France (XVIIIe s.) (suite)
La musique sacrée
Autant ce siècle remet en question le drame lyrique, autant, sur le plan de la musique sacrée, il vit sur son acquis, et notamment sur la formule grandiose du motet religieux à la Michel Richard Delalande (qui meurt en 1726), genre où l'on reconnaît aux Français une supériorité incontestable. La chapelle royale est toujours le foyer principal de cette production de musique spirituelle, avec Nicolas Bernier (1664-1734), avec Campra, plus « séducteur », qui se partage entre l'opéra et la musique spirituelle, avec les motets de Rameau. Quant à François Couperin (1668-1733), dont on reparlera plus loin, organiste de Saint-Gervais, il ne peut composer, dans le peu de place que lui laisse le monopole des « grands motets » conservé par Delalande, que des motets intimistes pour solistes accompagnés : mais ses Leçons de ténèbres, publiées en 1715, ont mieux franchi les âges que les grands motets versaillais, qui restent à redécouvrir. Mais le goût des motets comme pièces de concert amène la création en 1725, par Anne Danican Philidor (demi-frère du Philidor auteur d'opéras-comiques), du Concert spirituel, association qui jouera un grand rôle dans le développement de la musique française instrumentale, et dont l'objet, initialement, est de proposer des concerts pendant les jours de grandes fêtes religieuses où l'Opéra fait relâche. On y programme d'abord des grands motets et de la musique instrumentale, ou des divertissements en intermède. Au programme du premier concert figurent ainsi deux motets de Delalande, et le Concerto pour la nuit de Noël, de Corelli. Le Concert spirituel est dirigé de 1755 à 1762 par Mondonville, dont les motets y obtiennent un grand succès. Pendant la Querelle des bouffons, celui-ci est sacré champion de la musique française face aux Italiens, et cependant il introduit dans le genre des italianismes (vocalises, chœurs à l'unisson), tout en respectant son architecture « à la française ». Mais peu à peu le motet, où s'illustrent également Henri Madin et Esprit Blanchard, à force de se produire dans un cadre de concert, se théâtralise, devient imitatif, se trouve souvent remplacé par l'oratorio sacré, par définition plus narratif et spectaculaire. La fin du XVIIIe siècle est généralement considérée comme une période de dégénérescence de la musique sacrée, qui deviendrait plus mondaine et facile. En tout cas, la Messe des morts (1760), de François-Joseph Gossec (1734-1829), annonce par ses effets de masse et son utilisation de l'espace le Requiem de Berlioz.
Parallèlement, le Concert spirituel a une conséquence inattendue : il devient le creuset du développement des genres symphoniques et instrumentaux, sonates, concertos, symphonies.
La musique instrumentale
Dans la musique instrumentale du début de ce siècle se détache la figure de François Couperin (1668-1733). Né d'une famille d'organistes, grandi à l'ombre de l'église Saint-Gervais et formé à l'improvisation, il n'a laissé pourtant que deux pièces d'orgue, œuvres de jeunesse, les deux Messes (1690). C'est par ses quatre Livres de pièces pour clavecin, parus respectivement en 1713, 1716, 1722, 1730, et comprenant environ 230 pièces groupées par « ordres », et par sa méthode sur l'Art de toucher le clavecin, qu'il devient pour son temps et pour la postérité l'un des plus grands maîtres du clavecin et auquel Bach rend hommage. Il n'a jamais produit pour la scène, pour le théâtre, ni même pour grande formation. Devant la querelle qui traverse le siècle, il s'avoue neutre, et se plaît à honorer la mémoire de Lully et de Corelli par deux Apothéoses (1724, 1725), réconciliatrices. Le centre de son œuvre est représenté par ses pièces pour clavecin, avec leurs titres « à clefs », leur sensibilité ; mais l'œuvre de Couperin n'est pas celle d'un charmant miniaturiste, et Wanda Landowska l'a rapproché avec pertinence de Chopin : même intimisme, même façon de penser musique à travers un instrument, même style suggestif et « luthé », même « consubstantialité de l'harmonie et de la mélodie », dans une musique qui travaille au plus près de la résonance. Les clavecinistes et organistes de talent ne manquent pas à cette époque, même s'ils n'ont pas tous la dimension de Couperin : Elisabeth Jacquet de la Guerre (1665-1729), Nicolas Clérambault (1676-1749), Jean-François Dandrieu (1682-1738), Louis Marchand (1669-1732), Claude Balbastre (1727-1799), François d'Agincourt (1684-1758), Claude Daquin (1694-1772). Ici, la musique française se sent « chez elle ». C'est dans le domaine de l'orchestre, du concert, qu'elle apprend de l'étranger. Le Concert spirituel, fondé en 1725, en faisant connaître sonates et concertos italiens, ainsi que la musique « préclassique » des Stamitz et de Wagenseil, favorise l'éclosion d'une école instrumentale française aujourd'hui relativement négligée. Et pourtant, on peut reconnaître bien du talent à un Jean-Marie Leclair (1697-1764), pionnier du concerto et de la sonate française, et violoniste virtuose, comme l'étaient Jean-Pierre Guignon (1691-1755), Jacques Aubert (1689-1753), François Francœur (1698-1787). Ce dernier, par ailleurs homme de théâtre, collabora avec Jean Féry Rebel (1661-1747), membre des 24 violons du roi, et, avec Couperin, explora le genre de la sonate. On peut citer aussi Joseph Bodin de Boismortier (1691-1755), qui introduisit le concerto à trois parties, à l'italienne, et Michel Corrette (1709-1795), dont l'œuvre abondante et facile (le XXe s. a retenu ses Concertos comiques) est souvent citée en exemple de la « décadence » de la musique française vers une certaine banalité racoleuse et imitative, qui gagnait aussi la musique d'église et le répertoire d'orgue.
Le Concert spirituel ne fut pas le seul lieu où se développa le genre symphonique ; il faut mentionner le rôle joué par La Pouplinière, financier-mécène, qui entretint un orchestre et donna des concerts privés ; le chevalier de Saint-Georges († 1799) dirigea les concerts du Cercle de l'harmonie. Et en 1769 fut fondée à l'hôtel de Soubise une nouvelle association rivale du Concert spirituel, le Concert des amateurs. Cette émulation marque la naissance du concert moderne.
Naturellement, la Révolution intervient dans le cours de cette évolution, et pour un temps reconvertit les quelques compositeurs qui, par conviction ou par opportunisme, se mettent à son service, en chantres de la jeune République. Ses grandes fêtes civiques, commémorations, apothéoses, demandent une musique « engagée », musclée, souvent à très gros effectifs, et dans le style « romain » qu'on affectionnait, c'est-à-dire d'une éloquence rude, massive et mâle. François-Joseph Gossec (1734-1829) est le compositeur officiel de la Révolution, tandis qu'Étienne-Nicolas Méhul (1763-1817), auteur du Chant du départ, Jean-François Lesueur (1760-1837), et Luigi Cherubini (1760-1842), contribuent de leur jeune talent aux musiques des fêtes publiques. Le souvenir de ces musiques également oubliées, peut-être injustement, prête souvent à l'ironie des musicographes, mais il est certain que cette esthétique du grandiose populaire ne sera pas sans influencer le romantisme.
Mais la vie musicale continue. Dissoute en 1793 et transformée d'abord en Institut national de musique, l'École royale de chant et de déclamation, fondée par Louis XVI en 1784, deviendra, en 1795, le Conservatoire de musique, où entre Lesueur et auquel collaborent Gossec, Grétry, Cherubini (qui en deviendra le directeur en 1822). Les théâtres rouvrent. Si l'« idée » révolutionnaire n'a pas suscité d'emblée une musique toute rénovée, elle a lancé dans tout le siècle qui suit une inquiétude de progrès. On peut dire que le XIXe siècle fleurira sur un terrain longuement préparé par le siècle précédent.