Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
E

El Bacha (Abdel Rahman)

Pianiste libanais et français (Beyrouth 1958).

Il étudie le piano avec Zvart Sarkissian puis au Conservatoire de Paris avec Pierre Sancan. Lauréat du Concours Long-Thibaud en 1975 et du Concours Reine Élisabeth de Belgique en 1978, il se produit rapidement dans le monde entier. En 1983, son premier disque consacré à Prokofiev obtient le Grand Prix de l'Académie Charles-Cros. Maîtrisant un vaste répertoire de concertos, il interprète avec bonheur Beethoven, dont il a enregistré l'intégrale des sonates pour piano. Mais il est aussi très attaché aux œuvres de Bach, Mozart, Chopin, Schumann et Ravel.

électroacoustique (musique)

Locution utilisée en France pour désigner une technique musicale, et même un genre apparus dans les années 50 : il s'agit de la musique pour bande magnétique réalisée en studio par le compositeur, et utilisant indifféremment des sons d'origine « concrète » (enregistrés par micros) et des sons « électroniques » (issus d'appareils tels que : générateurs électroniques, synthétiseurs, ordinateurs, etc.) qui sont manipulés, assemblés, organisés, pour aboutir à des œuvres destinées à être diffusées par haut-parleurs.

Une œuvre de musique électroacoustique n'a donc d'existence matérielle que sur le support de la bande magnétique, comme le film sur sa pellicule. La partition ne joue donc ici, en général, qu'un rôle secondaire pour la préparation de l'œuvre, sa réalisation en studio ou sa diffusion en concert. Ce n'est pas le cas des musiques électroacoustiques en direct, appelées aussi « live electronic music ».

   On considère généralement que la musique électroacoustique date de 1956, année où fut réalisé par Karlheinz Stockhausen le Chant des adolescents (Gesang der Jünglinge), qui passe pour être la première œuvre à avoir utilisé en même temps des « sons concrets » (ici la voix d'un petit garçon) et des sons électroniques. Auparavant, la musique électroacoustique existait surtout sous la forme de deux courants distincts et même plus ou moins rivaux : la musique concrète française fondée et défendue par Pierre Schaeffer, et la musique électronique allemande n'utilisant que des sons issus de « générateurs » (ancêtres encore rudimentaires des actuels synthétiseurs). La même année 1956, une musique de ballet de Pierre Henry, Haut-Voltage, associait également sons électroniques et concrets. Dans la fin des années 50, la distinction des musiques concrètes et électroniques cessa d'être aussi tranchée qu'elle l'était et les compositeurs utilisèrent de plus en plus fréquemment les deux types de sources. Ce qui ne veut pas dire qu'on n'a plus créé ensuite d'œuvres purement « concrètes » (comme les monuments récents de Pierre Henry : Futuristie, Dieu) ou purement « électroniques » ­ ce qui est le cas de la production courante de nombreux studios, surtout depuis l'apparition du synthétiseur. Mais on a cessé de faire de l'emploi de l'un ou l'autre de ces deux types de sources une pierre de touche, un critère esthétique. Et si les traditions propres de la musique concrète et de la musique électronique (la première plutôt empirique et sensible, la seconde plutôt systématique et abstraite) continuent à exister dans la musique électroacoustique actuelle, c'est mêlées et distinctes à la fois.

   On peut signaler, par ailleurs, que l'expression musique électroacoustique est typiquement française : le genre se dénomme en anglais « electronic music » ou « tape music », en allemand « elektronische Musik », en italien « musica elettronica ». Si l'on y trouve aussi des expressions comme « elektroakustische Musik », les autres langues sont loin de faire nos subtiles distinctions, ce qui est normal, puisque c'est en France surtout que la musique électroacoustique a fleuri comme un genre à part, avec ses créateurs propres, ses circuits de diffusion, voire son public spécifique.

   Même en France, cependant, sa situation est loin d'être simple : elle est à la fois un genre et une technique, et cette technique est susceptible d'être associée de mille façons aux techniques traditionnelles (musique « mixte », pour instruments et bande magnétique) et d'évoluer dans les directions les plus variées. Le mot d'ordre de certains centres de recherches récemment fondés, comme l'I. R. C. A. M. de Paris, rejoignant en cela le goût croissant de la musique contemporaine pour les hybridations, le mélange des moyens, semble être d'arracher cette musique à son isolement pour la pratiquer en association avec les techniques instrumentales, audiovisuelles, etc. Le sens de l'histoire leur donnerait-il bientôt raison qu'il ne faudrait pas pour autant déplorer ce statut marginal, qui nous a valu des chefs-d'œuvre comme ceux de Pierre Henry, François Bayle, Bernard Parmegiani, Alain Savouret, Ilhan Mimaroglu, etc., où se trouvent approfondis et exaltés les moyens propres de la musique électroacoustique.

Panorama historique

Entre la fin des années 50 et le début des années 70, on assiste à une lente et sûre progression de la musique électroacoustique sur le terrain qu'elle s'est définie, cependant qu'on voit apparaître les premières tendances qui la mèneront à son actuel éclatement. En 1958, le Groupe de recherches musicales reçoit son nom définitif et engage, sous la direction de Schaeffer, les importantes recherches dont le bilan a été consigné dans le Traité des objets musicaux, paru en 1966. Pierre Henry crée dans son studio « Apsome », fondé en 1958, ses premiers grands classiques : la Noire à soixante, Voyage, Variations pour une porte et un soupir, etc. Des studios apparaissent dans le monde entier, entre autres à Milan (1953), Tokyo (1953), Varsovie (1957), Utrecht (1961), etc. La fin des années 60 et le début des années 70 voient une floraison de grands monuments qui marquent le genre : Hymnen (1967) de Stockhausen, Espaces inhabitables (1966), Jeïta (1970) et l'Expérience acoustique (1970-1973) de Bayle, l'Apocalypse de Jean (1968), Fragments pour Artaud (1965-1968) et Mouvement-Rythme-Étude (1970) de Pierre Henry, Pour en finir avec le pouvoir d'Orphée (1972) de Parmegiani, etc. Cependant, dans les années 60, on a vu apparaître les premières expériences de musique électroacoustique en direct (groupes Sonic Art Union, Nuova consonanza, Musica elettronica viva, etc.), de synthèse de sons par ordinateur (Mathews, Pierce, Risset, etc., aux États-Unis) et surtout le développement fulgurant du synthétiseur, qui concentre, sous un volume réduit et de façon maniable pour tous, un ensemble de possibilités de création de sons électroniques autrefois aussi coûteuses que malaisées à rassembler. On sait comment le synthétiseur s'est popularisé dans des versions instrumentales (appareils pour groupes pop, munis d'un clavier comme le piano) pour devenir une espèce d'orgue électronique perfectionné, et comme il a envahi tous les genres et tous les media (pop, jazz, variétés, cinéma, publicité, etc.). On sait aussi que le matériel nécessaire pour créer la musique électroacoustique s'est répandu, miniaturisé et démocratisé au point que ce que contenait de moyens techniques un studio professionnel du début des années 60 est aujourd'hui à la portée des particuliers. D'où la prolifération des studios privés, s'ajoutant aux studios publics animés par des groupes, qu'on connaissait jusqu'alors et qui continuent de se multiplier.

   C'est à une consécration, mais aussi à un éclatement de la musique électroacoustique qu'on assiste à la fin des années 70. Tout ce qui faisait sa spécificité (matériel de création, domaine sonore à part) lui a été emprunté par les musiques de grande diffusion pour être « récupéré » et vulgarisé. Dans un premier temps, la musique électroacoustique avait inspiré de nouvelles façons d'utiliser l'orchestre et l'instrument pour créer des « objets sonores » nouveaux, des blocs, des matières évoluantes (musiques « tachistes » et plastiques de Xenakis, Ligeti, de l'école polonaise). Dans un second temps, avec le développement de la « live electronic music » et de l'utilisation des instruments électrifiés, les musiciens sont en mesure de faire produire en direct, par des exécutants vivants, un grand nombre des effets et des matériaux sonores dont la création et la reproduction nécessitaient autrefois le studio et la bande magnétique. Mais croire que la musique électroacoustique n'a rien apporté de plus que de tels « effets » et de tels matériaux, désormais susceptibles d'être produits en direct, c'est méconnaître ce très grand pouvoir d'expression et d'organisation que demeure le montage, sans compter d'autres techniques de manipulation, de mélange, etc., qui exigent le travail en studio et le différé.

   Cependant, si la musique électroacoustique classique sur bande continue d'être pratiquée, le sentiment général s'affermit qu'elle ne serait plus la « musique de l'avenir », qu'elle aurait fait son temps. Son mode de diffusion ­ le concert de haut-parleurs, parfois agrémenté d'une « spatialisation » active de l'œuvre qui, tout en lui apportant beaucoup de vie, est rarement perçue comme une intervention vivante par l'auditoire ­ apparaît à beaucoup ingrat et archaïque. La curiosité, les espoirs tendent à se reporter vers des expériences plus globales, mêlant le son, l'image, les lumières, le geste. Et pourtant, tout est loin d'avoir été dit en musique électroacoustique : l'immense et riche domaine des sons concrets n'a-t-il pas été délaissé par presque tous les compositeurs, à peine avait-il été commencé à être défriché, au profit des facilités du synthétiseur ? À la fin des années 70, l'avenir de cette musique apparaît plutôt indécis. Certes, on investit aujourd'hui beaucoup de temps et d'argent sur les recherches de synthèses sonores par ordinateur. Depuis qu'elles ont commencé (années 60), elles ont apporté de nouvelles ressources sonores et quelques œuvres estimables ­ rien encore de grand, de fort, de bouleversant. Les révolutions viennent des hommes, et non seulement des moyens, et l'entichement actuel pour les technologies sophistiquées pourrait bien être le signe négatif d'un manque d'idées et de programmes plutôt que celui, positif, d'un glorieux « bond en avant ». Parallèlement à ces recherches lourdes réservées aux studios importants, la popularisation des micro-ordinateurs va-t-elle, en ouvrant le domaine de la synthèse sonore informatique aux particuliers, lui apporter un sang neuf ? On ne saurait encore le prévoir.