tempérament
Manière de répartir les intervalles de la gamme sur un clavier ou un instrument à sons fixes.
Le mot implique une idée de compromis dû au fait que ces instruments ne peuvent procéder, comme le doigt d'un violoniste ou la voix d'un chanteur, aux très légères fluctuations de hauteur que le musicien fait normalement subir à une même note selon le contexte et la force des attractions qu'elle subit. Ils doivent donc fixer cette hauteur une fois pour toutes, ce qui ne peut se faire que par une série d'approximations, dont aucune ne peut être considérée comme parfaite, mais dont de multiples variantes ont été proposées et mises en usage.
1. Le tempérament égal. Aujourd'hui largement généralisé, c'est de loin le plus simple pour l'usager, mais non pour l'accordeur ni pour l'harmonicien. Divisant l'octave 2/1 en 12 demi-tons égaux, il élimine tous problèmes d'enharmonie et rend toutes les gammes semblables quelle qu'en soit la tonalité, contrairement à la conception qu'on en avait auparavant. Il se traduit par des nombres irrationnels (chaque demi-ton = racine 12e de 2) et ne peut être réalisé que par des approximations dans l'accord (quintes réglées d'abord justes, puis raccourcies au jugé). Hormis l'octave 2/1, aucun intervalle n'y est acoustiquement juste, c'est-à-dire conforme au modèle donné par la nature dans le tableau des harmoniques (quinte = 3/2, quarte = 4/3, tierce majeure = 6/5, etc.), mais les écarts sont suffisamment faibles pour être acceptés à la faveur du phénomène de tolérance.
Peu sympathique aux acousticiens, dont le premier à en avoir donné la théorie semble avoir été Andreas Werckmeister en 1687, le tempérament égal paraît avoir été pratiqué de manière empirique bien avant cette date, notamment pour la disposition des frettes de luth, mais il ne s'est vraiment généralisé qu'au début du XIXe siècle. On a cru longtemps que J.-S. Bach, par son Wohltemperierte Klavier, s'en était fait le défenseur, mais cette opinion est aujourd'hui contestée. Bach semble avoir écrit son recueil en 1722, puis en 1744, non pour défendre un système contre un autre, mais pour fournir un critère de jugement : « Le clavier bien tempéré sera celui qui pourra jouer ce que je vais écrire. » Le tempérament égal nous semble aujourd'hui celui qui répond le mieux à ce critère, mais seulement une fois acceptées ses approximations de base, si bien que l'on peut dire que le véritable clavier « bien tempéré » n'existe pas et, par définition même, ne peut pas exister.
2. Le tempérament pythagoricien. C'est le plus ancien, et sans doute le seul pratiqué au Moyen Âge. Il correspond à un stade où seule la triade quinte-quarte-octave était reconnue consonance parfaite, et peut donc normalement accorder toutes ses quintes justes, sans se préoccuper de l'incidence sur les tierces, dont les majeures se trouvent hautes et les mineures basses. L'accord se pratique généralement du mi bémol au sol dièse, ce qui rend impraticable la jonction entre ces deux notes, dite quinte du loup (sol dièse-mi bémol, le la bémol n'étant pas envisagé).
Ce tempérament a été codifié au XVIIe siècle par l'astronome Mercator et le théoricien anglais Holder, qui ont proposé de diviser l'octave en 53 degrés-commas dont 9 forment un ton, divisé respectivement en deux demi-tons inégaux de 4 et 5 degrés-commas ; on introduit ainsi une nouvelle unité d'intervalle, le comma, valant dans ce système (et dans lui seul) un neuvième de ton (mais de ton de Holder et non d'un autre). La gamme de Mercator-Holder n'est pas tout à fait la gamme pythagoricienne, mais s'en approche suffisamment pour se confondre avec elle en pratique.
L'assertion souvent reproduite selon laquelle le comma est la neuvième partie du ton n'est exacte que dans ce seul système et ne repose sur rien ailleurs.
3. Les tempéraments zarliniens, dits « inégaux ». À partir du XVIe siècle, la tierce ayant été définitivement intégrée aux consonances parfaites, on ressentit le besoin de modifier le tempérament antérieur pour lui assurer dans la triade d'accord parfait sa valeur acoustique exacte 5/4, incompatible avec l'accord par quintes du système pythagoricien. Une même note prenait ainsi des hauteurs différentes selon qu'on la calculait comme quinte d'une autre ou comme tierce d'une troisième : la, par exemple, était plus haut comme quinte de ré que comme tierce de fa.
Devant l'impossibilité de résoudre tous les cas à moins d'un clavier à touches multipliées (ce qu'on essaya quelque temps), on se résolut au principe d'assurer la justesse des accords les plus fréquents en sacrifiant les autres. Le principe fut exposé dès 1511 (Pietro Aaron) et fut généralisé dans la seconde moitié du siècle sous l'autorité de Zarlino (1558) qui lui a donné son nom.
Le principe du tempérament zarlinien est d'assurer la justesse des trois accords majeurs et des trois accords mineurs pour les trois degrés de base du ton d'ut : do, fa et sol. On obtient ainsi un tempérament où quatre notes sont prises par quintes 3/2 : fa-do-sol-ré, puis, à partir des notes précédentes, trois par tierce majeure 5/4 : la-mi-si, et trois par tierce mineure 6/5 : la bémol, mi bémol, si bémol. Soit dix notes sur douze assurant six accords justes sur trois degrés seulement. Les deux notes restantes, fa dièse et do dièse, ne peuvent entrer dans aucun accord juste, et tous les accords autres que ceux de do, fa et sol seront faux. On a donc renoncé à appliquer strictement le principe théorique, et on a multiplié les systèmes de compromis, généralement désignés sous le nom global de « tempéraments inégaux ».
Ceux-ci sont fort nombreux et ne peuvent tous être décrits. Parmi les plus importants, signalons celui de J. Kirnberger (1760), élève de J.-S. Bach (ce qui a fait penser que le tempérament préconisé par celui-ci pouvait être le sien), de Jean-Jacques Rousseau (1768), de dom Bédos de Celles (1778). La plupart, à l'instar du pythagoricien, renoncent à l'emploi du la bémol au bénéfice du sol dièse et conservent donc la « quinte du loup » sol dièse-mi bémol en interdisant tout accord de la bémol majeur à moins d'une volonté de « dureté » exceptionnelle et affirmée. Pour le reste, ils recherchent sans toujours y parvenir le maximum de triades à tierces et quintes justes ou « supportables ».
Quel que soit le système adopté, tout tempérament inégal implique que chaque gamme d'un ton donné possède une sonorité intervallique différente de celle de la même gamme transposée dans un autre ton. D'où la doctrine de l'ethos des tonalités (tel ton est joyeux, tel autre sombre, etc.) qui repose ici sur une réalité, et qui n'a rien à voir avec la hauteur absolue, mais qui a été parfois reprise sans aucun fondement dans le cadre du tempérament égal, où elle devient une fiction sans consistance.