oratorio (suite)
L'oratorio de type métastasien
Plutôt que les termes de « galant », de « préclassique » ou de « napolitain », nous utiliserons l'expression « de type métastasien » pour qualifier l'oratorio de l'énorme production qui va des années 1720 à la fin du XVIIIe siècle, en passant par la Betulia liberata de Mozart (1771), Il Ritorno di Tobia de Haydn (1775) ou encore Abramo e Isacco de Myslivecek (1777). Comme dans l'opéra, en effet, l'oratorio a été dominé par Métastase, librettiste de génie, abbé de surcroît, dont chacun des sept livrets à thème sacré a été mis en musique plus d'une vingtaine de fois. Ce répertoire reste encore en grande partie inconnu, et l'on ne peut ici qu'en rapporter les caractéristiques principales : la prééminence de l'air da capo, l'abondance des passages de virtuosité vocale, et le nombre de chœurs plus élevé que dans l'opéra de la même époque. Un des rares représentants de l'oratorio de type métastasien que l'on joue encore, la Betulia liberata, composée par Mozart à l'âge de quinze ans, contient des morceaux d'une beauté un peu archaïque ; mais c'est là une œuvre correspondant à un stade tardif du genre, qui porte déjà trop nettement l'empreinte personnelle de Mozart pour que l'on puisse en tirer des conclusions sur le style général de la période. Le livret d'Il Ritorno di Tobia de Haydn n'est pas de Métastase, mais il est de type métastasien.
Haendel et l'oratorio anglais baroque
Quelques œuvres à sujet biblique mises à part, l'oratorio anglais naquit avec Esther de Haendel (1718), oratorio composé pour le « grand salon » du duc de Chandos. Le sort du genre en Angleterre se joua quatorze ans plus tard, lorsque Haendel décida de reprendre son oratorio au King's Theatre de Haymarket. L'évêque de Londres s'opposa à la représentation d'une œuvre à sujet religieux sur une scène profane, et Haendel fit exécuter Esther, comme tous ses oratorios ultérieurs, en version de concert (en « nature morte », comme l'avait remarqué un de ses contemporains). Une tradition moralisante a fait accréditer la légende que c'est par piété que Haendel avait délaissé le domaine de l'opéra italien pour l'oratorio anglais. Il est maintenant bien établi que Haendel a longtemps composé dans les deux genres à la fois, et que seules des contraintes d'ordre financier l'ont obligé, en 1741, à abandonner l'opéra. De 1742 (le Messie) à 1752 (Jephté), Haendel donna un nouvel oratorio par an en moyenne, en général au Théâtre royal de Covent Garden ou au Haymarket. Bien qu'il eût écrit deux oratorios en italien lors de son séjour à Rome, ses oratorios anglais se situent sur un tout autre plan que ceux que l'on représentait en Italie à la même époque. À l'alternance d'airs et de récitatifs s'ajoute une participation chorale massive, rendue possible par l'absence d'action scénique : il n'y avait plus, dès lors, le moindre inconvénient à reléguer les solistes au second plan, derrière des chœurs souvent très développés, combinant ou alternant l'écriture contrapuntique ou le style homophonique. Le chœur intervient souvent dans le Messie, en raison de sa nature non dramatique, et, plus encore, dans Israël en Égypte, où l'élément soliste est presque inexistant. Les airs eux-mêmes se ressentent d'un contexte différent de la scène d'un théâtre : les schémas da capo sont en minorité dans tous les oratorios de Haendel, sauf Esther (son premier essai dans le genre), et dans des œuvres aux implications particulièrement profanes, Susanna et Theodora. Cette caractéristique s'explique en partie par l'absence d'« airs de sortie » pour les personnages, en partie par l'abandon progressif des chanteurs italiens : pour des raisons à la fois financières et linguistiques, les vedettes de l'opéra ont progressivement cédé la place à des chanteurs anglais, moins épris de virtuosité vocale mais capables d'une communication plus directe avec le public.
Haendel eut des émules en Angleterre, comme Greene, Boyce et Arne. L'oratorio anglais resta cependant un genre peu représenté au XVIIIe siècle : les divertissements royaux et aristocratiques étaient plus rares et moins somptueux que ceux des cours continentales et séparaient nettement les cérémonies solennelles (avec anthems) des réjouissances profanes. En l'absence de grandes fêtes religieuses comme en Italie, l'oratorio se trouva, en général, relégué au contexte exclusivement laïc des concerts et des théâtres. Le premier oratorio à avoir été joué dans un lieu consacré est le Messie, que Haendel reprit en 1750 dans la chapelle du Foundling Hospital à des fins charitables. Un tournant capital fut la grande « Haendel Commemoration » de 1784 à l'abbaye de Westminster : ce festival a assuré aux oratorios de Haendel une continuité d'exécution qui ne s'est jamais arrêtée jusqu'à ce jour.
L'oratorio en France jusqu'à la Révolution
Le genre semblait avoir pris, au XVIIe siècle, un départ prometteur : Marc Antoine Charpentier, maître de chapelle de plusieurs églises parisiennes, séjourna à Rome dans les années 1660 et donna, à son retour, une série d'oratorios latins aux dénominations diverses (canticum, historia, dialogus, méditation) qui montrent une forte influence de Carissimi. À la mort de Charpentier, l'oratorio français ne réussit pas cependant à s'implanter, pour des raisons à la fois musicales et sociologiques. Contrairement à l'Italie, l'opéra n'était pas un pôle de créativité capable d'entraîner dans son sillage la composition de drames musicaux à thème religieux. La France ne comptait pas non plus, à la différence des pays luthériens, une multiplicité de grandes villes au public bourgeois pieux et épris de musique. Ce n'est qu'à l'arrivée de Mondonville à la direction du Concert spirituel, en 1755, que l'oratorio en français fit son entrée dans la vie musicale parisienne ; il ne subsiste malheureusement presque aucune partition de cette période. L'oratorio ne devint une composante régulière du Concert spirituel qu'à partir de 1774, date à laquelle Gaviniès, Leduc et Gossec assumèrent la direction de l'institution. La seule œuvre de cette période qui ait fait l'objet d'une reprise moderne est le Carmen seculare de Philidor (1779-80), dont la composition a cependant été suscitée par les milieux littéraires et musicaux de Londres. Les quatre « messes-oratorios » de Lesueur, exécutées à Notre-Dame en 1786 et 1787, constituent des expériences formelles intéressantes, mais elles sont restées sans descendance.
L'oratorio allemand jusqu'à Haydn
Si l'on met à part un certain nombre de « dialogues », tels le « Vater Abraham » de Schütz (v. 1625) ou les œuvres dramatiques de Buxtehude exécutées à Lübeck (seconde moitié du XVIIe siècle), les débuts de l'oratorio allemand se confondent avec les développements de la Passion. Sans doute faut-il voir là un effet de la religion luthérienne, car l'épisode de la Passion met l'accent à la fois sur la solitude du Christ et sur la responsabilité personnelle du pécheur devant la souffrance de Jésus. L'implication du fidèle dans les événements de la Passion est matérialisée par les nombreux chorals qui viennent en rythmer la narration : plus que dans les pays catholiques se trouvaient ainsi mêlées la représentation d'un drame et l'entreprise d'édification (le service divin) qui lui servait de cadre. La première Passion de ce type est la Passion selon saint Jean de Thomas Selle (1643), qui comporte trois « intermèdes » employant un chœur, des instruments et des solistes vocaux. Le plus grand représentant du genre fut tout d'abord Heinrich Schütz.
Le XVIIIe siècle
C'est cependant dans la première moitié du XVIIIe siècle que la Passion connut son développement le plus important, sans doute sous l'impulsion de l'opéra en vogue à Hambourg dans les dernières années du XVIIe siècle. La postérité a retenu les deux Passions existantes de Jean-Sébastien Bach, mais de nombreuses œuvres importantes ont été perdues, de la plume de Mattheson ou de Telemann, qui composa une Passion par an entre 1722 et 1767. Comme en Italie, l'oratorio allemand passa rapidement des églises aux salles de concerts ou à tous lieux permettant de grands rassemblements, comme le Drillhaus (caserne) de Hambourg. Un texte de Carl Philipp Emanuel Bach, en préface aux Israélistes dans le désert (1769), exprime clairement ce processus de désacralisation : « Cet oratorio a été composé de telle façon que l'on puisse l'exécuter dans toutes les communautés chrétiennes, non seulement à l'occasion de quelque festivité, mais à tous les moments que l'on voudra, dans l'église ou hors de l'église, pour la seule louange de Dieu, mais aussi sans incitation particulière. »
Le courant religieux du XVIIIe siècle avait ainsi débordé le cadre de la prédication pour se teindre de préromantisme et devenir une des composantes de la nouvelle identité allemande dans le domaine littéraire et artistique. C'est ainsi que le Messie de Klopstock trouve un écho chez Telemann (Sing, unsterbliche Seele, 1759), l'Enfance du Christ et la Résurrection de Lazare de Herder sont mis en musique par Johann Christoph Friedrich Bach. Mais c'est le poète Ramler dont les œuvres religieuses eurent le plus de succès auprès des musiciens (Graun, J. Chr. Fr. Bach, Reichardt, Zelter), et, comme pour Métastase, furent même mises en musique plusieurs fois par des compositeurs différents. Quelques phrases de sa Mort de Jésus (musique de Graun, 1755) montreront le ton lyrique et exalté de cette période : « Je vois les meurtriers : ah ! c'en est fait de Lui ! Mais Lui, impavide, s'approche de ses ennemis. Magnanimement, Il parle : me cherchez-vous ? alors laissez mes amis en paix. » On est loin du récit évangélique original, qui se départit rarement, même pour relater l'arrestation de Jésus, d'une certaine objectivité. Les traits dominants des oratorios allemands restent donc la prééminence du commentaire sur l'action, l'intériorisation du drame vécu par la conscience du chrétien. Les oratorios à intrigue sont rares, à la différence de l'oratorio italien, et semblent avoir surtout été cultivés par Rolle, un compositeur de Magdebourg (une forte participation chorale rattache cependant sans équivoque ses œuvres à la tradition allemande). Le type le plus courant, en revanche, est l'oratorio contemplatif et narratif, représenté par exemple par le Jour du Jugement de Telemann (1762). Les personnages sont des allégories (Raison, Religion, Recueillement, Croyance, Incroyance), dont les diverses méditations sont reliées à un fil conducteur narratif : l'arrivée du Christ et de l'Ange de la Vengeance, la résurrection des morts, la damnation des incroyants, la jubilation des élus. Telemann évite cependant le risque de la moralisation par un langage musical vigoureux, tirant le meilleur parti d'un texte contrasté et riche en images.