Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
R

Racine (Jean)

Poète dramatique français (La Ferté-Milon 1639-Paris 1699).

C'est seulement vers la fin de sa carrière, et en liaison avec son retour à la religion, qu'il s'est rapproché de la musique. Jusque-là, diverses tentatives d'écrire des livrets d'opéras étaient restées sans suite marquante : vers 1674, à la suite d'une brouille entre Lully et Quinault, son librettiste attitré, Madame de Montespan aurait demandé à Racine d'écrire pour le maître italien. Avec l'aide de Boileau, il aurait ainsi esquissé une Chute de Phaéton. La réconciliation de Quinault avec Lully vint enterrer le projet. En 1677, il aurait travaillé de nouveau avec Boileau sur un sujet proposé par Louis XIV. Les mêmes, en 1683, écrivent pour une fête un petit opéra, dont apparemment on n'a pas de traces. En 1685, Racine rédige pour Lully le livret, celui-là conservé, mais assez anodin, d'une cantate, l'Idylle de la paix, destinée à une cérémonie offerte à Louis XIV, dans le château de Sceaux, et qui chante les louanges de ce roi guerrier, présenté comme un pacificateur. L'Iphigénie de Racine avait été jouée en 1680 à Saint-Germain avec des interludes musicaux, mais son premier contact important avec la musique se produit quand il écrit, en 1688-89, Esther, un drame biblique pour les demoiselles de Saint-Cyr, qui le créent en janvier 1689. Il conçoit alors cette pièce sur le modèle de la tragédie grecque, réalisant un ancien projet, qui était « de lier (…) le chœur et le chant avec l'action, et d'employer à chanter les louanges du vrai Dieu cette partie du chœur que les Anciens employaient à chanter les louanges de leurs fausses divinités ». Esther comporte donc des airs et des chœurs de jeunes filles israélites, écrits pour ensemble vocal et voix solistes, et mis en musique par Jean-Baptiste Moreau, maître de musique du roi.

   Ce fut le même compositeur qui devait faire la musique de la seconde pièce biblique de Racine, Athalie, écrite en 1691 pour la même destination que la première, à la demande de Madame de Maintenon. Dans la préface d'Athalie, l'auteur réaffirme son intention d'« imiter des Anciens (Grecs) cette continuité d'action qui fait que le théâtre ne demeure jamais vide », en se servant de la musique et des chœurs pour lier l'action. La pièce comporte notamment une scène de prophétie où le grand prêtre Joas, introduit par une « symphonie » de l'orchestre, prédit la ruine du Temple de Jérusalem et la venue du Sauveur. Cette scène, disait Racine, justifiait l'intervention d'interludes symphoniques par « la coutume qu'avaient plusieurs prophètes d'entrer dans leurs saints transports au son des instruments », et l'on y voit Joas lui-même inviter les instruments à jouer (« Lévites, de vos sons prêtez-moi les accords »).

   En 1694, retiré de la carrière dramatique, Racine écrivit encore quatre très beaux Cantiques spirituels que Jean-Baptiste Moreau mettait en musique la même année (À la louange de la Charité, Sur le bonheur des justes et le malheur des réprouvés, Plaintes d'un chrétien, Sur les vaines occupations des gens du siècle). Louis Marchand, Michel Richard de La Lande, Pascal Collasse, et d'autres devaient après Moreau s'attaquer à ces textes très propices à la musique. Le Cantique de Jean Racine, de Gabriel Fauré, œuvre de ses débuts, utilise non pas un de ces cantiques, mais un des Hymnes traduits du bréviaire romain, écrits sans doute par Racine dans sa jeunesse à Port-Royal. Le génie de Racine est tellement lié à sa langue, plutôt qu'à son « dramatisme », qu'on connaît peu d'opéras marquants qui ont été inspirés par ses tragédies (sauf injustice de la postérité). On citera l'Andromaque de Sacchini (1761), et celle de Paisiello (1797), l'Athalie de Gossec (1791), et celle de Boieldieu (1810) [ainsi que la musique de scène de Mendelssohn pour cette pièce, 1843], une Bérénice de Piccinni (1765), un Britannicus de Graun (1751), une Esther de Haendel (1720) et une adaptation de Darius Milhaud (Esther de Carpentras, 1937), des Mithridate de Porpora (1730), Graun (1750), Mozart (1770). On peut citer aussi, dans l'époque contemporaine, le ballet Phèdre de Georges Auric (1950), sur un argument de Jean Cocteau d'après Racine, et la musique de scène de Pierre Schaeffer, musique « concrète » composée en 1960 pour la tragédienne Marie Bell.

Racz (Aladar)

Virtuose du cymbalum et compositeur hongrois (Jaszapati 1886 – Budapest 1958).

Dès 1894, il joua dans des orchestres tziganes, en particulier dans celui de Laci Racz (simple homonyme), qui le décida à entreprendre une carrière de virtuose du cymbalum. Il se rendit à Paris et Genève, où il rencontra Stravinski (Ragtime) et Ansermet, et fit du cymbalum un instrument soliste dont il modifia complètement la technique. Il transcrivit pour lui de nombreuses pièces pour clavecin, écrivit lui-même des fantaisies ainsi que des danses ou rhapsodies hongroises, roumaines ou serbes, et forma toute l'école hongroise actuelle aux sortilèges du cymbalum.

Radom (Nicolas de ou Radomski)

Claveciniste polonais (première moitié du XVe s.).

Il entra au service de la reine Sophie vers 1422 et est aujourd'hui considéré comme l'un des tout premiers polyphonistes polonais particulièrement représentatif de l'Ars Nova. Neuf de ses œuvres ont pu être conservées, dont un Magnificat, un hymne à la ville de Varsovie, Et in terra, composition à 3 voix, et Hystorigraphi aciem mentis, d'une qualité d'écriture comparable aux plus grandes œuvres des centres musicaux européens les plus réputés.

Radulescu (Horatiu)

Compositeur français d'origine roumaine (Bucarest 1942).

Il fait ses études de composition à Bucarest (1er Prix nommé à l'Académie en 1969), puis suit les cours de Darmstadt et travaille notamment avec Stock

   hausen, Ligeti, Xenakis et Kagel. Dans sa pensée théorique comme dans sa musique, il remet radicalement en question le matériau et la forme, abolissant la notion d'échelle et de division égale et tempérée du continuum sonore. Le concept le plus général de sa démarche part du fait que l'art musical doit être tout autre chose que la réalité, c'est-à-dire qu'il doit créer un état plutôt qu'une action. Son système de pensée aborde plusieurs chapitres qui doivent être regardés comme des systèmes interdépendants : l'espace infini du son, de toute information auditive, se déployant entre les « points cardinaux » suivants : N (noise : bruit, qui représente l'apériodicité et le caractère nébuleux du spectre), S (sound : son, spectre « serein », cristallisation des composantes fréquentielles dans une géologie exponentielle, périodicité, composition du timbre, matière du son). Si les deux pôles Noise et Sound caractérisent la qualité de la matière sonore, deux autres pôles caractérisent la quantité de passage dans le temps qui, hors du temps, est aussi une qualité de densité : W (width : largeur, agglomération, grande densité spectrale) et à l'opposé E (élément, filtré jusqu'au faisceau sonore). Les sources globales du son qui sont, selon Radulescu, historiquement au nombre de cinq : L (langage articulé), I/O (instrument/objet sonore), H (source humaine abstraite, par exemple voix et sifflements simultanés), N (phénomènes acoustiques purement naturels) et E (sons électroniques, computers, etc.) : il s'agit pour le compositeur d'analyser les situations (les « points cardinaux » de l'espace infini du son) comme les sources globales du son, qu'elles soient intérieures à nous (L et H), tangentes à nous (I/O et E) ou extérieures à nous (N) de telle manière que la cause et l'effet du résultat sonore soient sans cesse cachées. Si l'on réussit à les rendre effectivement non décelables, on arrive à créer un monde non-manufacturé, à dépasser l'état artisanal de l'art ainsi qu'à cerner les notions de plasma sonore et d'analyse spectrale infinitésimale.

   « Savoir voyager dans un tel espace de son veut dire dépasser une vitesse terrestre, celle des quatre écritures historiques de la musique (monodie, polyphonie, homophonie, hétérophonie) qui étaient ancrées dans l'action sonore et le geste acoustique, pour créer un état sonore sur l'émanation de ces écritures, état qui

   ne pourra plus se réduire à une analyse quelconque de l'une de ces quatre écritures du passé. C'est pour cela que le rythme, aussi bien micro que macro-formel, ainsi que l'intense vie de la dynamique (intensité) deviennent le résultat de véritables pulsations spectrales… À la base de beaucoup de mes œuvres, les sons fondamentaux utilisés sont très souvent déduits eux-mêmes des composantes fréquentielles d'un spectre unique, c'est-à-dire des harmoniques naturelles, cellules du timbre qui sont émancipées elles-mêmes des organismes-sons, ce qui assure une grande soudure et une grande unicité à l'« être-musique ». La vie de la dynamique et du timbre de chacun des sons ainsi choisis est tellement intense qu'elle crée d'elle-même une pulsation spectrale originale. On déclenche et on dirige des micro-phénomènes sonores qui composent comme des vecteurs le macro-organisme de la partition entière » (H. Radulescu).

   Radulescu a composé à ce jour 43 œuvres dont les plus révélatrices sont sans doute Cradle to Abysses opus 5 pour piano (1967-68), Vies pour les cieux interrompus opus 6 pour quatuor à cordes, deux « écho-pianos » et six bandes magnétiques (1966-1971), Taaroa opus 7 pour orchestre (1968-69), Credo opus 10 pour neuf violoncelles solistes (1969-1976), Everlasting longings opus 13a pour vingt-quatre cordes (1971), Capricorn's Nostalgic Crickets opus 16 pour sept bois (sept flûtes ou sept hautbois ou sept clarinettes, etc.) [1973], Wild Incantesimo opus 17b pour neuf orchestres (1969-1978), Lamento di Gesu pour grand orchestre opus 23 (1973-1975), A doïni opus 24a pour dix-sept musiciens jouant d'« icônes de sons » (pianos verticaux) [1974], Doruind opus 27 pour 48 voix solistes a cappella (14 sopranos, 10 altos, 10 ténors, 14 basses) [1976], Ecou Atins opus 39 pour flûte (aussi flûte-basse), cor, violoncelle, voix de soprano et cordes de piano (1979), The outer time opus 42 pour vingt-trois flûtes solistes (1979-1980), Iubiri opus 43 pour seize musiciens (deux flûtes piccolos, aussi flûte-basse et flûte-contrebasse, deux clarinettes piccolos, aussi clarinette-basse et clarinette en si bémol, deux contrebassons, aussi bassons, 1 cor, 1 trompette, 1 trombone, 2 percussions, 2 violons, alto, violoncelle, contrebasse) et bandes magnétiques (1980-81), Incandescent serene Opus 35 pour flûte contrebasse, cor, alto, contrebasse et bande (1978-1982), Awakening opus

   52 pour 4 solistes, ensemble et sons préenregistrés (1983), Das Ardere pour alto solo (1984) et Christe eleison pour orgue (1986).