Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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oratorio (suite)

Les oratorios de Haydn

Les deux grands oratorios de Haydn, la Création (1798) et les Saisons (1801), pour être en langue allemande, plongent leurs racines dans des traditions bien plus variées que celle de la musique d'inspiration luthérienne. Ils suivirent de près la version vocale des Sept Paroles du Christ (1796). L'influence de Haendel est particulièrement sensible dans la Création, composée sur un texte adapté de l'anglais par le baron Van Swieten. Mais ce sont surtout les caractéristiques du langage musical classique qui font la grandeur de cette œuvre, à la fois monumentale dans ses proportions et d'un extrême raffinement dans les détails. La trame de la Création est constituée par des récitatifs, tantôt simples, tantôt accompagnés (avec d'abondants effets descriptifs). Le récit des six jours de la Création est commenté par des solistes représentant trois archanges (Gabriel [s], Uriel [t], Raphaël [b]), et par un chœur, dont les interventions forment la charpente de l'édifice musical. Les airs sont d'une diversité formelle étonnante, comparable à celle des airs d'opéra de Mozart ; l'héritage de ce dernier se manifeste également par un style vocal proche de la Flûte enchantée, en particulier dans les parties de soprano (Gabriel-Pamina) et de ténor (Uriel-Tamino). La troisième partie est consacrée à Adam et Ève (bar-s), et constitue un hymne à l'amour dont les diverses péripéties sont déterminées par des raisons d'ordre purement musical. Les Saisons ajoutent aux caractéristiques relevées dans la Création une atmosphère qui rappelle parfois tout autant l'opéra-comique allemand (le Singspiel) que l'oratorio proprement dit. Le sujet n'en est pas spécifiquement religieux : le poème de Van Swieten, inspiré de Thomson, est mi-descriptif mi-moralisant, et brode sur le cycle de la nature et les beautés de la vie à la campagne. Les solistes ne représentent plus des archanges, mais des paysans : Lucas (t), Simon (b) et sa fille Hanne (s). Mais ces personnages ne prennent à aucun moment une vie autonome : même le duo d'amour de Lucas et de Hanne, par exemple, n'est rattaché à aucune intrigue, à aucun arrière-plan dramatique cohérent. Les chœurs ont ici une double fonction, caractéristique de tant d'oratorios : tantôt ils représentent l'ensemble des fidèles, comme dans la Création, tantôt ils assument un rôle purement profane et mettent en scène un groupe de chasseurs, de vendangeurs ou de fileuses. Les chœurs d'inspiration religieuse sont relativement peu nombreux (nos 6, 9, 12 et 44), mais marquent très fortement l'atmosphère de l'œuvre tout entière, tant par leur longueur que par la masse d'exécutants qu'ils mobilisent. Le chœur final propose une grandiose méditation sur la vie éternelle et laisse l'auditeur sur une note solennelle qui, comme les chœurs conclusifs des trois autres parties, vient nuancer a posteriori ce que d'autres morceaux avaient de subtilement populaire.

L'oratorio aux XIXe et XXe siècles

Il est malaisé d'expliquer pour quelles raisons l'oratorio est entré en décadence au début du XIXe siècle, à partir du Christ au mont des Oliviers de Beethoven (1803). Non que les compositeurs s'en soient entièrement détournés : la production d'oratorios continua à un rythme assez élevé dans toute l'Europe ; mais les musiciens de théâtre, qui s'illustraient souvent jusque-là dans les deux genres, semblent avoir désormais manifesté une préférence presque exclusive pour l'opéra. C'est en Allemagne que l'oratorio s'est le mieux maintenu, grâce à une profonde tradition chorale et symphonique ; mais, si l'on excepte quelques œuvres au langage résolument novateur, comme Christus (1856-1866) et la Légende de sainte Élisabeth de Liszt (1862), l'ensemble de la production reste marqué par un certain académisme, voire par un archaïsme délibéré. Les œuvres les plus célèbres du romantisme allemand sont Saint Paul (1836) et Élie (1846) de Mendelssohn, qui connurent leur plus grande vogue en Angleterre. Le culte de Haendel dans ce pays, combiné à l'organisation de gigantesques festivals de musique chorale (Three Choirs, Leeds, Birmingham), a assuré à l'oratorio une place centrale dans la vie musicale anglaise, même si la créativité n'y était guère stimulée. Des œuvres originales apparurent avec le renouveau de l'école nationale anglaise, illustré essentiellement par Edward Elgar (The Dream of Gerontius, 1900 ; The Apostles, 1903). Les générations suivantes prirent le relais, avec Belshazzar's Feast de Walton (1931) et A Child of our Time de Tippett (1941). Bien qu'un assez grand nombre de compositeurs français se soit essayé au genre dans le courant du XIXe siècle, seules sont restées au répertoire l'Enfance du Christ de Berlioz (1854) et les Béatitudes de César Franck (1879), auteur également de Ruth (1846). Citons encore Rédemption de Gounod (1882). Les deux principaux oratorios français du XXe siècle, le Martyre de saint Sébastien de Debussy (1911) et Jeanne d'Arc au bûcher d'Honegger (1934) sont des commandes d'Ida Rubinstein et ont d'abord été conçus pour la scène ; cependant, on ne les joue plus guère qu'en version de concert, en « oratorio ». Le terme en est, en effet, arrivé à désigner l'exécution d'une œuvre musicale dramatique sans représentation scénique. C'est ainsi que l'on qualifie, faute d'un meilleur terme, certaines compositions profanes de Haendel (Ode à sainte Cécile, par exemple), l'Œdipus Rex de Stravinski (1927) ou de nombreuses œuvres officielles de Chostakovitch, Prokofiev, Sviridov (Oratorio pathétique, 1960) ou Kabalevski, dénuées de toute référence sacrée. Le sentiment religieux continue cependant à inspirer des oratorios jusqu'à nos jours, avec, par exemple, le Roi David d'Honegger (1921), le Mystère des Innocents de Barraud (1946), la Transfiguration de Messiaen (1969) ou Dies irae (1967) et Utrenja (1969-1971) de Penderecki.

orchestration

Littéralement, art d'écrire pour l'orchestre en tenant compte des possibilités de chaque instrument, des effets de leurs sonorités opposées ou combinées, et d'une certaine logique musicale dans la façon d'associer les couleurs instrumentales, d'amener et de varier leurs interventions, etc. Plus spécifiquement, on appelle orchestration l'étape de la composition musicale consistant à déterminer et à spécifier la répartition du discours musical entre les différents instruments selon une optique où ce discours musical peut s'écrire et se concevoir d'abord dans une version « réduite », sur deux ou trois portées, comme une partition de piano, avant d'être déployé dans l'orchestre. En fait, la plupart du temps, même dans la musique classique, où le compositeur écrit sa partition à grands traits avant de l'orchestrer, les choix d'orchestration sont déterminés explicitement ou implicitement au stade même de la conception de l'œuvre ; et on aurait tort de croire que le compositeur ne se pose la question de l'orchestration qu'au moment où il passe à l'étape qui porte ce nom.

   Ce terme s'applique aussi à la réalisation de la version orchestrale d'une œuvre primitivement écrite pour un ou des solistes : orchestration par Ravel des Tableaux d'une exposition de Moussorgski (l'œuvre est originellement pour piano), du Ricercare de l'Offrande musicale de Bach par Webern, de l'Invitation à la valse de Weber par Berlioz, etc. En ce sens, l'inverse de l'orchestration, c'est la réduction, qui adapte l'œuvre d'orchestre pour la rendre jouable par un ou deux solistes (réductions-transcriptions pour piano de Liszt).

   Par ailleurs, on appelle aussi orchestration le résultat de ce travail, c'est-à-dire la qualité et l'originalité orchestrale d'une œuvre quelconque. Dans la musique occidentale, certains compositeurs sont considérés comme de grands « orchestrateurs », c'est-à-dire comme de grands inventeurs de solutions et de trouvailles dans ce domaine : Berlioz, Richard Strauss, Ravel, Tchaïkovski, Rimski-Korsakov, Stravinski, Bartók ­ par opposition à ceux que l'on considère, à tort ou à raison, comme des orchestrateurs médiocres (Schumann) ou banals et fonctionnels, soucieux seulement de bien « faire entendre » les parties musicales (Brahms, Franck). C'est dire que l'orchestration est une étape particulière de la composition, qui n'a cessé de gagner en importance avec l'évolution de la musique occidentale. Les compositeurs contemporains considèrent généralement que l'acte d'orchestrer ne doit pas être le dernier stade de la composition et que le choix des timbres revêt une telle importance qu'il doit être décidé d'emblée.