Reibel (Guy)
Compositeur français (Strasbourg 1936).
Nanti d'une formation d'ingénieur, et après des études musicales chez Serge Nigg et Olivier Messiaen, il entre en 1963 au Groupe de recherches musicales de Paris, où il commence par collaborer aux recherches de Pierre Schaeffer sur la perception du son et l'objet sonore. Il s'affirme ensuite comme compositeur, avec une production d'œuvres où la voix humaine (traitée en général collectivement : chœurs, groupes, et ensembles vocaux) ainsi que les moyens électroacoustiques tiennent une place importante. Il a acquis une certaine réputation dans le milieu des chorales d'amateurs, avec un grand nombre de pièces musicales et de jeux musicaux, écrits à leur intention, dans une notation et une conception modernes, mais accessibles à tous. Il n'a pas délaissé pour autant les chanteurs professionnels, auxquels il a destiné des pièces pour ensemble vocal, où des textes poétiques sont parfois utilisés comme prétextes phonétiques, réservoirs de mots et de sonorités à faire éclater dans tous les sens : Chanson de Geste (1971, sur des textes de poètes contemporains) et Ode à Villon (1972), entre autres.
Une certaine superficialité, quand il s'agit d'aborder un texte ou de traiter un propos explicite, se révèle avec la Suite pour Edgar Poe (1972), pour bande magnétique, ou dans l'opéra choral Rabelais en liesse (1974). Ses œuvres « abstraites » sont plus convaincantes, comme Antinote (1967), pour bande, et les Variations en étoile (1967), pour bande magnétique avec percussion en direct ad libitum, essai plutôt réussi dans un genre classique en musique électroacoustique : celui qui consiste à créer une œuvre entière à partir de quelques sons de base soumis à de nombreuses manipulations, qui en tirent la plus grande variété possible de dérivés. Avec Vertiges (1969), pour guitare électrique et bande, se manifeste son goût pour les sons aigus, crissants, spasmodiques, goût dont témoignent aussi les Granulations-Sillages (1976), œuvre électroacoustique « multi-pistes ». Dans son important Triptyque électroacoustique (Signal sur bruit, Cinq Études aux modulations, Franges du signe, 1973-74), Reibel donne peut-être le meilleur de lui-même, mettant sa faconde et son habileté au service d'un propos plus inspiré, plus médité, canalisé dans une forme plus puissante et plus efficace.
Reich (Steve)
Compositeur américain (New York 1936).
Avec son compatriote Phil Glass, il est le plus talentueux représentant de la tendance « répétitive », qu'il a inventée, et qui a connu beaucoup d'imitateurs. Sa musique est en effet fondée, en général, sur le traitement par répétition, emboîtement, superposition, décalage, de motifs plus ou moins brefs ces motifs de base possédant toujours une pulsation rythmique très affirmée et régulière, et un centre d'attraction tonale également très défini (accord parfait, gamme diatonique, etc.). Sur ces deux points, la musique de Steve Reich s'est toujours radicalement opposée à la tendance atonaliste postsérielle.
C'est à l'âge de quatorze ans que Steve Reich commence à découvrir la musique classique : notamment Bach et la musique baroque, Stravinski, Bartók, Webern, qui, avec le jazz et les musiques africaines et balinaises, et, plus tard, avec la cantillation hébraïque, seront ses principales sources d'inspiration. Durant ses études de philosophie, sa vocation musicale se cristallise : il entre en 1958 à la Juilliard School. Au Mills College (Californie), il étudie avec Berio et Milhaud tout en cherchant dans des directions nouvelles. C'est à travers une œuvre pour bande magnétique, It's Gonna Rain (1965), basée sur le simple « déphasage » et « rephasage » d'une boucle de voix humaine superposée à elle-même sur deux magnétophones tournant simultanément, qu'il découvre la technique de déphasage (c'est-à-dire de décalage entre des phénomènes périodiques superposés), qui commandera sa musique jusqu'en 1971. Il en déduit le principe d'une musique conçue comme « processus graduel », c'est-à-dire construite comme le déroulement implacable et précis d'une loi simple qui commande à la fois « l'ensemble des détails note après note (son après son) et la totalité de la forme (comme dans un canon ad infinitum) ». La vieille structure du canon, ainsi que le procédé de développement par augmentation, sont deux des bases de son écriture qui appartiennent au fond ancestral de la musique traditionnelle occidentale.
En effet, s'il a étudié, en interprète autant qu'en compositeur, les musiques africaines (tambourinage africain, étudié au Ghana, en 1970) et balinaises (apprentissage du jeu de gamelan balinais, en 1973 et 1974, aux États-Unis), il se réclame sans gêne d'une continuité avec la tradition occidentale. Dans le même sens, il abandonne rapidement l'utilisation des moyens électroacoustiques, après Come Out (1966), et Melodica (1966), deux œuvres pour bande magnétique dans la lignée de It's Gonna Rain, pour faire réaliser ses projets de composition par des instrumentistes jouant en direct. En effet, si sa musique, dans sa rigueur « mathématique » de rythme et de structure, semble demander aux interprètes une précision de machines, cette précision demeure toujours, comme chez les Balinais, une précision humaine, et sensible comme telle, et non la précision indifférente d'un mécanisme, d'autant que Steve Reich affirme son attachement à la beauté du son instrumental traditionnel, franc et lumineux. Ses premières œuvres « répétitives » pour instruments explorent de manière assez didactique et systématique des processus simples de déphasage : Piano Phase (1967), pour deux pianos ; Violin Phase (1967), pour quatre violons (ou pour violon et une bande magnétique diffusant l'enregistrement des autres parties) ; Four Organs (1969), pour quatre orgues électriques et maracas ; Phase Patterns (1970), pour quatre orgues électriques. Installé à New York depuis 1965, il y a collaboré avec des chorégraphes et rencontré des cinéastes, sculpteurs et vidéo-artistes d'« avant-garde ». Enfin, il a fondé son propre ensemble, Steve Reich and Musicians, pour expérimenter et exécuter sa musique, et y joue lui-même (piano, percussions, etc.), jugeant indispensable de s'investir comme interprète dans sa création.
De son étude du tambourinage au Ghana, il tire une longue œuvre nommée Drumming (1971), pour différentes percussions, sifflet, piccolo, et voix utilisées « instrumentalement ». Cette œuvre introduit des techniques nouvelles chez lui de changement graduel de timbre, et de « substitution progressive des temps aux pauses », et l'amène à abandonner les techniques de déphasage et sa conception antérieure de la composition comme développement d'un processus unique. Music for Mallet Instruments, Voices and Organ (1973), Music for 18 Musicians (1974-1976), Music for Large Ensemble (1978), Octuor (1979), Variations for Winds, Strings and Keyboard (1981) sont les étapes successives d'une évolution qui le mène à la fois vers un certain succès public, vers l'utilisation d'ensembles de plus en plus importants et différenciés dans leurs timbres, et vers l'emploi de structures musicales plus variées, inattendues, contrastées, colorées (jeu sur les timbres et sur des motifs beaucoup plus nombreux, utilisation, dans Music for 18 Musicians, au lieu d'un seul accord de base, d'un large « cantus firmus » harmonique de onze accords, etc.).
Sa musique est également marquée par sa redécouverte de la cantillation hébraïque (Tehillem [1981], pour trois voix de femme et ensemble instrumental, œuvre qui met en musique des textes tirés de psaumes bibliques très connus, comme le Psaume 19 et le Psaume 150).
La musique de Steve Reich s'impose par sa beauté apollinienne et rigoureuse, très dynamique cependant, et par la qualité de sa réalisation. Si, comme celle de Phil Glass, elle a été beaucoup imitée, elle est le fruit d'une grande indépendance d'esprit, notamment vis-à-vis de l'influence, grande aux États-Unis, de John Cage. Par rapport à ce dernier, Reich a toujours souhaité une musique très déterminée, mais qui ne soit pas pour autant une effusion personnelle (il s'agit, dit-il, de « détourner son attention du lui, du elle, du toi et du moi pour la projeter en dehors, à l'intérieur du ça »). Il cherche à créer une beauté objective, où l'homme trouve une certaine extase qui n'est pas sans résonances religieuses. En 1993 a été créé The Cave.