (1885-1935) écrivent eux aussi des lieder ; mais après les premiers recueils, appartenant encore à l'héritage post-romantique, le langage radicalement atonal et plus encore la technique sérielle coupent le lied de ses racines populaires pour en faire des pages extrêmement raffinées, où les rapports traditionnels du chant avec le texte poétique se trouvent complètement réévalués.
D'autres compositeurs, plus jeunes, tentent cependant de ne pas rompre le fil qui les unit à cette tradition. Ce sont le Suisse Othmar Schoeck (1886-1957), avec 170 lieder, Paul Hindemith (1895-1963), particulièrement dans le cycle Das Marienleben (la Vie de Marie, d'après Rilke, 1922-23, 2e version en 1936-1948), Ernst Křenek (1900-1991), Wolfgang Fortner (1907-1987) ou, plus près de nous, Aribert Reimann (1936).
Le lied hors d'Allemagne
Le lied, on l'a vu, est une forme d'expression propre au monde germanique, dont le genre est si particulier, malgré ses diverses formes, qu'on ne peut en traduire même le nom : chanson, mélodie ? Mais cet univers est si puissant, si cohérent, si typé, qu'il a tenté d'autres musiciens, non allemands, dont les mélodies s'apparentent au lied dans leurs caractéristiques poétiques et musicales comme par les noces qu'ils célèbrent entre un univers poétique, une déclamation chantée et une symphonie pianistique. Si l'on continue à parler de mélodies à propos des œuvres pour chant et piano du Français Henri Duparc, du Norvégien Edvard Grieg ou du Russe Modeste Moussorgski, il n'en est pas moins vrai que leur cousinage est évident avec un art dont la plus certaine caractéristique reste d'être romantique et allemand.