Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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Nabokov (Nicolas)

Compositeur américain d'origine russe (Lubcza, région de Minsk, 1903 – New York 1978).

Il était le cousin de l'écrivain Vladimir Nabokov. Il a fait ses études musicales à Saint-Pétersbourg avec Rebikov (1911-12), à Yalta, à Berlin avec Busoni (1922-23), à Strasbourg et à Paris (1926-1933). Son premier ouvrage important, le ballet-oratorio Ode, fut créé aux Ballets russes de Diaghilev à Paris en 1928. Il émigra en 1933 aux États-Unis, où il fut successivement professeur au Wells College, au Saint John's College, au Peabody Conservatory de Baltimore, à la City University de New York et à la State University de Buffalo. Son ballet la Vie de Polichinelle lui fut commandé par l'Opéra de Paris en 1934 ; un autre ballet, Union Pacific, créé à Philadelphie en 1934, fut représenté dans le monde entier.

   Son attachement à la culture russe se manifeste à travers ses références à Pouchkine (The Return of Pushkin pour solistes et orchestre, 1948), à Pasternak (4 Poèmes pour voix et piano, 1961), à Anna Akhmatova (6 Lyric Songs, 1966), ainsi que dans son opéra la Mort de Raspoutine (1958-59). Son livre Old Friends and New Music (Boston, 1951) contient des souvenirs sur Diaghilev. Nijinski, Stravinski, Prokofiev, Chostakovitch.

Naderman (Jean-Henri)

Facteur d'instruments et éditeur français d'origine allemande (Fribourg 1735 – Paris 1799).

Conseillé à partir de 1777 par Krumpholtz, il construisit surtout des harpes, la plus célèbre étant celle de Marie Antoinette (1780), et publia un très grand nombre d'œuvres pour cet instrument. Il reprit en 1796 la firme et les plaques de l'éditeur Boyer. Il eut deux fils : Henri (Paris v. 1780 – id. après 1835), facteur d'instruments et homme d'affaires, actif dans la firme de son père, et François-Joseph (Paris 1781 – id. 1835), harpiste et compositeur. Membre le plus célèbre de la famille, ce dernier ne fut supplanté comme interprète que par Bochsa. En 1821 parut chez Naderman, comme prétendue nouveauté et sous le titre de Dernière Sonate pour le piano avec accompagnement de violon composée expressément pour Madame la Maréchale Moreau, le trio avec piano en mi bémol mineur no 41 (Hob. XV.31) de Haydn, écrit à Londres en 1795 et publié dès 1803 chez Traeg à Vienne. Après 1835, la maison d'édition cessa ses activités ou fut reprise par G.-J. Sieber.

Nagano (Kent)

Chef d'orchestre américain (Morro Bay, Californie, 1951).

Issu d'une famille japonaise émigrée aux États-Unis, il commence l'étude du piano à l'âge de quatre ans, puis celle du koto, de l'alto et de la clarinette. Bachelor of Arts en musicologie à l'université de Santa Cruz, il poursuit ses études musicales tout en faisant ses débuts comme répétiteur à l'Opéra de Boston et commence à diriger à l'Opéra de chambre de San Francisco. En 1983, il est l'assistant de Seiji Ozawa pour la création du Saint-François d'Assise de Messiaen, partition qu'il dirige ensuite dans plusieurs villes européennes. En 1986, il est nommé principal chef invité de l'Ensemble InterContemporain, poste qu'il occupe jusqu'en 1989, date à laquelle il devient directeur musical de l'Opéra de Lyon. Parallèlement au grand répertoire lyrique, il assure la création de plusieurs opéras contemporains.

Nageli (Hans Georg)

Éditeur, pédagogue, critique et compositeur suisse (Wetzikon, près de Zurich, 1773 – id. 1836).

Il étudia à Zurich et à Berne, fonda sa maison d'édition en 1792 et fut un des premiers à publier des œuvres de Bach (le Clavier bien tempéré en 1801). Dans sa série Répertoire des clavecinistes (à partir de 1803) parurent en 1803-1804 la première édition des trois sonates opus 31 de Beethoven, en 1804 une édition de l'opus 13 (Pathétique) et en 1805 une de l'opus 53 (Waldstein). Il fonda diverses sociétés chorales et propagea dans son enseignement les idées de Pestalozzi.

Nancarrow (Conlon)

Compositeur mexicain d'origine américaine (Texarkana, Arkansas, 1912 – Mexico 1997).

Il joue du jazz (trompette) et complète ses études au Conservatoire de Cincinnati. Il prend aussi des cours privés, avec Slonimsky, Piston et Session à Boston. Pour avoir participé à la guerre d'Espagne du côté des républicains, il se voit retirer le passeport américain et s'installe au Mexique, dont il acquiert la nationalité en 1956. Nancarrow y mène une existence marginale avant d'être redécouvert par l'avant-garde américaine (Cage, Mumma), ainsi que par Ligeti, dans les années 1970. Il se consacre presque exclusivement à la composition pour piano mécanique (plus de 40 Études), et se fait spécialement fabriquer un appareil à l'aide duquel il perce directement les rouleaux destinés à cet instrument. Ces rouleaux deviennent ainsi une partition, mais aussi un protocole d'actions à remplir et une « interface » graphique. Il obtient, ainsi, dans ses œuvres, une précision et une liberté rythmiques inconcevables auparavant. D'où une remarquable complexité et des superpositions proprement inouïes (ostinatos, canons divers, accentuations paradoxales, changements de couleur dus à la vitesse d'exécution obtenue, irréalisable par les moyens traditionnels). Se référant à l'indépendance de cellules rythmiques donnant chacune l'impression de vivre sa propre vie musicale, Nancarrow parle de « dissonance temporelle ». Il conçoit une véritable polyphonie rythmique, plutôt qu'une polyrythmie, éventuellement réductible à un schéma unique. Certaines de ses pièces pour piano mécanique ont été orchestrées. En 1988, le Quatuor Arditti crée son Quatuor à cordes no 3.

Naples

Par l'importance de sa population, son évolution politique particulière et la richesse de ses traditions culturelles, Naples fut, dès le Moyen Âge, un des principaux centres de la vie musicale de la péninsule. Elle dut aussi cette position à ses conservatoires, à ses nombreux théâtres, puis à son rôle dans la renaissance de la musique de chambre.

   On sait qu'en 1283 le Jeu de Robin et Marion fut créé à Naples, mais les spectacles qui suivirent furent longtemps, comme celui-ci, plus ouverts à la danse et à la récitation qu'à la musique. Avec la domination des Bourbons, la situation s'inversa : l'imprimerie musicale s'installa à Naples dès 1516 et, en 1537, paraissaient 250 canzoni villanesche alla napoletana, ce genre intermédiaire entre le madrigal et la future chanson napolitaine authentique, cependant que la polyphonie jetait ses derniers feux avec, entre autres défenseurs, Gesualdo da Venosa. Dès le XVIe siècle, naissaient à Naples les « hospices », embryons des futurs conservatoires, les plus anciens et les plus célèbres de la péninsule : Santa Maria di Loreto (1537), où enseignèrent plus tard Provenzale, A. Scarlatti, Fr. Mancini, Durante, Sacchini, Fenaroli, et où se formèrent Cimarosa et Zingarelli ; le conservatoire dei Poveri di Gesù Cristo, fondé en 1589, se consacra à la musique dès 1633, Durante y enseigna également, et la tradition veut que Pergolèse en ait été l'élève, peu avant sa fermeture en 1744 ; San Onofrio a Capuana fut particulièrement actif de 1669 à la fin du XVIIIe siècle, on y relève encore le nom de Durante, ceux de Porpora et Feo ; enfin, Santa Maria della Pietà dei Turchini (1583) occupa, dès 1600, le premier poste dans la vie musicale, et fut aussi réputé dans la formation des chanteurs, Provenzale y enseigna, puis Leo, Sala, Jommelli et S. Mattei. À la fin du XVIIIe siècle, Piccinni fut nommé inspecteur des conservatoires de Naples, mais l'administration française remplaça ces écoles par un seul établissement, le collège royal de musique de San Sebastiano (1806), confié à la gestion de Paisiello, Fenaroli et Tritto. En 1813, Zingarelli en assumait seul la direction, se voulant le dépositaire de la tradition antique, contre les innovations révolutionnaires de Rossini. Après 1820, le conservatoire s'établit définitivement à San Pietro a Majella. Bellini et les frères Ricci en furent les élèves, Donizetti y enseigna, mais la direction en échut à Mercadante en 1840. Parmi ses successeurs, notons Lauro Rossi en 1870, puis, entre autres, Giuseppe Martucci et Francesco Cilea.

   Dès le XVIIe siècle, Naples fut donc le premier centre pour la formation des instrumentistes ­ ses orchestres furent sans rivaux pendant deux siècles ­ et des chanteurs, notamment des castrats ; et cette suprématie, notable dans l'œuvre instrumental des Leo, Durante, Pergolèse, etc., se doubla par la création de l'opéra dit napolitain, qui, succédant aux expériences florentine, romaine et vénitienne, devint en fait l'archétype de l'opéra italien international. Mais Naples vit également, au début du XVIIIe siècle, le développement de l'intermezzo et la naissance de l'opera buffa, où apparut le dialecte napolitain, un usage qui se perpétua un siècle plus tard dans les œuvres de Paisiello ou Fioravanti, cependant qu'en 1818 en joua Cenerentola de Rossini avec le rôle de Don Magnifico chanté en dialecte. Sans qu'il soit possible de définir un style autochtone particulier, il n'en reste pas moins que le terme d'école napolitaine est demeuré appliqué à la tradition des Provenzale, Fr. Mancini, Pergolèse, Leo, Piccinni, Paisiello et Cimarosa. Il faut rappeler que vers 1780, Naples était, avec ses quatre cent mille habitants, la deuxième ville d'Europe après Londres, avant Paris, et loin devant Rome, Venise ou Milan, qui comptaient moins de cent cinquante mille âmes.

   Son intense activité reposa sur ses nombreux théâtres, qui donnèrent vite la priorité à l'opéra sur la comédie : si l'on compte les salles privées, on atteint le chiffre de 44 salles, où furent créées des œuvres lyriques, dont 23 furent des théâtres permanents. C'est en 1651 qu'on joua pour la première fois un opéra à Naples : le San Bartolomeo (1621-1737) fut voué à l'opéra dès 1654 et on y donna les meilleurs opéras des Vénitiens et des Romains, plus tard ceux de Haendel et de Bononcini, cependant que les meilleurs chanteurs y créaient les œuvres de Provenzale, A. Scarlatti, Mancini, Pergolèse, Leo ou Vinci, et qu'y était donné en 1724 le premier drame de Métastase, mis en musique par Sarro. En dehors du San Carlo, qui, en 1737 devait remplacer le San Bartolomeo, et qui est aujourd'hui la seule salle virtuellement en activité permanente, de nombreuses scènes ont animé la vie musicale de Naples. Le Teatro dei Fiorentini, ouvert en 1618 (détruit par les bombes en 1941) accueillit des opéras dès 1705, lorsque Serino fut, pour des motifs personnels, contraint d'abandonner la direction du San Bartolomeo, et décida d'en faire un théâtre rival. Tout en jouant l'opera seria, ce théâtre fut le berceau de l'opera buffa napolitain, et on y créa jusqu'en 1817 maintes œuvres d'Orefice, Sarro, Lotti, Vinci, Leo, Piccinni, Paisiello, Guglielmi, Fioravanti et Mosca, avec une troupe de chant de premier ordre.

   Le Teatro nuovo (1724-1935), autre théâtre rival, accueillit les œuvres sérieuses et comiques de tous les compositeurs italiens, et introduisit en Italie les opéras bouffes d'Offenbach (la Belle Hélène, 1869). Le Teatro Fondo (1779, devenu Teatro Mercadante en 1892), bien que de moindres dimensions, fut également renommé et créa des œuvres de Cimarosa, Paisiello, Fioravanti, Paër et Mayr, donnant les premières locales de Don Giovanni et des Noces de Figaro de Mozart. C'est là que fut créé l'Otello de Rossini durant la réfection du San Carlo. Après 1892, l'éditeur Sanzogno y fit jouer les œuvres des jeunes musiciens français et italiens, et c'est là que Caruso connut ses premiers succès.

   Mais, parmi ces théâtres (auxquels on doit ajouter le San Carlino, le San Ferdinando, les scènes très actives des conservatoires, etc.), c'est le San Carlo ­ baptisé du nom du roi bourbon ­ qui, dès son inauguration en 1737, fut le centre de la vie musicale napolitaine. Disposant d'une scène de 33,10 m sur 34,10 m, avec son vaste parterre et ses 184 loges, il peut accueillir 3 500 spectateurs ; il fut longtemps le plus vaste, et sans doute le plus somptueux de l'Italie, reconstruit sur les mêmes plans après l'incendie du 12 février 1816. Dès sa fondation, il disposa, grâce à Sarro, d'un orchestre de 42 exécutants, qui s'accrut sans cesse, et demeura sans rival jusqu'en 1840. Tous les plus grands chanteurs internationaux y parurent aussitôt, et les plus grands compositeurs y eurent des premières, depuis Leo, Hasse et Jommelli, jusqu'à Mayr, Rossini, Donizetti et Verdi. Sa période la plus brillante fut celle de la direction de Domenico Barbaja (1778-1841), qui, regroupant plusieurs théâtres à Naples, régna sur le San Carlo de 1810 à 1824 et de 1832 à 1840, développa le ballet, fit représenter les nouveautés étrangères de Gluck, Mozart ou Spontini, intronisa Rossini de 1815 à 1822 lui offrant la première troupe vocale du monde, lança Bellini et fit triompher Donizetti.

   Ayant vu, avec l'unité italienne, son renom éclipsé par celui de la Scala de Milan, le San Carlo reprit, dès l'après-guerre de 1945 une place éminente dans la vie musicale italienne, grâce à Pasquale di Costanzo, qui ouvrit largement le théâtre aux grands compositeurs étrangers du XXe siècle, œuvrant d'autre part pour la résurrection des œuvres oubliées de Scarlatti, Mayr, Rossini, Donizetti, Mercadante, Verdi, etc.

   C'est dans le même esprit que la Radio italienne de Naples a rendu vie à maints chefs-d'œuvre du passé, tandis que l'Orchestre Alessandro-Scarlatti, dirigé de 1949 à 1964 puis de 1971 à 1987 par Franco Caracciolo, s'assurait une renommée mondiale.

   En marge des créations lyriques, de la part importante jouée par Naples dans la renaissance de la musique instrumentale italienne à la fin du XIXe siècle, il faut rappeler combien l'activité vocale est restée primordiale à Naples depuis le temps des castrats jusqu'à celui des chanteurs plus récents qui y virent le jour, dont E. Caruso, ou F. De Lucia, qui y fut le maître du ténor français Georges Thill. Mais cet instinct du chant eut une large résonance dans la chanson napolitaine, un authentique fait culturel, dont Marcello Conati fait remonter les sources au XIIIe siècle et note la continuité jusque dans l'opéra du XVIIIe siècle. Mais sa naissance véritable eut lieu lors de la fête de Piedigrotta du 7 septembre 1835, où le poète Raffaele Sacco écrivit Te voglio bene assaje, dont la musique, signée par Battista, est peut-être, en fait, de Donizetti.

   Dès 1880, le genre attira les plus grands poètes napolitains (Di Giacomo, Bracco, G. B. De Curtis, E. Murolo, etc.) ou non ­ D'Annunzio écrivit en dialecte la fameuse A vucchella ­, qui furent mis en musique par E. Di Capua, E. De Curtis, P. Tosti (auteur de A. Marechiare et de la Vucchella), Barthélemy, S. Gambardella, etc. Mais il faut noter que le célèbre Core'ngrato fut écrit aux États-Unis par deux émigrés napolitains, et que Santa Lucia, versifiée par Enrico Cossovich, fut mise en musique par Teodoro Cottrau, fils d'un Français venu à Naples avec Murat.

   La chanson napolitaine est caractérisée par la qualité de ses vers, magnifiant le dialecte local, et par l'étroite union de la poésie et de la musique, celle-ci généralement de caractère strophique ; elle connut de grands spécialistes de la chanson, aux talents non négligeables, mais elle fut diffusée dans le monde entier par des chanteurs d'opéra de renom, napolitains (Caruso et De Lucia), italiens (Gigli, Schipa, Di Stefano) et même étrangers (Josef Schmidt, Jussi Bjorling, etc.). Mais qu'il s'agisse de la chanson, de l'art des chanteurs d'opéra, de la personnalité des compositeurs, qu'ils fussent napolitains de naissance ou d'adoption, la situation géographique de la ville, son climat, sa langue, l'immensité de ses paysages ont contribué de façon sensible à imprimer un même besoin de communication immédiate avec le public, un phénomène que l'on ne rencontre dans aucune autre ville italienne.