Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
I

invention

Terme sans signification précise désignant un morceau répondant à une intention particulière de recherche de la part du compositeur, sans que celle-ci soit obligatoirement définie.

Les inventions les plus célèbres sont celles de J.-S. Bach pour clavecin ­ quinze inventions à deux voix BWV 772 à 786 et quinze inventions à trois voix BWV 787 à 801, où le propos du compositeur est de montrer comment construire tout un morceau sans la moindre digression à partir d'un seul thème ­ et les cinq scènes et l'interlude orchestral de l'acte III de Wozzeck d'Alban Berg, sous-titrés respectivement par le compositeur inventions sur un thème (scène I), sur une note (scène II), sur un rythme (scène III), sur un accord de six sons (scène IV), sur une tonalité (interlude) et sur un mouvement perpétuel (scène V).

ionien

Adjectif se rapportant à une peuplade de la côte orientale de la mer Égée, en Asie Mineure, dont le territoire est aujourd'hui en pays turc.

L'entrée du terme ionien, ou iastien, dans l'histoire musicale se situe chez Platon, qui mentionne dans la République l'harmonie ionienne comme l'une des six échelles sur lesquelles il légifère. Il la décrit comme « sans vigueur et propre aux buveurs », et la proscrit comme amollissante. Aristide Quintilien (IIe s.) nous en donne la composition, qui est celle d'une échelle formée au grave d'un tétracorde enharmonique (mi-la) et à l'aigu d'un tétracorde conjoint défectif (la-do-ré). On n'en parle plus ensuite ni comme harmonie, ni parmi les tons de hauteur primitifs, jusqu'au moment où, la nomenclature de ceux-ci ayant été dédoublée (probablement fin IVe s.), le nom de ionien fut attribué, sans doute arbitrairement, au phrygien grave des treize tons d'Arsitoxène ; on le dota alors comme les autres d'un hypo-, et plus tard d'un hyper- qui permit d'atteindre le chiffre maximum de quinze tons. Non retenu par la nomenclature pseudo-grecque des modes grégoriens, il réapparaît à nouveau chez les théoriciens humanistes du XVIe siècle, sur la foi desquels il est réintroduit parmi les « tons de plain-chant » des organistes aux XVIIe-XVIIIe siècles, tantôt avec le sens de mode de do (Glarean, 1547), tantôt avec celui de mode de la (Zarlino, 1573).

Ipavec (Benjamin)

Compositeur slovène (Saint Jurij, près de Celje, 1829 – Graz 1909).

Considéré comme une des figures les plus représentatives du mouvement romantique slovène, il a exercé ses activités de musicien parallèlement à sa carrière de médecin. Parmi ses œuvres, l'opéra les Nobles de Teharje (Ljubljana, 1892), le cycle de mélodies Menih ­ « le Moine » ­ (1906) et une Sérénade pour cordes (1898).

Ippolitov-Ivanov (Mikhail)

Compositeur russe (Gatchina 1859 – Moscou 1935).

Élève de Rimski-Korsakov (composition), il fut directeur de l'école de musique de Tiflis (1883-1893), puis professeur au conservatoire de Moscou (1893), dont il assuma la direction de 1905 à 1922. Il joua un rôle important dans la vie musicale moscovite à la tête de la Société chorale russe (1895-1901), de l'Opéra Zimine (1899-1906), puis du Bolchoï (1925). Tchaïkovski appréciait la richesse de couleur de ses œuvres. L'étude approfondie à laquelle il se livra sur les musiques traditionnelles caucasiennes et géorgiennes n'y est sans doute pas étrangère (cf. Esquisses caucasiennes, 1894, Dans les Steppes du Turkménistan, 1935, ou Images d'Uzbékistan). Ces musiques lui ont assuré une solide réputation de folkloriste talentueux.

Iradier (Sebastián)

Compositeur espagnol (Sauciego, Álava, 1809 – Vitoria 1895).

Il est l'auteur de nombreuses chansons et de zarzuelas en collaboration avec Oudrid. C'est le thème de sa habanera El Arreglito que Bizet reprit, légèrement modifié, au premier acte de Carmen. Il eut également l'honneur d'être interprété par les plus illustres cantatrices de son temps, telles la Malibran, la Patti, l'Alboni et Pauline Viardot.

Iran

Pays du Moyen-Orient, dont la majorité de la population est de race indo-européenne, de culture persane et de religion islamique chiite, pratiquant une musique monodique modale heptatonique proche des musiques arabe ou turque, et définie par des modes (dastgâh-s, v. également maqâm-s), des modèles mélodiques (gûchè-s) et des formes spécifiques.

On n'a pas de document sur la musique des Achéménides (VIe-IVe s. av. J.-C.). En revanche, la musique de l'époque sassanide (224-642) est mieux connue. Outre l'existence d'une harpe asiatique (tchang) et d'un luth à manche court précurseur (barbât, « barbiton ») aujourd'hui disparus, des musiciens célèbres comme Râmtin, Bâmchâd, Nakisâ, Azâd, Sarkach et Bârbadh, et des chanteurs fort honorés par la cour perpétuent les dastân-s, récits patriotiques épiques. Bârbadh aurait élaboré un système musicologique symbolique définissant en fonction du calendrier de l'époque sept modes royaux (khosrovânî-s), trente modes dérivés (lahn-s) et trois cent soixante mélodies (dastgâh-s).

   Au VIIe siècle, dans la confluence culturelle qui va définir les musiques arabo-irano-turques de l'islam, l'Iran joue, concurremment aux traditions gréco-byzantino-araméennes, un rôle fondamental dans l'essor de ces musiques, plus particulièrement durant la période abbasside des califes de l'Iraq. De tous les savants de cet islam médiéval, qui élaborent des théories musicales sur la touche du luth à manche court (ûd), ou du luth à manche long (tunbûr), les Iraniens revendiquent comme persans Zalzal, Ibrâhîm Mawsilî, Ishâq Mawsilî (VIIIe-IXe s.), Fârâbî (Xe s.), Ibn-Sînâ dit Avicenne (XIe s.), Safiy al-Dîn al-Urmawî al-Baghdâdî (XIIIe s.), Qutb al-Dîn al-Chîrâzî, Jurjânî (XIVe s.) et Abd al-Qâdir Ibn-Gaybî al-Hafiz al-Maraqî (XVe s.). Après la prise de Bagdad par les Mongols, la cohésion artistique arabo-irano-touranienne de l'islam s'effrite au profit d'une notion naissante de nationalité.

   L'Iran et l'Asie centrale vont perdre l'usage du ûd qui définissait les intervalles et les structures modales avec précision et s'en remettre à la transmission empirique de maître à élève par le modèle mélodique. Durant la période séfévide (XVIe-XVIIIe s.), l'Iran institutionnalise le chiisme comme religion nationale et délaisse les divertissements musicaux condamnés par les prêtres (mollâ-s), tandis que subsistent les genres religieux commémorant le souvenir des imâm-s martyrs du chiisme (par ex. le tazîyè).

   À la fin du XIXe siècle, Mirzâ Abdollah étudie les traditions ayant survécu à l'ostracisme musical, à la perte des références structurelles et à l'empirisme et redéfinit un système de douze modes (dastgâh-s). Vers 1920, Alî Naqî Vazîrî, musicologue, adopte une théorie probablement influencée par la théorie arabe du XIXe siècle et divisant virtuellement l'octave en vingt-quatre quarts de ton définissant vingt-quatre doigtés-degrés, réduits à dix-sept dans la pratique usuelle. À partir du savoir de maîtres, comme Mirzâ Abdollah, Ruhollah Khâleqî et Abol-Hassân Sabâ, et de virtuoses cultivés, comme Hassân Kassâî (ney) ou Farâmarz Pâyvar (santûr), la musique traditionnelle savante iranienne ainsi restaurée peut affronter les auditoires occidentaux vers 1960. Sous le règne du dernier empereur, le châhenchâh Muhammad Rezâ Pahlavî, une politique culturelle nationale à la fois prestigieuse et orgueilleuse favorise la résurgence des traditions nationales et la définition d'une musique iranienne par opposition délibérée aux musiques sœurs, arabe et turque. Mais, avec la République islamique (1979), le puritanisme religieux restauré élude les possibilités d'une réhabilitation musicologique de l'islam médiéval multinational de la période abbasside et voue l'art musical à des chants de dévotion ou d'exaltation.

La musique traditionnelle de l'Iran contemporain

Elle a amenuisé ses liens théoriques avec les traités de l'islam médiéval et s'en remet aux pratiques empiriques accordant préséance à la forme mélodique, au répertoire (radîf), au détriment des notions structurelles. Il en découle d'innombrables imprécisions sur les doigtés-degrés dont on a abandonné la terminologie persane au profit des noms de notes latines. Les intervalles ne sont plus définis sur la touche du ûd et varient selon les écoles ou les styles alignés sur un maître donné. Les genres tricordes, tétracordes ou pentacordes, décrits avec précision dans les traités théoriques arabes ou turcs, ne sont ici ni mentionnés, ni même conçus par des musiciens de niveau moyen. On se réfère plus volontiers à des modèles stéréotypés (gûchè-s), dont la succession selon un ordre et un protocole donné est susceptible d'illustrer un mode (dastgâh, âvâz, ou naghmè). Trois cents gûchè-s permettent d'improviser selon le radîf et la forme restituée par les grands maîtres solistes de l'instrument ou du chant peut atteindre une très grande beauté, qui justifie le succès mondial de la musique de l'Iran.

   Les instruments utilisés dans la musique traditionnelle savante iranienne sont des luths à manche long et à quatre rangs de cordes (setâr, târ), une cithare tympanon à soixante-douze cordes (santûr, ancêtre du cymbalum), une vièle à pique (kementchè), une flûte oblique (ney ou nây) et des instruments traditionnels de l'islam, délaissés puis récemment réintroduits, comme le luth à manche court (ûd) et la cythare psaltérion (qânûn). La présence d'un tambour-calice (dombak, tombak appelé encore zarb) aux côtés d'un instrument savant mélodique semble être une innovation récente. Dans la musique populaire, à un certain nombre de ces instruments s'ajoutent de nombreux instruments régionaux ou de circonstance, comme les luths à manche long des Kurdes, des Azerbaïdjanais et des Turkmènes (tanbûr, sâz, dotâr), la grosse caisse (dohol) et les hautbois des fêtes et des mariages (sornâ, bâlâbân), une double clarinette (duzèlè ou zimarè), une cornemuse (ney-anbûn), une trompette (karna), des crotales (zeng) ou des tambours de basque (doira ou daff).

   Les formes musicales de la musique savante sont, outre l'improvisation semi-libre sur les modes à partir du radîf, le pichdarâmad (sorte d'introduction), le reng (« couleur »), le tchahârmezrâb (morceau de virtuosité), et, au plan vocal le tasnîf (« chant ») dans lequel il est bon d'introduire la technique du tahrîr, tremblement glottal que l'on peut comparer au jodl des Alpes. Dans la musique populaire, moins bien connue en Occident, les formes sont très variées et relèvent du narratif épique ou héroïque et du lyrique propagés par des trouvères et des poètes chanteurs. Les formes de la musique religieuse, outre le chant du Coran et l'appel à la prière (adhân ou azân), se concentrent sur la commémoration du martyre des imâm-s de l'islam chiite, plus particulièrement Husayn et durant le mois de muharrâm marquant ce deuil annuel. On trouve également des communautés de derviches aux rites divers associés à la danse ou à la transe.

   Les institutions iraniennes liées à la musique sont le ministère de la Culture, la radiotélévision, divers instituts, dont le « Centre de préservation et de diffusion de la musique traditionnelle iranienne » fondé par Dariuch Safvate, l'université de Téhéran, l'Orchestre symphonique de Téhéran, les conservatoires de Téhéran, de Tabriz et d'Ispahan, et le festival des arts de Chîrâz.