Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
P

Puccini (Giacomo)

Compositeur italien (Lucques 1858 – Bruxelles 1924).

Issu d'une vieille famille de musiciens d'église ­ son grand-père Domenico écrivit aussi pour le théâtre ­, il perdit son père en 1864, fit ses premières études au séminaire, puis entra à l'Institut musical de Lucques en 1874, y écrivant son Prélude symphonique (1876) et diverses œuvres religieuses, réunies plus tard en une messe (1880).

   Fortement marqué par une représentation d'Aïda vue à Pise en 1876, il décida de se consacrer au théâtre et réussit brillamment un examen d'entrée à Milan en 1880. Doté d'une bourse exceptionnelle de la reine, il y étudia avec Bazzini et Ponchielli et obtint son diplôme en 1883 avec son Caprice symphonique (dont il réutilisera des fragments inaltérés treize ans plus tard dans La Bohème), ayant, en outre, composé des mélodies et un quatuor à cordes. L'originalité et le modernisme de son écriture éclatèrent dès son premier opéra, le Villi, d'après Heine et Th. Gautier, joué en 1884 au Del Verme de Milan. Dédaigné par le jury du concours organisé par la jeune Maison Sanzogno, cet opéra attira l'attention de l'éditeur Ricordi, qui accorda sa confiance et son aide financière au jeune musicien. Puccini put ainsi travailler durant quatre ans à Edgar, d'après la Coupe et les lèvres de Musset, créé sans succès à la Scala de Milan en 1889 ; réduit de 4 actes à 3, l'opéra reçut un meilleur accueil à Ferrare en 1892. Ricordi n'en avait pas moins conservé sa confiance à Puccini, qui, par ailleurs, menait une vie sentimentale difficile, vivant avec la femme d'un de ses amis, Elvira, qu'il ne put épouser qu'en 1904.

   Ayant vu Sarah Bernhardt jouer la Tosca de V. Sardou en 1889, Puccini s'était enflammé pour ce sujet, mais ne pouvant en obtenir les droits, il décida, quatre ans après le succès de la Manon de Massenet, de traiter le même thème, et, au terme de longs démêlés avec plusieurs librettistes, fit représenter sa Manon Lescaut à Turin en 1893, huit jours avant la création du Falstaff de Verdi à Milan. Ce fut un triomphe, et l'œuvre fut jouée dans toute l'Italie, en Amérique du Sud, en Russie, en Espagne et en Allemagne l'année même, à Lisbonne, Budapest, Londres, Prague, Montevideo et Philadelphie en 1894, bientôt à Mexico, à Varsovie, New York, Athènes, etc., n'atteignant toutefois la France qu'en 1906 (à Nice et à Bordeaux).

   La succession de Verdi semblait dès lors assurée, et, désormais célèbre, Puccini se fixa à Torre del Lago, près de Lucques. C'est là qu'il écrivit sa Bohème, d'après Murger ; cet opéra, créé à Turin en 1896 sous la baguette de Toscanini, connut un départ incertain, tant l'orchestration et l'harmonie en parurent révolutionnaires, contrastant avec le sentimentalisme postromantique de Manon Lescaut. L'œuvre s'affirma néanmoins rapidement, alors que, Franchetti lui en ayant abandonné généreusement les droits, Puccini put enfin écrire sa Tosca, qui, créée à Rome en 1900, fut jouée immédiatement dans le monde entier, triomphant devant les publics les plus traditionnels, malgré son langage extrêmement audacieux.

   Après avoir traité cinq sujets d'inspiration française, c'est durant un voyage à Londres que Puccini découvrit le drame de John Luther Long qui lui inspira Madame Butterfly, dont l'achèvement fut retardé par son grave accident d'automobile de 1903, et qui, après son échec initial à la Scala de Milan en 1904, triompha à Brescia trois mois plus tard dans une version remaniée. Alors qu'il supervisait en Amérique la production de ses œuvres, il trouva dans une pièce de Belasco un nouveau thème de dépaysement, le Far West : La Fanciulla del West fut créée triomphalement au Metropolitan Opera en 1910 avec Caruso et E. Destinn, sous la baguette de Toscanini, et cette réussite rasséréna Puccini qui, d'une part, avait usé ici d'un langage très hardi et qui, d'autre part, venait de traverser une crise personnelle très grave, Elvira Puccini ayant été jugée responsable du suicide d'une jeune servante qu'elle avait injustement accusée d'être la maîtresse de son mari.

   Au faîte de la gloire, bien que vilipendé par une certaine presse, notamment en France, Puccini entreprit des œuvres de caractères divers : un projet d'opérette à la viennoise, mais que les circonstances politiques durent modifier et dont il fit un opéra (la Rondine, créée à Monte-Carlo en 1917) ; 3 œuvres courtes réunies sous le titre de Triptyque (créées à New York en 1918) ; la Houppelande, drame vériste de Didier Gold, nimbé d'un climat musical impressionniste ; Suor Angelica, douloureuse tragédie sentimentale imaginaire située dans la Florence de la Renaissance ; Gianni Schicchi, tiré de l'Enfer de Dante et où Puccini renouait avec la grande tradition du comique remise à l'honneur par Verdi dans Falstaff et surtout par Wolf Ferrari au début du siècle, dans ses comédies lyriques inspirées par Goldoni. C'est à un autre Vénitien classique, Carlo Gozzi, que Puccini emprunta le thème de son dernier opéra, Turandot, dans lequel la fable exotique (un sujet chinois tiré d'une légende persane) s'effaçait devant la dimension du grand opéra auquel le musicien avait songé toute sa vie. Audacieuse dans son harmonie, d'une rare difficulté d'exécution, l'œuvre ne put être achevée par son auteur qui, victime d'un douloureux abcès à la gorge, s'éteignit dans une clinique de Bruxelles après une opération infructueuse. L'opéra fut achevé par son ami Alfano, qui récusa parfois les esquisses laissées par Puccini, et créé à la Scala de Milan en avril 1926 ; lors de la première, la représentation s'acheva par la scène de la mort de Liù, là où le compositeur avait posé la plume.

   La célébrité de Puccini a longtemps reposé sur des malentendus, ses partisans et ses détracteurs ayant cru pouvoir apparenter son œuvre total au courant vériste, dont il s'était pourtant si nettement démarqué ; en outre, cette célébrité s'appuya d'abord sur l'adhésion des amateurs traditionnels de l'opéra du XIXe siècle, amoureux des effusions lyriques contenues dans ses opéras, et séduits par son extraordinaire efficacité dramatique, mais parfaitement indifférents aux si importantes innovations de son théâtre et de son langage orchestral et harmonique. C'est pourquoi cette gloire fut jugée suspecte par une certaine « élite » de la musicologie, qui, il faut en convenir, ne s'était guère attardée à étudier ses partitions. Mais, si Debussy, Fauré ou Dukas ont émis des jugements qui ne leur font pas honneur, ce furent aussi, dès l'abord, des compositeurs tels que Mahler et Ravel qui clamèrent leur admiration pour Puccini, cependant que les premiers musicologues à avoir resitué ce musicien parmi les grands novateurs du siècle furent deux spécialistes de la musique moderne, l'Américain Mosco Carner et le Français René Leibowitz.

   En fait, bien qu'élevé au sein de la scapigliatura milanaise, Puccini avait échappé à l'emprise du courant vériste, ses goûts le portant vers le romantisme (ses premiers inspirateurs furent Heine, Gautier et Musset), en même temps que sa formation sévère l'incitait à rendre à l'orchestre un rôle essentiel qu'avait négligé Verdi, créant, en outre, un climat harmonique nouveau, presque inconcevable en Italie. Enfin, son sens de la construction théâtrale, dont témoignent les incessants démêlés avec ses librettistes et l'extrême concision de ses livrets (pour ne pas parler de raccourcis excessifs) le portaient aux antipodes de la pompe romantique et des excès du vérisme. En même temps, son intimité avec la culture française lui dictait un langage harmonique apparenté à celui de Chabrier, et dont les audaces anticipèrent parfois celles de Debussy, tandis que son orchestration « éparpillée », axée sur l'individualité des timbres et la brièveté des cellules, précédait de plus de dix ans celle de Ravel : la Bohème est de douze ans antérieure à la première œuvre d'orchestre pur de Ravel. En outre, dans sa conception même de l'opéra, Puccini adoptait d'emblée les procédés récents de la mélodie continue (pour ne rien dire du chromatisme wagnérien de Tosca), en éliminant les airs séparés. Les quelques monologues contenus dans ses œuvres sont toujours en situation, plus brefs que ceux de l'opéra wagnérien, indispensables à l'action et toujours enchaînés dans le discours musical, et ils apparaissent de plus en plus rares au fur et à mesure de l'évolution du compositeur, pour ne même plus être assimilables à la notion d'aria dans ses dernières œuvres.

   Le génie de Puccini, dans sa conception du chant, fut d'avoir maintenu la pérennité de la voix chantée dans son intégrité, non seulement en confrontant une lignée mélodique « facile » à un langage orchestral complexe, mais en requérant de la voix toutes ses nuances sur toute son étendue, contrairement aux compositeurs véristes ; seuls les sujets de ses opéras sont parfois tributaires de l'esthétique de la « tranche de vie », encore que leur action soit trop souvent dépaysée dans le temps et dans la géographie pour y souscrire totalement. Enfin, si l'on excepte la grandiose tentative de Turandot, c'est à un phénomène de « raréfaction musicale », selon l'expression appliquée à l'œuvre de Webern, que l'on assiste dans son évolution, ses premiers opéras, jusqu'à Manon Lescaut se situant dans le postromantisme européen d'un Tchaïkovski, d'un Massenet, d'un Catalani, pour offrir dès la Bohème des audaces inconnues de ses contemporains (sinon du Rimski-Korsakov des dernières œuvres), auxquelles s'ajouteront l'utilisation du total chromatique (les accords de Scarpia au début de Tosca), l'utilisation de la gamme par ton (La Fanciulla del West), l'impressionnisme du Tabarro et la série du premier acte de Turandot.