Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
C

chant (suite)

Un renouveau certain

Une remise en question de toutes ces valeurs s'est amorcée à partir de 1960. Il est encore difficile de définir quelles en ont été les causes vraiment déterminantes : y participèrent l'hédonisme d'une société ayant surmonté les séquelles du dernier conflit mondial, la venue vers les scènes lyriques d'un public jusque-là exclusivement attaché au concert, un souci musicologique plus aigu, notamment dans les pays anglo-saxons, les efforts de quelques grands artistes qui jouèrent le rôle de pionniers, et d'autres facteurs encore. Il faut remarquer que des interprètes comme Joan Sutherland, Marilyn Horne, Montserrat Caballé, Alfredo Kraus, Carlo Bergonzi, plus tard, Renato Bruson, quoique ayant, dès leurs débuts, fourni la preuve éclatante de leur parfaite maîtrise d'une technique de chant de type ancien, ne furent appréciés à leur juste valeur que longremps après, lorsque le public fut prêt à comprendre leur message. On ne saisit pas non plus, sur le moment, la portée du rôle joué par le chef d'orchestre H. von Karajan, qui, au début de sa carrière, s'était attaché à rendre leur style vocal originel à certaines œuvres, et, notamment, à celles de Wagner. Il en va de même pour l'art du falsettiste anglais Alfred Deller, qui, même s'il ne proposait qu'une solution de compromis, amorça un retour aux sources du bel canto.

   C'est peut-être ce désir de retrouver l'esprit d'un beau chant perdu qui, en même temps qu'il provoquait la réapparition des falsettistes comme une nostalgie des voix de castrat et de haute-contre, a, en retour, fait disparaître de la scène lyrique les grandes voix dramatiques, et, notamment, les voix masculines. La générosité vocale parfois trop excessive des générations précédentes ne suffit pourtant pas à justifier l'engouement plus récent pour un chant ascétique, aux sons détimbrés, qui ne fut ni celui des castrats ni celui de l'époque romantique dont le répertoire, soudain remis à l'honneur, n'a pas toujours trouvé les interprètes masculins qu'il lui faudrait.

   Dans l'enseignement du chant, un mouvement s'est amorcé, qui, parti des pays anglo-saxons, a atteint l'Espagne et l'Italie, mais n'a guère encore véritablement touché la France où, malgré quelques indices réconfortants, la pédagogie du chant a, dans ses grandes directives, conservés les mêmes bases techniques qu'en 1950. Ce mouvement a néanmoins pour résultat que l'on chante et interprète généralement Verdi, Wagner et Mozart mieux, en 1980, qu'on ne le faisait en 1955, même s'il faut constater que l'absence des grandes personnalités d'hier a précisément permis cette notion d'école, une absence de personnalités aussi évidente dans la direction d'orchestre, un domaine où la fidélité musicologique et le talent spécifique de chef d'orchestre ne se conjuguent plus que très rarement. Ces considérations rendent compréhensible l'exécution des opéras de Haendel et de Rossini, inconcevable il y a un quart de siècle au niveau de qualité vocale où elle se pratique couramment aujourd'hui, même, et surtout, en l'absence de chefs et de chanteurs de très grand renom. Il ne faut pas pour autant mésestimer le rôle des grandes " stars " de la scène, dans la mesure où seul un courant de portée universelle peut parachever l'œuvre entreprise. De tout temps, des chanteurs de très grand relief ont, soit agi sur leur époque, soit permis aux compositeurs d'appuyer leur action sur leur talent. Farinelli, la Malibran, Duprez, la Patti, Chaliapine, Caruso, Maria Callas ont, d'une manière ou d'une autre, influencé leurs époques respectives : seule une personnalité d'un rayonnement aussi indiscutable saura donner à l'art du chant l'impulsion nouvelle qui fera de lui le reflet des aspirations d'une nouvelle génération.

chant (pédagogie du)

L'enseignement du chant a pour but de permettre au chanteur d'exploiter au mieux ses possibilités innées. Il est d'autant plus malaisé qu'aucun instrument n'est visible ni palpable, et que l'élève ne perçoit qu'une audition interne, et tronquée, de sa véritable voix. Le geste vocal à enseigner ne repose donc que sur la perception de sensations physiques, liées aux sensations auditives correspondantes. La difficulté primordiale consiste à déceler progressivement à quel type vocal appartient l'élève, alors que celui-ci ne peut encore donner l'exacte mesure de ses moyens. Or, ce classement dépend non seulement de l'étendue vocale apparente du sujet, mais de sa véritable tessiture, de son timbre, de la puissance éventuelle de la voix, mais encore de nombreux autres caractères propres tenant au milieu ethnique, acoustique, culturel, psychologique et physiologique de l'individu. Si l'essentiel de l'appareil vocal résulte, ainsi que le définit Georges Loiseau (Notes sur le chant, Paris, 1947) du « synchronisme entre le diaphragme (appui du souffle), le larynx et les résonateurs (toutes les cavités creuses situées au-dessus du larynx) », cette triade est liée « à la multiplicité des résultantes individuelles, à la personnalité et à l'individualité propre » de chacun. D'où la diversité des instruments vocaux, celle aussi des facteurs d'application de cet enseignement, qui varie avec chaque sujet dans la recherche d'un but commun, la parfaite disponibilité de la voix, sur toute son étendue, aux nuances et aux colorations les plus diverses, à une parfaite diction, et, enfin, à toutes les sollicitations d'expression ou de virtuosité du texte musical.

   Enfin, dans le domaine de l'application, cet enseignement repose sur une autre ambiguïté, car si toutes les méthodes convergent pratiquement sur un mode de respiration (de préférence nasale), qui consiste à emplir d'abord la base des poumons par l'écartement des côtes et l'appui sur le diaphragme, l'expiration du souffle pose d'autres problèmes, car elle ne détermine pas a priori la bonne émission du son, et c'est cette émission qui entraîne a posteriori l'écoulement exact de l'air à expulser. La reconnaissance par le maître et par l'élève de la nature précise du son est donc primordiale dans toutes les pédagogies.

   Ces dernières se rejoignent sur certains principes élémentaires de base : le travail vocal s'exécute d'abord sur des valeurs longues, lentes, bien liées entre elles, sans l'aide des consonnes et uniquement sur les notes du médium, celles qui précisément appartiennent en commun aux différents registres de la voix ; mais elles peuvent différer quant à leur application, puisqu'elles dépendent de la langue parlée (et entendue) par le sujet. Mais leur but commun étant la recherche de l'homogénéité du timbre et des voyelles sur toute l'étendue de la voix, leur premier objet est de réaliser la fusion entre ses divers registres par l'assombrissement progressif de la couleur des voyelles, de la note la plus grave à la note la plus aiguë, ce travail étant étroitement lié à la phonation de chaque langue. Le rejet de cette règle, tel qu'il a pu apparaître à certaines époques de l'histoire du chant ou de l'opéra, entraîne ce que l'on nomme parfois le « chant ouvert » (par assimilation à la couleur des voyelles ouvertes) qui, en obstruant le larynx, déforme la diction du texte, compromet l'émission des notes aiguës et leur disponibilité aux nuances. Or, la pose de voix consciente et maîtrisée est la condition préalable à l'interprétation musicale.

   En effet, la pédagogie du chant comporte également la formation musicale de l'élève chanteur, qui doit être identique à celle de l'élève instrumentiste, à quelques spécialisations près. Elle est généralement assurée par un spécialiste, alors que la recherche de l'émission vocale et l'étude de l'interprétation peuvent incomber au même enseignant : ce dernier doit alors connaître non seulement les principales méthodes de chant des grands auteurs du passé, mais encore l'histoire des styles intimement liée à l'évolution de l'art lyrique. Il est donc souhaitable que la pédagogie du chant repose aussi sur une éducation de l'audition musicale de l'élève, facteur premier de toute reproduction vocale, par l'écoute critique des grands exemples du passé et du présent. C'est par la reproduction inconsciente de la parole d'autrui que le nouveau-né apprend l'usage de la parole, avec les qualités et défauts inhérents au milieu ambiant. Une fois mis en possession d'une technique vocale de base, l'élève peut ensuite se spécialiser dans une ou plusieurs branches de l'art lyrique, ou subir l'enseignement approprié à l'art de la scène, compte tenu du fait que toute pédagogie vocale doit tenir compte de la constante disponibilité de l'élève à toutes les sollicitations corporelles du concert ou de la scène.

   Sans entrer ici dans les nombreuses disciplines afférent à cette pédagogie, il faut noter que si, depuis des siècles, de nombreux auteurs ont déploré l'appauvrissement de la pédagogie dans le domaine de la connaissance musicale, c'est son aspect technique qui s'est plus récemment dégradé et a conduit le chanteur à des spécialisations arbitraires et restrictives, sans justifications historiques, notamment vers le milieu de notre siècle où une divergence s'est créée entre une pédagogie axée sur la recherche d'un maximum d'intensité vocale et une autre tout aussi exclusivement attachée à une préciosité excessive dans l'expression de tous les styles ; or, s'il est patent que Verdi, Wagner, Puccini ou Bizet, par exemple, ont souvent prescrit la nuance pianissimo, rarement respectée par les interprètes, Monteverdi, Haendel, Mozart, Schubert, Debussy ou Fauré ont tout aussi souvent réclamé la nuance forte que leur refusent parfois les chanteurs.