Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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fugue

Genre de composition dont les deux caractères essentiels sont : 1o un style contrapuntique rigoureux, c'est-à-dire résultant exclusivement de la combinaison de lignes mélodiques, toutes d'égale importance, sans qu'aucune note puisse entrer dans un accord sans être d'abord justifiée mélodiquement ; 2o la prédominance d'un thème principal nommé sujet, présenté et développé successivement par chacune des voix selon des conventions définies.

Nous disons bien « principal » et non pas « unique », comme on le fait souvent, car non seulement une fugue peut avoir plusieurs sujets (fugues multiples), ou exceptionnellement des sections hors thème (codas), mais encore elle présente et développe le plus souvent, outre le sujet, des thèmes secondaires appelés contre-sujets ; ceux-ci doivent répondre à des caractéristiques définies, qui seront exposées ci-après.

Le terme « fugue »

Issu du latin fuga (« fuite »), il apparaît au XIVe siècle, souvent comme équivalent de chace ou chasse (en ital. caccia) pour désigner soit un canon, soit simplement un style caractérisé par le fait que les parties se répondent en présentant successivement le même dessin, évoquant par analogie la fuite du gibier devant le chasseur (d'où le nom). Longtemps le terme est resté vague et a désigné plutôt un style (dit « imitatif ») qu'une forme définie. Celle-ci s'élabore peu à peu au cours du XVIIe siècle par transformation de l'ancien ricercar, mais sans que le terme « fugue » le recouvre obligatoirement : c'est très progressivement que les deux notions en viennent à se rejoindre. Encore continua-t-on longtemps à dénommer « fugues » des genres qui, au sens strict du mot, ne seraient plus aujourd'hui reconnus comme tels ; par exemple le canon, que Bach appelle encore « fugue canonique », et auquel il réserve une section dans son Art de la fugue, de même qu'à des variétés de fugues aujourd'hui disparues, telles que « fugues-miroirs », « contre-fugues », etc.

   L'exceptionnel développement donné par J.-S. Bach à la fugue a conduit les théoriciens à codifier après lui le genre à partir de son exemple, en dressant sous le nom de fugue d'école un « portrait-robot » d'un plan de fugue qui n'a jamais existé tel quel dans son œuvre, mais qui réunit à peu près les principaux procédés qu'il emploie le plus fréquemment. C'est cette « fugue d'école » qui sera enseignée à partir du XIXe siècle dans tous les conservatoires, et à qui la fugue en tant que genre empruntera les principaux éléments de sa définition usuelle.

La fugue avant J.-S. Bach

Le principe de la fugue, dont on peut déjà déceler les prémisses dans certains motets polyphoniques du XIIIe siècle, se développe au XIVe et se généralise dans la chanson polyphonique des XVe et XVIe siècles, sous forme d'exposition successive d'un motif à chacune des voix, d'abord sur n'importe quel degré, puis selon une alternance plus stricte dans laquelle la dominante répond à la tonique et vice versa. Ce « balancier » peut dans certains cas entraîner une modification de la « réponse » par rapport au « sujet » (que l'on appelle respectivement dux et comes, c'est-à-dire « conducteur » et « compagnon »). Cette modification est dite mutation ; pratiquée ou non selon les cas, elle deviendra obligatoire dans la « fugue d'école ». L'entrée de chaque voix se règle au mieux des possibilités du contrepoint, que l'exposition précédente soit terminée ou non ; le deuxième cas, de beaucoup le plus fréquent, prendra plus tard le nom d'entrée en strette, et sera rejeté par l'exposition de la fugue d'école.

   Au XVIe siècle se répand, tant dans le motet religieux que dans la chanson profane, une forme dite « à sections », particulièrement employée quand la pièce polyphonique développe un modèle monodique. Dans ce cas, chaque phrase du modèle se voit successivement développée, sur les paroles correspondantes, formant une « section » dans laquelle la mélodie du modèle circule souvent d'une voix à l'autre, la section initiale (et parfois d'autres aussi) étant presque toujours soumise à la forme d'exposition présentée ci-dessus. Vers 1525, sous l'impulsion des Franco-Flamands de Venise (Willaert) se crée une forme instrumentale dite ricercare (« recherche ») qui n'est autre que la transposition sans paroles du motet à sections, mais dans laquelle les différents thèmes de section sont inventés sans référence à un texte. D'Italie, le ricercare se répand en Espagne (ricercar, tiento), en France (fantaisie), en Angleterre (fantasy, fancy), et trouvera sa plus grande expansion chez les organistes du nord de l'Allemagne et des pays voisins (Sweelinck, Buxtehude) qui en feront progressivement la fugue proprement dite. Ce dernier passage consistera surtout dans l'unification des sections (sujet unique au lieu de plusieurs thèmes accolés) et dans la suppression de l'entrée en strette au bénéfice de l'« entrée de fugue » laissant toujours terminer le sujet avant d'en présenter la réponse. Les entrées en strette ne disparaîtront pas pour autant, mais seront reportées à titre de nouveaux développements dans le cours de la fugue, et de préférence vers la fin, où elles formeront l'une des sections obligatoires de la fugue d'école.

Bach et la fugue classique

Bien que tous les éléments de la fugue classique puissent déjà se retrouver, épars ou réunis, chez divers prédécesseurs de J.-S. Bach (Frescobaldi, Buxtehude, etc.), ce dernier maître a porté la fugue à un tel degré de développement que c'est toujours à lui qu'on se réfère pour définir le genre à son apogée, sans du reste le limiter aux pièces qui en portent le titre, car le style fugué lui est si naturel qu'il l'emploie en toutes occasions. La diversité de ses fugues est telle qu'on ne peut ici en esquisser la description. On se bornera à transcrire en le simplifiant le schéma type de ce « portrait-robot » que constitue, on l'a dit, la fugue d'école, appuyée sur l'exemple de Bach sans jamais correspondre exactement à aucun de ses modèles.

   1. Exposition, ou présentations successives du thème par chacune des voix (en nombre variable, mais très souvent 4). Le thème s'appelle sujet lors de sa première présentation, réponse dans sa deuxième où tonique et dominante se « répondent » réciproquement. La réponse comporte normalement mutation (cf. ci-dessus) ; si par exception elle ne fait pas mutation, elle est dite réelle. On l'appelle tonale lorsque, avec ou sans mutation, elle se maintient sans moduler dans le ton initial du sujet. La continuation du sujet sous la réponse prend le nom de contre-sujet et constituera tout au long de la fugue un thème secondaire pouvant donner lieu aux mêmes développements que le sujet proprement dit ; exceptionnellement le contre-sujet peut même par anticipation accompagner déjà le sujet dans sa première présentation (fréquent chez Beethoven). L'exposition de fugue est en outre soumise à des règles minutieuses qu'on ne peut présenter ici, et qui font l'objet de véritables traités.

   2. Développement, consistant en une série de sections appelées divertissements, obligatoirement constituées à partir soit du sujet, soit du contre-sujet, et qui sont périodiquement ponctuées d'entrées du sujet en divers tons, dont les deux principaux sont le relatif et la sous-dominante (on y ajoute parfois le 2e degré, considéré comme dominante de la dominante). La dernière section du développement est souvent une strette (combinaison du sujet avec lui-même en différentes présentations), et il peut même y en avoir plusieurs.

   3. Réexposition ou dernière présentation du sujet dans le ton principal, parfois précédée d'une longue tenue ou pédale qui la met en valeur. La réexposition, qui peut être textuelle ou abrégée, conduit soit directement à la conclusion, soit à une « coda » plus ou moins développée.

   4. Coda facultative, qui peut être soit un nouveau développement, de préférence dans un caractère différent, soit même un hors-d'œuvre, abandonnant pour la première fois le thème, et parfois le style de la fugue, pour terminer de façon brillante ou expressive.