oratorio (suite)
Les oratorios de Haydn
Les deux grands oratorios de Haydn, la Création (1798) et les Saisons (1801), pour être en langue allemande, plongent leurs racines dans des traditions bien plus variées que celle de la musique d'inspiration luthérienne. Ils suivirent de près la version vocale des Sept Paroles du Christ (1796). L'influence de Haendel est particulièrement sensible dans la Création, composée sur un texte adapté de l'anglais par le baron Van Swieten. Mais ce sont surtout les caractéristiques du langage musical classique qui font la grandeur de cette œuvre, à la fois monumentale dans ses proportions et d'un extrême raffinement dans les détails. La trame de la Création est constituée par des récitatifs, tantôt simples, tantôt accompagnés (avec d'abondants effets descriptifs). Le récit des six jours de la Création est commenté par des solistes représentant trois archanges (Gabriel [s], Uriel [t], Raphaël [b]), et par un chœur, dont les interventions forment la charpente de l'édifice musical. Les airs sont d'une diversité formelle étonnante, comparable à celle des airs d'opéra de Mozart ; l'héritage de ce dernier se manifeste également par un style vocal proche de la Flûte enchantée, en particulier dans les parties de soprano (Gabriel-Pamina) et de ténor (Uriel-Tamino). La troisième partie est consacrée à Adam et Ève (bar-s), et constitue un hymne à l'amour dont les diverses péripéties sont déterminées par des raisons d'ordre purement musical. Les Saisons ajoutent aux caractéristiques relevées dans la Création une atmosphère qui rappelle parfois tout autant l'opéra-comique allemand (le Singspiel) que l'oratorio proprement dit. Le sujet n'en est pas spécifiquement religieux : le poème de Van Swieten, inspiré de Thomson, est mi-descriptif mi-moralisant, et brode sur le cycle de la nature et les beautés de la vie à la campagne. Les solistes ne représentent plus des archanges, mais des paysans : Lucas (t), Simon (b) et sa fille Hanne (s). Mais ces personnages ne prennent à aucun moment une vie autonome : même le duo d'amour de Lucas et de Hanne, par exemple, n'est rattaché à aucune intrigue, à aucun arrière-plan dramatique cohérent. Les chœurs ont ici une double fonction, caractéristique de tant d'oratorios : tantôt ils représentent l'ensemble des fidèles, comme dans la Création, tantôt ils assument un rôle purement profane et mettent en scène un groupe de chasseurs, de vendangeurs ou de fileuses. Les chœurs d'inspiration religieuse sont relativement peu nombreux (nos 6, 9, 12 et 44), mais marquent très fortement l'atmosphère de l'œuvre tout entière, tant par leur longueur que par la masse d'exécutants qu'ils mobilisent. Le chœur final propose une grandiose méditation sur la vie éternelle et laisse l'auditeur sur une note solennelle qui, comme les chœurs conclusifs des trois autres parties, vient nuancer a posteriori ce que d'autres morceaux avaient de subtilement populaire.
L'oratorio aux XIXe et XXe siècles
Il est malaisé d'expliquer pour quelles raisons l'oratorio est entré en décadence au début du XIXe siècle, à partir du Christ au mont des Oliviers de Beethoven (1803). Non que les compositeurs s'en soient entièrement détournés : la production d'oratorios continua à un rythme assez élevé dans toute l'Europe ; mais les musiciens de théâtre, qui s'illustraient souvent jusque-là dans les deux genres, semblent avoir désormais manifesté une préférence presque exclusive pour l'opéra. C'est en Allemagne que l'oratorio s'est le mieux maintenu, grâce à une profonde tradition chorale et symphonique ; mais, si l'on excepte quelques œuvres au langage résolument novateur, comme Christus (1856-1866) et la Légende de sainte Élisabeth de Liszt (1862), l'ensemble de la production reste marqué par un certain académisme, voire par un archaïsme délibéré. Les œuvres les plus célèbres du romantisme allemand sont Saint Paul (1836) et Élie (1846) de Mendelssohn, qui connurent leur plus grande vogue en Angleterre. Le culte de Haendel dans ce pays, combiné à l'organisation de gigantesques festivals de musique chorale (Three Choirs, Leeds, Birmingham), a assuré à l'oratorio une place centrale dans la vie musicale anglaise, même si la créativité n'y était guère stimulée. Des œuvres originales apparurent avec le renouveau de l'école nationale anglaise, illustré essentiellement par Edward Elgar (The Dream of Gerontius, 1900 ; The Apostles, 1903). Les générations suivantes prirent le relais, avec Belshazzar's Feast de Walton (1931) et A Child of our Time de Tippett (1941). Bien qu'un assez grand nombre de compositeurs français se soit essayé au genre dans le courant du XIXe siècle, seules sont restées au répertoire l'Enfance du Christ de Berlioz (1854) et les Béatitudes de César Franck (1879), auteur également de Ruth (1846). Citons encore Rédemption de Gounod (1882). Les deux principaux oratorios français du XXe siècle, le Martyre de saint Sébastien de Debussy (1911) et Jeanne d'Arc au bûcher d'Honegger (1934) sont des commandes d'Ida Rubinstein et ont d'abord été conçus pour la scène ; cependant, on ne les joue plus guère qu'en version de concert, en « oratorio ». Le terme en est, en effet, arrivé à désigner l'exécution d'une œuvre musicale dramatique sans représentation scénique. C'est ainsi que l'on qualifie, faute d'un meilleur terme, certaines compositions profanes de Haendel (Ode à sainte Cécile, par exemple), l'Œdipus Rex de Stravinski (1927) ou de nombreuses œuvres officielles de Chostakovitch, Prokofiev, Sviridov (Oratorio pathétique, 1960) ou Kabalevski, dénuées de toute référence sacrée. Le sentiment religieux continue cependant à inspirer des oratorios jusqu'à nos jours, avec, par exemple, le Roi David d'Honegger (1921), le Mystère des Innocents de Barraud (1946), la Transfiguration de Messiaen (1969) ou Dies irae (1967) et Utrenja (1969-1971) de Penderecki.