Paris (suite)
La Renaissance
À partir du moment où Paris redevient la résidence principale des rois de France, la musique y fait partie du train de vie des rois, qui entretiennent des solistes, luthistes ou chanteurs, qui émargent comme « valets de chambre extraordinaires », et des ensembles, destinés à accompagner les solennités et les divertissements : ils sont répartis en plusieurs groupes, la Musique de la Chambre, fondée en 1530, la Musique de l'Écurie (1515) et, pour les cérémonies religieuses, la Chapelle royale, divisée par François Ier en Chapelle de plain-chant et en Chapelle de musique. Une lignée de grands musiciens comme Ockeghem, Jean Mouton, Claudin de Sermisy, Arcadelt, Costeley, dirigèrent cette chapelle.
Avoir son propre ensemble de musiciens, comme c'était le cas de Jean Cardinal de Lorraine, qui habitait l'hôtel de Cluny dans la première moitié du XVIe siècle, et qui entretenait une bande de violonistes italiens, c'était donc vivre sur le pied d'un prince ou d'un roi. C'est aussi au XVIe siècle, en 1548, que s'édifie le premier théâtre officiel de Paris (on sait que Paris sera d'abord, musicalement, une scène), qui est primitivement destiné aux représentations accompagnées de musique des mystères par les Confréries de la Passion : il s'agit de l'hôtel de Bourgogne, situé près des Halles. Ces mystères tendirent à devenir un spectacle populaire avec des farces et des intermèdes, ce qui les exposait aux critiques indignées de l'Église. Ils furent bientôt concurrencés sur le terrain du divertissement par les troupes italiennes (qu'Henri III contribua à introduire à la fin du XVIe siècle). Désormais, dès qu'il s'agira de musique dramatique à Paris, les Italiens seront en jeu, ce qui retardera en France l'implantation de l'opéra.
C'est aussi pendant cette période dite de la « Renaissance » que se développe à Paris, à la faveur de l'invention de l'imprimerie, l'édition musicale. Le recteur de la Sorbonne fait venir en 1470 des imprimeurs allemands, pour répandre l'usage de ce procédé. Au début du XVIe siècle, Paris devient un centre de publications, avec des éditeurs comme Michel Toulouze, le célèbre Pierre Attaingnant (qui édite de la musique liturgique mais aussi des compilations de danses diffusées dans toute l'Europe), ainsi que Duchemin, Le Roy, et la dynastie des Ballard.
Le XVIIe siècle
Ce siècle voit entre autres la création d'un certain nombre d'académies royales qui sont plus que des chapelles, puisqu'elles marquent un souci de faire de cette époque un grand siècle de « goût », où les arts florissent comme au temps des Anciens : ainsi, l'Académie royale de musique fondée par Lully en 1672. On voit le pouvoir se préoccuper de plus en plus de goût et d'esthétique. Certes la musique sacrée, gardienne de la tradition, est toujours la base de l'activité musicale, et on cherche à la préserver de toute contamination par le goût moderne du dramatique et du spectaculaire : mais les grands motets de Lalande, Campra, Bernier sont marqués par une pompe très séculaire, où le pouvoir centralisé se manifeste à lui-même autant qu'il rend à Dieu son dû. Les messes, les sermons, les représentations sacrées tendent à devenir de véritables opéras. Une riche école d'organistes se développe à Saint-Louis-des-Invalides, à Saint-Merri, à Saint-Gervais. C'est la grande époque de l'orgue liturgique français, avec Nivers, Dumont, Lebègue, François Couperin, Louis Marchand, et plus tard Dandrieu et Daquin qui, eux, marqueront une certaine sécularisation de l'orgue d'église (on vient entendre leurs improvisations pittoresques et imitatives). La facture d'orgue connaît aussi sa période classique, avec les Clicquot, Pierre Desenclos, Claude de Villiers, etc.
À l'ère des précieuses et des salons parisiens, faire donner chez soi de la musique est un signe de distinction même et surtout si l'on est de souche bourgeoise comme Colbert, ou comme le Bourgeois gentilhomme de Molière (« Au moins ne manquez pas de tantôt m'envoyer des musiciens pour chanter à table »). À côté de cette utilisation de la musique dans un cadre privé, dans une fonction d'ameublement, pour égayer et décorer les circonstances de la vie, il faut mentionner aussi les concerts privés, où l'on vient pour écouter : les premiers « concerts spirituels » (avant la société fondée officiellement sous ce nom par Philidor au début du XVIIIe s.) sont donnés chez eux par l'organiste Pierre de la Barre, l'abbé Mathieu, Jacques Champion de Chambonnières.
Le « Grand Siècle » voit la naissance à Paris de l'opéra, de la comédie-ballet. Les théâtres dépendent du soutien officiel du pouvoir d'où des intrigues, des rivalités, pour s'assurer des privilèges, occuper les rares lieux de théâtre, écraser la concurrence, notamment celle des théâtres populaires de la Foire, dont sortira pourtant, un siècle plus tard, un des rares genres spécifiquement français : l'opéra-comique. Ces troupes de foire doivent souvent ruser avec les lois qui leur interdisent l'usage de la déclamation et limitent le nombre de leurs musiciens.
Dans le théâtre officiel, les tragédies données à l'hôtel de Bourgogne sont souvent accompagnées d'intermèdes et de numéros musicaux, dont Charpentier, Lalande, Mouret, Raison fournissent les musiques. Beaucoup plus riche en éléments musicaux et chorégraphiques, la comédie-ballet naît avec la collaboration de Lully et Molière. Les salles sont encore en nombre limité. Au théâtre du Marais, on représente entre 1634 et 1673 des pièces « à machines » ou des opéras comme l'Ercole amante de Cavalli, donné en 1662.
Encouragé par l'appui de Mazarin, jusqu'à la mort de ce dernier en 1661, le librettiste Pierre Perrin demande l'autorisation de créer une Académie d'opéra française pour « représenter des pièces en vers et en musique, avec danses et machines ». Le privilège est finalement accordé en 1669, et l'œuvre que l'on considère comme le premier opéra français, Pomone, musique de Cambert, livret de Perrin, est créée en 1671 dans la salle dite « de la Bouteille », près de la rue de Seine, sur la rive gauche. Lully reprendra à Perrin son privilège, et, investissant une nouvelle salle rue de Vaugirard (salle du Bel-Air), il crée en 1673 son Cadmus et Hermione. La mort de Molière lui donne l'occasion de reprendre à la troupe de celui-ci la salle du Palais-Royal (l'ancienne, aujourd'hui disparue) que Molière avait partagée avec les Comédiens-Italiens.
Entre 1674 et 1687, Lully y fait représenter sa production, et le Palais-Royal devait rester la « maison de l'opéra » jusqu'à sa destruction par un incendie en 1763, après qu'elle a accueilli une centaine de créations de Lully, mais aussi de Collasse, Campra, Destouches, Mouret, et plus tard Rameau. Les Comédiens-Italiens, d'abord installés au Petit Bourbon, partagent ensuite le Palais-Royal avec Molière, puis, à la création de la Comédie-Française en 1680, ils obtiennent le vieil hôtel de Bourgogne (haut lieu de la tragédie française) pour y représenter des spectacles avec de la musique, parfois des parodies d'opéras, malgré les limitations d'effectifs imposées par les privilèges de Lully. Ils seront chassés en 1697 pour avoir brocardé Mme de Maintenon, mais un nouveau théâtre s'installe au Palais-Royal en 1716 sous le nom de Nouveau Théâtre-Italien.
Évidemment, il n'y a alors de vie orchestrale que dans la dépendance de l'Opéra : c'est l'orchestre de l'Opéra, conduit par Lully, puis, après la mort de celui-ci, par Marais, Mouret, Jean Ferry Rebel, qui donne des concerts publics variés, gratuits, souvent composés de pots-pourris d'opéras, d'ouvertures, de danses. Mais les musiciens de rue, regroupés dans la Confrérie de Saint-Julien des ménétriers, forment un réservoir d'instrumentistes qui sont plus ou moins absorbés par les orchestres officiels, les Vingt-Quatre Violons, l'orchestre de l'Écurie, celui de l'Opéra.
Ajoutons qu'à l'Opéra fut adjointe une école de chant et de danse qui put former les professionnels dont l'opéra français, contraint jusque-là souvent d'importer ses interprètes, avait besoin.