Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
T

tchèque (République)

Slovaquie (suite)

L'après-révolution « de velours »

Quelques musiciens ont tenté de poursuivre les manifestations qui permettaient à la littérature contemporaine de s'exprimer, telles les « Semaines musicales de création contemporaine » (Týden nové tvorby) de mars, désormais dégagées de toute pression politique. D'autres ont voulu faire table rase de l'« ancien régime ». La soudaine confrontation internationale, l'obligation de rentabiliser immédiatement toute manifestation culturelle, ont fait ajourner de nombreux projets attendant un hypothétique mécène. Désormais, la nouvelle génération de compositeurs nés après la guerre s'exprime sans contrainte, qu'ils aient été aidés par l'ancien régime ou non. Même si certains se sont retrouvés provisoirement au purgatoire, la jeune école « minimaliste » a effectué sa percée, avec Petr Kofroň (1955), Martin Smolka, Miroslav Pudlák… en pouvant s'appuyer officiellement sur le groupe de création Agon. D'autres, comme Pavel Kopecký (1949), avec sa réalisation acoustique Réverbération pour violoncelle et bande magnétique, Jan Jirasek (1953) dans son ballet Labyrinthe, se sont référés également à Cage, Crumb, Wolf… sans rien abdiquer d'un mode spécifiquement tchèque de narration. Un compositeur aussi expérimenté que Pavel Blatný n'a pas craint d'écrire des cantates sur des textes du conteur tchèque Karel Jaromir Erben (1811-1870), à l'exemple de Dvořák.

   Aujourd'hui, la création tchèque est à nouveau libre, comme en 1918. L'enthousiasme peut paraître moindre, un demi-siècle d'« occupation » ayant profondément modifié les messages et leurs modes d'expression. Pendant quelques années, les « résistants » règnent encore en maîtres. Par contre, les jeunes instrumentistes n'ont que faire du poids de l'histoire et ont soif de liberté d'entreprendre, quitte à parfois pousser à l'extrême leur individualisme. Instrumentistes et compositeurs ont retrouvé leur spontanéité, tant pour poursuivre leur quête du monde de Kafka que de celui, plus porteur et plus optimiste, de Čapek et de Patočka.

La musique populaire

Carrefour naturel de l'Europe, écartelée entre ses attractions Nord-Sud (Vienne/Berlin) ou Est-Ouest (Hongrie-U. R. S. S./ France, Allemagne, États-Unis), la Bohême ne recèle que peu de mélodies populaires profanes archaïsantes. La mine d'or qu'est la région d'Ostrava (le pays des Lachs ou Lachie) sert depuis trois siècles à alimenter la production populaire, basée sur des mélodies dont le rythme est accentué sur la deuxième syllabe, conformément à un dialecte différent du tchèque savant dont l'accentuation naturelle est sur la première syllabe. De Křížkovsk'y à Eben, en passant par Novák et Janáček, les la'sske tance lient étroitement la musique de danse à la musique instrumentale. La nature modale de ces trésors populaires a donné son authenticité à la multitude d'harmonisations réalisées depuis un siècle.

La musique en Slovaquie

On y décèle l'avènement du grégorien dans une langue slave liturgique spécifique dès 900. Bien qu'interdite par Rome (885), celle-ci permet la création d'un répertoire, comme l'attestent les nombreux cantionnaires, de Nitra (vers 1160) par exemple. Ce sont les igrics, jongleurs slaves, qui répandent la pratique musicale galante ou courtoise, alors que le peuple s'exprime par la polyphonie vocale. L'Antiphonaire d'Anna Weiland de Bratislava (1572) renferme quelque quatre cents compositions à plusieurs voix. La vie musicale reste centrée sur les principales communautés religieuses : Košice, Bratislava, Levoca, Bardejóv.

   À l'époque baroque, les échanges se multiplient avec la plaine hongroise, permettant aux œuvres de Janos Sigismond Kusser et de l'organiste Jan Simbrack'y (1620-1657) de présenter une musique religieuse proche de S. Scheidt ou de Praetorius. Sur le plan instrumental, l'influence hongroise reste prépondérante : danses des luthistes Bakfark et Balassi, Codex de Vietorísz (1664). Les traces écrites de cette époque sont dues à des moines franciscains, le père Pantoléon Roškovsk'y, Edmund Pascha (1714-1772), connu pour ses messes de Noël. Au moment de la première réforme, de l'écrasement des hussites, le chant populaire arrive à se perpétuer grâce à quelques cantionnaires, protestants (Cithara Sanctorum, 1636) ou romains (Cantus catholici, 1655).

Période baroque et classique

Les nombreux princes allemands et hongrois tiennent cour dans leurs fiefs et font venir des musiciens du niveau de Haydn, Mozart, provoquant l'intérêt des classes aisées slovaques qui n'ont pas été décimées par la Contre-Réforme. Les deux maîtres slovaques les plus réputés sont alors Antonín Zimmermann (1741-1781), que d'aucuns considèrent comme autrichien, qui fut le maître de chapelle du prince Batthyaní organiste de la cathédrale de Bratislava (Presbourg), auteur de symphonies, concertos, sonates pour clavier, d'un singspiel (Narcisse et Pierre), d'un mélodrame (Andromeda und Perseus) qui fut donné à Budapest et Vienne, et l'équivalent du Tchèque Vejvanovsk'y qu'est Jiří Druzečky (1745-1819), auteur de sérénades, parthias pour instruments à vent, d'opéras et de ballets.

   On peut également citer le pianiste František Pavol Rigler ( ? – 1779), qui sera le professeur de J. N. Hummel, le chef d'orchestre et fondateur de la Cirkevnehó hudobnehó spolku (Société de musique religieuse) en 1828 à Bratislava, Heinrich Klein (1756-1832), son successeur, Josef Kumlík (1801-1869), qui donne la première à Bratislava de la Missa solemnis de Beethoven en 1835.

   Dans les autres centres slovaques, on peut citer Ludovít Sklaník (1783-1848), moine prémontré, maître de chapelle du couvent de Rožňava, son frère, František (1777-1841), exerçant à Košice, l'archiviste Ján Čaplovič (v. 1720-1780), exerçant à Banská Bystrica, Augustín Šmehlík (1770-1854), moine piariste exerçant à Trenčin.

L'avènement d'une école nationale slovaque

La naissance d'une école slovaque ne se fit pas grâce à un musicien de la dimension d'un Smetana. Ce sont des humanistes, instituteurs, poètes, sans formation musicale, tels que Martín Szuchan'y (1792-1834 ?), Ladislav Füredy (1794-1850) qui recueillent et harmonisent les premières chansons slovaques. Il n'y a guère que le prêtre défroqué Jan Leloslav Bella (1843-1936) qui commence un véritable recensement scientifique, puis introduit la chanson slovaque dans la musique savante. Mikuláš Schneider-Trnavsk'y (1881-1958) écrit de nombreux lieder sur des textes slovaques authentiques : Slovenska ludové piesne (1923), 50 slowakische Volkslieder (1943), dont s'inspire l'école actuelle, Ivan Hrušovsk'y par exemple. De même, le père d'Alexander Moyzes, Mikuláš (1872-1944), exploite la même source d'inspiration dans sa musique de chambre.

   Le premier opéra slovaque, Detván, n'est donné qu'en 1928, écrit dans un style presque wébérien par Vilima Figuš (1875-1937), et dirigé par Oskar Nedbal. Reste l'école de piano de Frico Kafenda (1883-1963), qui enseigna à E. Suchoň, J. Zimmer.

   Au lendemain de la Première Guerre mondiale, malgré l'ouverture à Bratislava d'un conservatoire en 1919 et d'un opéra en 1920, l'essentiel de l'activité vient de Brno et Prague, grâce aux efforts de V. Novák. En 1948, les possibilités sont tout autres. C'est l'État qui finance la création de la Philharmonie slovaque (1948), permet de faire connaître l'œuvre d'Alexander Moyzes, dont les neuf symphonies, les opéras Krútnava et Svätopluk servent d'exemple à une pléiade de jeunes compositeurs dont les plus connus sont, dans la première génération, Eugen Suchoň et J. Cikker, qui enseignent au conservatoire auprès de Moyzes dans la génération d'après-guerre, František Babušek (1905-1954), Šimon Jurosvsk'y (1911-1963), Andrej Očenáš (1911), Ladislav Holoubek (1913), Jozef Kresánek (1913-1986), profondément influencé par Bartók, le symphoniste Dezider Kardoš (1914-1991), Oto Ferenczy, Jan Zimmer, etc. De fait toute une génération qui, sous la conduite d'A. Moyzes, a cherché dans la musique d'Honegger, de Chostakovitch, Prokofiev, Bartók, Stravinski, un langage adapté à son lyrisme naturel.

   La dernière génération commence à se poser les mêmes problèmes de langage, expérimentant la musique électronique comme Peter Kolman (1937) ou Ladislav Kupkovič (1936), dans le studio de Bratislava créé après une visite de Pierre Schaeffer, ou ressassant un néoclassicisme parfois ingénieux comme Ladislav Burlas (1927), Roman Berger (1930), Dušan Martinček (1936), alors qu'Ivan Hrušovsk'y ou Juraj Hatrík (1941) jouent d'un sérialisme modal au lyrisme convaincant. Ilja Zelenka (1932) semble influencé par l'école allemande, celle de Blacher, puis du studio de Cologne (Eimert, Stockhausen).

   Depuis 1951, Bratislava est devenue un centre musical important, comportant un Institut de musicologie (dirigé par L. Burlas), une chaire de musicologie à l'université J.-A. Komensk'y (tenue par Jozef Kresánek), enfin des collections d'archives, qui séparent, depuis 1969, la Matica slovenska de la Musica antiqua Bohemica. Chaque année, les journées musicales de Bratislava rassemblent les principales formations de jeunes, classiques, folkloriques ou de variétés.

   La chute du mur de Berlin et la fin de la période soviétique (1990) n'ont amené que progressivement des modifications à la politique culturelle slovaque restée centralisée, essentiellement par le désengagement de l'État dans le financement des orchestres, firmes d'édition et festivals. Les échanges internationaux se sont rapidement développés, préparés par le précédent fédéralisme tchéco-slovaque, remettant en honneur la tradition chorale, les liens avec l'Ukraine toute proche et avec les pays latins (Italie et France). La totale indépendance atteinte en 1993 vis-à-vis de Prague a été ressentie avec fierté pour ce qui concerne la création proprement slovaque, avec dureté pour les instrumentistes professionnels.