chant (suite)
Un renouveau certain
Une remise en question de toutes ces valeurs s'est amorcée à partir de 1960. Il est encore difficile de définir quelles en ont été les causes vraiment déterminantes : y participèrent l'hédonisme d'une société ayant surmonté les séquelles du dernier conflit mondial, la venue vers les scènes lyriques d'un public jusque-là exclusivement attaché au concert, un souci musicologique plus aigu, notamment dans les pays anglo-saxons, les efforts de quelques grands artistes qui jouèrent le rôle de pionniers, et d'autres facteurs encore. Il faut remarquer que des interprètes comme Joan Sutherland, Marilyn Horne, Montserrat Caballé, Alfredo Kraus, Carlo Bergonzi, plus tard, Renato Bruson, quoique ayant, dès leurs débuts, fourni la preuve éclatante de leur parfaite maîtrise d'une technique de chant de type ancien, ne furent appréciés à leur juste valeur que longremps après, lorsque le public fut prêt à comprendre leur message. On ne saisit pas non plus, sur le moment, la portée du rôle joué par le chef d'orchestre H. von Karajan, qui, au début de sa carrière, s'était attaché à rendre leur style vocal originel à certaines œuvres, et, notamment, à celles de Wagner. Il en va de même pour l'art du falsettiste anglais Alfred Deller, qui, même s'il ne proposait qu'une solution de compromis, amorça un retour aux sources du bel canto.
C'est peut-être ce désir de retrouver l'esprit d'un beau chant perdu qui, en même temps qu'il provoquait la réapparition des falsettistes comme une nostalgie des voix de castrat et de haute-contre, a, en retour, fait disparaître de la scène lyrique les grandes voix dramatiques, et, notamment, les voix masculines. La générosité vocale parfois trop excessive des générations précédentes ne suffit pourtant pas à justifier l'engouement plus récent pour un chant ascétique, aux sons détimbrés, qui ne fut ni celui des castrats ni celui de l'époque romantique dont le répertoire, soudain remis à l'honneur, n'a pas toujours trouvé les interprètes masculins qu'il lui faudrait.
Dans l'enseignement du chant, un mouvement s'est amorcé, qui, parti des pays anglo-saxons, a atteint l'Espagne et l'Italie, mais n'a guère encore véritablement touché la France où, malgré quelques indices réconfortants, la pédagogie du chant a, dans ses grandes directives, conservés les mêmes bases techniques qu'en 1950. Ce mouvement a néanmoins pour résultat que l'on chante et interprète généralement Verdi, Wagner et Mozart mieux, en 1980, qu'on ne le faisait en 1955, même s'il faut constater que l'absence des grandes personnalités d'hier a précisément permis cette notion d'école, une absence de personnalités aussi évidente dans la direction d'orchestre, un domaine où la fidélité musicologique et le talent spécifique de chef d'orchestre ne se conjuguent plus que très rarement. Ces considérations rendent compréhensible l'exécution des opéras de Haendel et de Rossini, inconcevable il y a un quart de siècle au niveau de qualité vocale où elle se pratique couramment aujourd'hui, même, et surtout, en l'absence de chefs et de chanteurs de très grand renom. Il ne faut pas pour autant mésestimer le rôle des grandes " stars " de la scène, dans la mesure où seul un courant de portée universelle peut parachever l'œuvre entreprise. De tout temps, des chanteurs de très grand relief ont, soit agi sur leur époque, soit permis aux compositeurs d'appuyer leur action sur leur talent. Farinelli, la Malibran, Duprez, la Patti, Chaliapine, Caruso, Maria Callas ont, d'une manière ou d'une autre, influencé leurs époques respectives : seule une personnalité d'un rayonnement aussi indiscutable saura donner à l'art du chant l'impulsion nouvelle qui fera de lui le reflet des aspirations d'une nouvelle génération.